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L’Oracle d’Apopka, La légende Méconnue de Wall Street

Eddie Brownn la star de Wall Street

Eddie Brown, le fondateur de Brown Capital, est une des plus grandes légendes de Wall Street. Le surnom de cette star afro-américaine des marchés financiers est l’Oracle d’Apopka. Portrait.

À l’intérieur d’un hôtel particulier de quatre étages somptueusement restauré du 19ème siècle au cœur de Mont Vernon, district historique de Baltimore, trois des meilleurs « stock pickers » de Wall Street se taquinent mutuellement dans une salle de réunion lambrissée tandis que la lumière du soleil filtre à travers des vitraux.  « Généralement, quand on se débarasse de quelque chose [dans le portefeuille], on se débarrasse des erreurs de Kempton, » plaisante Keith Lee, faisant référence à Kempton Ingersol, gestionnaire de portefeuilles pour Brown Capital Management et gendre du PDG et créateur de la société, Eddie Brown.

Lee, 59 ans, est le président de Brown Capital, entreprise d’une valeur de 12 milliards de dollars (d’actifs), et dirige une équipe de gestionnaires de portefeuilles que Morningstar a placée dans son panthéon. Ancien linebacker à l’Université de Virginie, Lee a fait partie des Patriots de la Nouvelle-Angleterre. « Je jouais sur le banc arrière droit », plaisante-t-il encore.

Il est environ midi ce mercredi et les cours baissent. Ces gestionnaires de fonds en sont à badiner à une heure où la plupart des gestionnaires en activité sont confrontés à des rachats – témoignage de l’approche contre-intuitive de la société dans la recherche des meilleures actions. Brown Capital est une entreprise de sélection de titres de la vieille école, qui ne court pas après les actions les plus en vue de Wall Street. La société préfère poursuivre des entreprises moins pimpantes mais à la croissance rapide. Avez-vous déjà entendu parler de Balchem, Bio-Techne, Manhattan Associates, Tyler Technologies ou encore Veeva Systems ? Ce sont les plus gros investissements de Brown. Et elles ont toutes des rendements à long terme comparables à ceux d’Apple.

Brown acquiert généralement des entreprises aux revenus inférieurs à 250 millions de dollars. Son approche est simple : trouver des entreprises faisant économiser du temps, de l’argent et des maux de tête. Il s’agit ensuite de déterminer si les directions de ces entreprises ont les compétences nécessaires à l’exécution de la stratégie de croissance qui propulsera leurs produits ou technologie sur les nouveaux marchés. Si ces critères sont remplis, il suffit de les mettre en bourse et d’attendre.

En moyenne, le renouvellement au sein du Fonds pour Petites Entreprises de 40 actions de Brown se produit environ une fois tous les dix ans. Son investissement dans Cognex Corp, fabriquant d’équipement de vision artificielle basé à Natick, Massachusetts, a débuté en 1992 quand la capacité boursière de l’entreprise se trouvait en dessous de 200 millions de $. Aujourd’hui, ses actions représentent 5 % du fonds et possèdent une capacité boursière de presque 8 milliards de $.

Cette année, le Fonds pour Petites Entreprises emblématique de Brown est en hausse de 21 %, infligeant une raclée au marché, et a atteint une moyenne de 19 % de revenus annuels au cours de la dernière décennie. Depuis sa création en 1992, le fonds a été multiplié par 22.

 « Nous prenons ce que nous faisons très au sérieux. », affirme Lee, entré dans l’entreprise il y a 28 ans. « Nous essayons juste de ne pas nous prendre nous-mêmes autant au sérieux. »

La culture informelle de la société, et son engagement dans le parrainage d’actions de croissance mal aimées, est sous beaucoup d’aspects le reflet de l’incroyable parcours de vie d’Eddie Brown, l’une des plus grandes légendes méconnues du succès afro-américain à Wall Street.

La ville de Brown

Eddie Brown, 78 ans, est né à Apopka, Floride, en 1940 d’une mère célibataire de 13 ans. Il est élevé par ses grands-parents dans une partie de la ville sans route goudronnée, eau courante ou électricité. Son grand-père trimait dans les vergers d’agrumes voisins, où Brown a également travaillé en tant que conducteur de fourgon étant enfant, et sa grand-mère était ouvrière dans une pépinière produisant des philodendrons. Cette dernière avait l’habitude d’emmener son jeune petit-fils à la ville d’Orlando toute proche pour lui montrer les employés de bureau. Elle le sermonnait alors : « Si tu restes à l’école et que tu travailles dur, un jour toi aussi tu pourras t’asseoir à un bureau comme cette personne portant une chemise blanche et une cravate, et tu n’auras plus jamais à travailler aux champs sous le soleil brûlant. »

Deux choses ont été les principales motivations de Brown. Son oncle Jake, un entrepreneur qui dirigeait une flotte de camions transportant des agrumes, des ouvriers et de l’alcool de contrebande, lui avait montré qu’il était possible de gagner de l’argent sans avoir de patron.
Les enseignants des écoles non mixtes dans lesquelles Brown a passé sa scolarité lui ont inculqué une autre leçon : « Ils nous répétaient sans cesse qu’en tant que Noirs il fallait être doublement bons pour réussir, » se rappelle-t-il.

En 1955, lors de sa première année de lycée, la grand-mère de Brown mourut. Une cousine avait alors craint qu’Eddie ne suive les pas de son oncle (Jake avait fini en prison) ; elle avait donc contacté sa mère, alors âgée de 27 et vivant avec son compagnon à Allentown, Pennsylvanie, pour qu’elle vienne récupérer son fils.

Là-bas, les administrateurs blancs du nouveau lycée de Brown supposèrent (sans effectuer aucun test) qu’il devait redoubler sa seconde et poursuivre un cursus en arts industriels, mais sa mère exigea qu’il soit inscrit dans des cours préparatoire d’entrée à l’université. Par la suite, après avoir passé un test d’aptitude indiquant qu’il pourrait faire un bon ingénieur, Brown postula et fut accepté à l’Université Howard, une école traditionnellement noire à Washington D.C.

Une femme d’Allentown régla de façon anonyme les frais de scolarité de Brown, ainsi que sa chambre, ses frais de cafétéria et ses livres à Howard, où il rencontra sa future épouse, Sylvia (ils sont maintenant mariés depuis 56 ans). Après avoir obtenu son diplôme d’ingénierie électrique en 1961, Brown travailla au sein de Martin Marietta puis en tant qu’ingénieur chez IBM. Au cours de cette période, il se découvrit une passion pour l’investissement, et s’inscrivit alors à l’école de commerce de l’Université de l’Indiana grâce à une bourse d’études. Après l’obtention de son diplôme en 1970, il fut engagé à Irwin Management à Columbus, Indiana, un office familial créé par J. Irwin Miller, PDG de Cummins Engine. Miller était l’un des capitalistes éclairés du 20ème siècle, travaillant avec Martin Luther King Jr. dans l’organisation de la Marche sur Washington.

Au sein de la société, Brown devint analyste boursier. En 1973, le président de T. Rowe Price, Charles Schaeffer, offrit à Brown un poste de gestionnaire d’un des premiers fonds d’actions de croissance. Il devint le premier gestionnaire de portefeuille afro-américain de la société basée à Baltimore. Peu de temps après, Schaeffer, proche de la retraite, légua nombre de ses comptes à Brown, qui fut surpris que peu de ses clients blancs aient quoi que ce soit à y redire : « Cela m’a appris une chose », Brown raconte. « L’argent n’a qu’une couleur. »

L’autre grand événement dans la vie de Brown vint en 1979, quand il commença à apparaître régulièrement dans l’emblématique émission hebdomadaire de PBS, Wall $treet Week with Louis Rukeyser. La crédibilité alors obtenue par Brown le conduisit à créer sa propre entreprise en 1983. Son premier compte, d’une valeur de 200 000 $, lui est parvenu via une lettre envoyée à l’émission. Elle provenait de Geraldine Whittington, l’ancienne secrétaire personnelle du président Johnson, la première personne afro-américaine à remplir ce rôle. Whittington avait obtenu une indemnité de faute professionnelle.

 « Eddie représentait un tel modèle, » se remémore John Rogers, fondateur d’Ariel Investments à Chicago. « C’était une telle inspiration de le voir dans cette émission de télévision culte, que tout le monde regardait le vendredi soir. »

En 1992, Robert Hall, un ancien collègue de T. Rowe, incita Brown à lancer son propre fonds pour petites entreprises évaluant celles-ci par revenu plutôt que par leur capitalisation du marché. Le fonds, que Hall finit par gérer conjointement avec Lee, pesa bientôt lourd dans le secteur de la santé, des services aux entreprises, et de la technologie. Il se tenait loin les sociétés cycliques, l’immobilier et les banques.

Afin de gagner un avantage sur le marché de la santé, les gestionnaires de Brown recrutèrent des experts génomiques à l’Université Johns Hopkins pour leur donner des cours. Les idées fusaient de partout. Poussé par la faim lors d’un voyage d’affaires dans le Midwest en 1998, Lee découvrit Panera Bread quand il pénétra dans l’un de ses cafés-boulangeries du nom de Saint Louis Bread Co. Green Mountain Coffee Roasters fut quant à elle découverte dans un article de journal alors que l’entreprise n’était qu’un petit grossiste du Vermont. Les actions de celle-ci furent de très loin le meilleur investissement du fonds, multipliant celui-ci par 90 avant son rachat en 2012.

 « J’aimerais pouvoir vous dire que nous possédons tout un tas d’algorithmes incroyables et une méthode très sophistiquée, » nous dit Lee. « Mais il s’agit vraiment de recherche fondamentale. »

Tout n’a pas toujours été tout rose. L’un des plus gros investissements du fonds, Inogen (un fabriquant californien de réservoirs à oxygène portatifs pour les personnes souffrant d’affections respiratoires), rencontra un déficit de revenus et plongea de 76 % en huit mois. Dans ce genre de situations, Brown Capital peut se permettre d’être patient. Les gains presque dix fois supérieurs du titre, qu’il avait commencé à acheter en 2016, se sont presque évaporés, mais Brown a renforcé sa position.

En 2013, après deux décennies à 14 % de revenus moyens, le Fonds pour Petites Entreprises de Brown Capital ferma ses portes aux nouveaux investisseurs. Brown et Lee appliquent donc maintenant leur stratégie à des actions provenant de petites entreprises encore moins cotées à l’étranger, avec des revenus en dessous de 500 millions de $.

Dirigé par quatre gestionnaires de portefeuilles, parmi lesquels Kabir Goyal, ancien élève de MIT de 39 ans, le Fonds International pour Petites Entreprises d’une valeur de 400 millions de $ a eu un retour sur investissement annuel de 18 % en moyenne sur les trois dernières années, contrairement aux 10 % obtenus par des fonds semblables. Son investissement le plus important est la version sud-américaine d’Amazon.com, MercadoLibre, basée en Argentine. Il a été multiplié par cinq durant la brève période de détention de Brown.

À present centimillionaire, selon l’évaluation de Forbes, Brown est contrarié par les fermetures récentes de sociétés d’investissement détenues par des personnes afro-américaines telles que Holland Capital et Herndon Capital. En 2016, il a mis en place un plan d’intéressement du personnel, ce qui signifie que les 36 employés de Brown – dont 70 % font partie de minorités – possèdent maintenant la société basée à Baltimore. Avec une telle succession en place, Brown fait don de son argent, à l’image de sa bienfaitrice anonyme d’Allentown. Au cours des vingt-cinq dernières années, Sylvia et lui ont distribué plus de 39 millions de $ à des douzaines d’œuvres éducatives, religieuses et artistiques, particulièrement à Baltimore.

 « Il est de notre devoir, en tant que personnes de couleur dans le secteur de l’investissement, de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faire passer le message que c’est un milieu fait d’occasions exceptionnelles de créer de la richesse, » rappelle Brown. « Il ne s’agit pas seulement de se créer de la richesse, mais d’être en position de faire de bonnes actions pour les autres. »

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