Désireux d’instaurer un cadre « souple, adapté et non dissuasif » afin d’encourager les levées de fonds en cryptomonnaies sur le territoire, le gouvernement veut faire de la France une nation pionnière en la matière à l’heure où la défiance reste de mise lorsqu’il s’agit d’évoquer ces questions. François-Xavier Thoorens, maître d’œuvre de la première « crypto » française ARK, décrypte, pour Forbes France, les défis à relever pour faire de Paris le centre névralgique du secteur.
Le gouvernement envisage, dans le cadre de la loi PACTE, de légiférer sur les levées de fonds en cryptomonnaies. Comment accueillez-vous cette initiative ?
Très positivement. Avant que le gouvernement, comme vous le soulignez dans votre question, ne s’engage dans cette voie, l’AMF (Autorité des Marchés Financiers, ndlr) planchait sur ce sujet depuis de nombreux mois déjà. L’idée directrice était d’ailleurs la suivante : ni bannir ni autoriser les ICOs mais plutôt tendre vers une position plus nuancée en privilégiant et en favorisant au maximum les projets et les levées de fonds en cryptomonnaies dites « solides ». Ainsi, l’imprimatur de l’AMF sur lesdites ICO pourrait permettre à la France d’être véritablement précurseur en la matière et de disposer également d’un certain impact à l’échelle mondiale. En filigrane de cette initiative, ne le cachons pas, transparaît également la peur de ‘rater le train de ces monnaies virtuelles’, comme l’époque où la France avait manqué le virage de l’internet par peur de « l’inconnu », privilégiant à tort le minitel. Voilà pourquoi, à mon sens, la France doit devenir la terre la plus accueillante possible pour les ICOs.
Comment expliquez-vous justement cette démarche « pragmatique » de la France qui œuvre pour un cadre « souple, adapté et non dissuasif », à l’heure où la majorité des pays ont déclaré la guerre aux « ICOs » ?
Le monde financier dit traditionnel a vu ses certitudes bouleversées par l’irruption de ces cryptomonnaies qui ne sont pas, contrairement aux idées reçues, toujours accueillies avec défiance par les acteurs déjà établis. Par exemple, la directrice du FMI, Christine Lagarde avait adopté une ligne bienveillante, en fin d’année dernière, à l’égard de ces nouvelles monnaies qui avaient le mérite de rebattre un peu les cartes dans un monde financier souvent sclérosé qui n’a que du dédain pour la blockchain et consorts. En d’autres termes cela pousserait les acteurs de la finance classique, trop engoncés dans leurs certitudes, à se réinventer. Une fois de plus, la France, en adoptant cette posture, peut faire office de pionnier et tracer le sillon de la modernité. Sans mépris ni défiance.
En d’autres termes, quels sont les atouts de la France ?
A mes yeux, l’un des principaux atouts de notre pays n’est autre que le statut de SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) que nous avons notamment mis en place au sein de notre structure ARK. Ce modèle est en parfaite adéquation avec les défis à relever en termes de crytomonnaies en France. Je m’explique. Si vous avez reçu des jetons lors d’une ICO, vous n’avez aucune pression de la part de ceux qui détenaient lesdits jetons pour que vous réalisiez ce que vous aviez promis de faire. Aux antipodes, par exemple, d’un droit social dans une société. Ce modèle de SCIC permet ainsi de ne pas enrichir indûment les actionnaires puisqu’aucun dividende ne leur est reversé. Pour aborder maintenant le prisme technologique, la France dispose d’un vivier de développeurs et de chercheurs parmi les plus « bouillonnants » de la scène mondiale. La conceptualisation des projets blockchain est aux confins de la sensibilité mathématique et le développement informatique. Deux thématiques où la France excelle. Il existe une vraie plus-value technique sur notre territoire.
Ce nouveau cadre réglementaire pourrait prendre la forme d’un régime d’autorisation optionnelle, ce qui signifie que les émetteurs des ICOs pourront demander au régulateur un visa. Cette démarche vous semble-t-elle la plus efficace ?
Lorsque l’AMF « valide » l’ICO, comme je l’expliquais en préambule, il faut bien garder à l’esprit qu’elle ne garantit pas la qualité du projet. L’Autorité des marchés financiers « valide » uniquement le montage financier et protège ainsi les investisseurs. Alors oui, ce dispositif est intéressant mais il demeure encore perfectible puisqu’il conviendrait de lui adjoindre un volet « analyse qualité technique ». L’AMF n’est absolument pas en cause puisque cet aspect n’appartient tout simplement pas à son champ d’action. Evaluer de la qualité d’une ICO est résolument complexe car la levée de fonds en cryptomonnaies est un travail de marketing et de communication. L’aspect « qualitatif » ne va pas forcément intéresser les investisseurs et, de plus, c’est assez difficile, en l’état, à évaluer. Mais outre l’AMF, la bpi dispose également d’un pôle blockchain et souhaite visiblement se positionner en privilégiant les bons projets. Le salut pourrait donc venir de cette institution qui, elle, évalue la qualité du projet mais seulement après l’ICO.
Paris peut-elle aspirer à devenir, à plus long terme, la capitale des cryptomonnaies ?
L’ICO, dont Paris pourrait devenir la terre d’accueil privilégiée, reste encore un épiphénomène dans le monde de la cryptomonnaie. Pour le reste, il y a encore pléthore de défis à relever qu’ils soient législatifs, juridiques et fiscaux. Si vous disposez de cryptomonnaie au sein de votre entreprise, il est encore impossible aujourd’hui de savoir dans quelle case la glisser lorsque je fais ma comptabilité. L’ordre des experts comptables refuse de se positionner tandis que le législateur ne s’est pas encore emparé de la question. Cette incertitude juridique pourrait entraver Paris et la France dans son ensemble pour devenir à plus long terme le centre névralgique de ces nouvelles monnaies virtuelles. Le chemin à parcourir, pour accomplir ce dessein, sera assurément long et semé d’embûches.
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