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Quelques Réflexions À Propos D’Une Rumeur De Rapprochement Entre Casino Et Carrefour

Un échange inédit de communiqués de presse entre Casino et Carrefour en date du 24 septembre semble avoir désamorcé une rumeur de tentative de rapprochement entre les deux grands distributeurs. Si certains y verront les prémices d’une bataille boursière en gestation, cet épisode est remarquable en ce qu’il s’inscrit dans un contexte spéculatif du titre Casino, contexte que le communiqué de Casino, bien que succinct, n’a pas manqué de relever.

En effet, voilà presque trois ans que Casino subit les assauts de Muddy Waters Research, le fonds spéculatif jouant le titre à la baisse et emportant dans son sillon d’autres investisseurs.

Il se pourrait bien que le fonds activiste précipite une opération boursière, posant d’entrée de jeu la question de l’éventuelle corrélation entre l’action menée depuis 2015 par le fonds de Carson Block à l’encontre de Casino et les bénéfices qu’un Carrefour ou un Amazon pourrait retirer des difficultés financières dénoncées et aggravées par l’activiste depuis plusieurs mois. Un jeu subtil à plusieurs bandes semble donc se dessiner, dont la Place ne peut que pâtir en termes de réputation.  

Dans le même temps, le Directeur Général de la banque publique d’investissement Bpifrance est à la manœuvre afin d’obtenir de l’Etat, des ressources financières supplémentaires, d’un montant de trois milliards d’euros, afin de soutenir les entreprises françaises susceptibles d’être la cible de fonds d’investissement, notamment activistes.

Le dénominateur commun de cette actualité est de toute évidence la prise de conscience de la montée en puissance et de la force de frappe des fonds dits activistes en Europe.

Les chiffres l’attestent. Le dernier rapport Lazard paru en juillet 2018 fait état de 145 nouvelles campagnes activistes à l’été 2018, dont 17 menées par Elliott Management. Il est vrai que les activistes continuent d’avoir mauvaise presse.

Pourtant, derrière cette levée de boucliers rappelant l’hostilité dans les années 80 face à l’apparition des offres publiques d’achat hostiles, la réalité activiste est plus complexe qu’elle n’y parait. A cet égard, la terminologie générique d’activiste induit notamment de nombreuses erreurs.

D’une part, elle laisse penser que nous sommes en présence d’un phénomène homogène, porté uniquement par des hedge funds agressifs, aux moyens économiques et humains remarquables, compétents et opportunistes, aux méthodes et aux ressorts analogues. Elliott Management, TCI Fund Management, Cevian Capital, Amber Capital, Muddy Waters, Trian Fund Management pour n’en citer quelques uns, agiraient selon les mêmes modalités et auraient pour seule ambition de tirer un bénéfice financier immédiat et court termiste.

Or, la réalité activiste est multiple.

D’autre part, ce narratif unique favorise une diabolisation du phénomène activiste dans son ensemble, emportant un traitement identique entre un investisseur qui joue à la baisse un titre et un actionnaire qui identifie des verrous qui, une fois levés, pourront créer de la valeur.

Or, il n’est pas certain que cette diabolisation serve à terme les interêts de la place de Paris, notamment parce que le traitement réservé aux activistes est surveillé de près par les investisseurs.

On ne peut que donner raison à Nicolas Dufourcq, Directeur Général de la Bpifrance, de prendre la mesure de cette montée en force des activistes et d’en tirer les conséquences en sa qualité de patron de la banque publique, et ainsi, de se doter des moyens de préserver nos entreprises françaises vulnérables de tentatives de raids hostiles ou de campagnes activistes.

Il faut néanmoins injecter de la mesure et de la clairvoyance dans cette évolution du comportement actionnarial, et se garder de diaboliser tous les actionnaires actifs.

L’activisme n’est pas un phénomène nouveau. Il est né avec l’apparition de l’entreprise et des forces capitalistiques qui l’animent. Il est intrinsèquement lié au projet social puisqu’il décrit l’utilisation par des actionnaires minoritaires, ne souhaitant pas prendre le contrôle de l’entreprise, des droits que leur reconnait la loi en contrepartie des risques qu’ils ont accepté de courir. Ce qui est récent en revanche est l’ampleur du phénomène activiste.

Surtout, et c’est là un aspect essentiel de l’évolution du phénomène activiste, un actionnaire ou fonds considéré non activiste peut le devenir sur une position ou une opération parce qu’il considère que ses intérêts sont menacés ou qu’un comportement actif serait de nature à mieux préserver l’intérêt social. Dès lors, chaque actionnaire, qu’il soit isolé ou institutionnel, peut s’inscrire dans une posture dite activiste ou rejoindre une action activiste, selon un principe de fédération bien connu des professionnels activistes.

Pour se convaincre de cette évolution, il suffit de rappeler le soutien de la caisse des dépôts italienne apportée au fonds activiste, et pas le moindre en termes d’image, Elliott Capital.

Dès lors, la question n’est pas de savoir si l’activisme est souhaitable car il risque bien de devenir un comportement actionnarial normalisé, mais plutôt de s’intéresser aux ressorts et aux objectifs de l’actionnaire contestataire, ses intentions et sa volonté d’agir dans l’intérêt social, et ainsi de contribuer à une création de valeur.

Le dossier Casino illustre nos propos. En achetant à découvert un titre dont l’entreprise est sous haute tension financière, Muddy Waters Research non seulement ne crée pas de valeur, mais contribue à l’affaissement de l’entreprise, affaissement préjudiciable pour tous les actionnaires. Car si l’achat à découvert enrichi le fonds, il aggrave la fragilité de l’émetteur et contribue à appauvrir les actionnaires.

S’il faut contrer ceux qui détruisent de la valeur et se déploient au mépris de l’intérêt social, il y a lieu de considérer avec pragmatisme les actionnaires qui souhaitent exercer leurs droits avec l’objectif de créer de la valeur, notamment en s’inscrivant dans un temps long.

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