Alors que le monde de l’investissement reste encore majoritairement masculin, les femmes y prennent une place croissante et avec une approche différente. S’il persiste encore certains blocages, de nouvelles solutions proposent de les lever, ce qui pourrait aboutir à terme à libérer un potentiel de 3 000 milliards d’euros supplémentaires injectés dans l’économie.
Par Michael Miguères. Un article issu du numéro 27 – été 2024, de Forbes France
De plus en plus de données et d’études montrent des disparités frappantes entre les femmes et les hommes en matière d’investissement. Seules 33 % des femmes européennes ont confiance en leurs finances, contre 47 % des hommes en France, et la tendance est semblable dans de nombreuses économies occidentales.
Le manque de confiance et de connaissances financières apparait comme le principal obstacle. Beaucoup de femmes estiment ne pas disposer de suffisamment d’informations pour investir efficacement. Barbara Sessa, senior vice president et head of consumer products Europe de Mastercard, pointe des causes multiples : « Hommes et femmes adoptent souvent des stratégies distinctes, façonnées par des facteurs socio-économiques, culturels et psychologiques, des différences qui entraînent des conséquences importantes sur le bien-être financier de chacun. Les différences entre les comportements d’investissement des hommes et des femmes sont marquées par des approches distinctes de la prise de risques et des objectifs financiers. Les femmes investissent avec des objectifs à long terme en tête, comme l’épargne pour la retraite ou l’éducation des enfants. Elles recherchent la sécurité et la stabilité financière. Les hommes, eux, cherchent souvent des gains rapides et des rendements optimisés à court terme. »
Barbara Sessa, senior vice president et head of consumer products Europe de Mastercard
Un phénomène qui peut aussi s’expliquer par les inégalités salariales. Les femmes ayant moins de revenus disponibles pour investir, 12 % en moyenne, elles concentrent leur argent dans des investissements plus sûrs. « En cherchant à minimiser les risques, elles privilégient les placements sûrs et à faible rendement, tels que les obligations et les comptes d’épargne. Bien que cette approche protège leur capital, elle limite également leur potentiel de croissance financière », souligne Barbara Sessa. Les femmes sont d’ailleurs 86 % à opter pour des placements sûrs pour la retraite, contre 77 % des hommes. Malgré davantage de besoin de liquidités pour investir, les femmes demeurent néanmoins toujours moins susceptibles de demander une augmentation de salaire : 26 % des femmes, contre 35 % des hommes, prévoient de le faire l’année prochaine.
La première motivation d’investissement pour une femme est la sécurisation financière de sa famille (étude N26, Women & Investing Survey, 2022). Une priorité qui explique des comportements différents dans la prise de décision. Les femmes prennent ainsi davantage de temps et de recommandations avant d’investir, souligne Nawel Boutarouk, fondatrice et directrice générale d’Olympes. Selon une étude de l’Autorité des marchés financiers (AMF), les femmes ont tendance à sous-évaluer leurs connaissances en matière d’épargne et de placement, alors même que lorsque leurs connaissances sont testées, les écarts constatés sont relativement faibles par rapport aux hommes. Une relative auto-limitation constatée par les neurosciences. « Il apparaît, par nos études, que les femmes sont davantage rebutées et abandonnent plus facilement face aux jargons techniques. La recommandation de proches et tiers de confiance prend aussi une place plus importante pour les femmes » étaye la DG d’Olympes. En effet, elles sont 64 % à recourir aux conseillers financiers avant d’investir contre 46 % des hommes.
Disparités de comportements
En termes de portefeuilles d’investissements, cela se traduit notamment par une plus forte préférence des femmes pour les obligations, et près d’un doublement du nombre d’investissements des hommes dans les cryptomonnaies par rapport aux femmes, selon une étude du cabinet Klarna Insight (juin 2023). Elles apparaissent particulièrement attentives à la diversification de leurs portefeuilles, cherchant à minimiser les risques tout en maximisant les rendements. Promouvoir des produits financiers avec des seuils d’entrée bas, comme les ETF, peut aider à dissiper les perceptions erronées sur le montant nécessaire pour commencer à investir. Les préférences d’investissement varient aussi selon les pays. Par exemple, les femmes en Allemagne montrent une nette préférence pour les obligations et l’immobilier, tandis que les Norvégiennes et les Finlandaises sont très actives sur les marchés boursiers, avec des taux de participation égaux ou supérieurs à ceux des hommes.
Nawel Boutarouk, fondatrice de l’application Olympe, observe également les même disparités de comportements et de thématiques : « Dans les secteurs d’investissement plébiscités par les femmes, on retrouve en top 3 sur 30 thématiques proposées : la santé et le bien-être, l’éducation de qualité et l’environnement. Elles investissent moins, mais mieux et plus longtemps », appuie-t-elle, citant une étude de Trade Republic auprès de 4 millions de clients en Europe. Elles investissent 30 % de moins que les hommes mais leur rendement annuel est supérieur de 2 % à celui des hommes en 2023. Elles sont peu portées sur le trading.
Prise de conscience
Pour accompagner l’évolution d’une plus grande insertion des femmes dans le monde de l’investissement, il faut agir concomitamment sur l’éducation et sur des offres de services et de produits financiers adaptés. L’éducation financière est le premier pilier pour Barbara Sessa, qui déplore encore des manques plus prononcés pour les femmes : « L’éducation financière est essentielle pour permettre aux femmes de prendre des décisions éclairées concernant leur argent, leur épargne et leurs investissements. Comprendre les bases de la gestion financière personnelle, des investissements et de la planification de la retraite peut transformer la vie des femmes, leur donnant les moyens de réaliser leurs objectifs financiers à long terme et d’assurer leur sécurité économique. Pourtant, de nombreuses femmes sont encore confrontées à des obstacles significatifs en matière d’éducation financière. Des études montrent que les femmes ont souvent moins accès à l’éducation financière formelle et aux ressources nécessaires pour acquérir ces compétences. »
Erell Tassin, cofondatrice et CEO de MyFenix, une plateforme d’investissement et de connaissances financières dédiée aux femmes, rappelle que les solutions d’investissement existantes ciblent les hommes : « Une étude de BNY Mellon a par exemple montré que 4 gestionnaires d’actifs sur 5 déclarent que les produits d’investissement de leur organisation sont principalement destinés aux hommes. Cela se répercute sur les solutions d’investissement actuelles qui mettent en avant la prise de risque et le rendement comme un raccourci vers le succès des investissements. » Elle souligne également que l’éducation financière diffère dès l’enfance : « L’éducation des filles et des garçons diffère en matière de finance personnelle. Une étude récente de Pixpay a par exemple montré que les filles avaient moins d’argent de poche que les garçons. »
Erell Tassin, cofondatrice et CEO de MyFenix
Les réseaux de femmes investisseuses jouent également un rôle essentiel. Ils offrent un espace de partage et de soutien où les femmes peuvent échanger des conseils, des expériences et des opportunités d’investissement. Ils facilitent la création de synergies et la collaboration entre femmes investisseuses, renforçant ainsi leur pouvoir d’influence sur le marché financier. De tels réseaux contribuent à briser l’isolement et à favoriser l’entraide, permettant aux femmes de tirer parti de l’intelligence collective pour réussir leurs investissements. Le vrai défi n’est pas tant que les femmes adoptent les comportements d’investissement des hommes, mais puissent déployer davantage de capitaux, avec leurs propres stratégies.
Le rôle de la tech
Les plateformes numériques et les fintechs jouent un rôle crucial dans cette dynamique. Elles offrent des outils accessibles et personnalisés qui permettent aux femmes de gérer leurs investissements de manière autonome et éclairée. Ces technologies favorisent l’inclusion financière des femmes en réduisant les barrières à l’entrée et en fournissant des informations précises et actualisées. Les utilisatrices disposent alors de bonnes ressources pour approfondir leurs connaissances financières, comparer les options d’investissement et prendre des décisions en toute confiance. « Je suis convaincue que la technologie est un catalyseur de l’éducation financière. Elle propose des solutions prometteuses pour surmonter ces obstacles. Des plateformes numériques et des applications mobiles rendent l’éducation financière plus accessible et plus engageante pour les femmes », estime Barbara Sessa, de Mastercard.
Des programmes de formation, des ateliers et des ressources en ligne sont développés pour aider les femmes à comprendre les mécanismes financiers, à élaborer des stratégies d’investissement efficaces et à gérer leurs portefeuilles avec succès. Parmi ces initiatives, la plateforme MyFenix, cofondée par Erell Tassin, propose une application intuitive permettant aux femmes de composer des portefeuilles d’investissement alignés avec leurs valeurs. « Notre objectif est simple : leur permettre de construire leur indépendance financière tout en investissant dans des entreprises qui font sens pour elles… et pour la société en général. Nous proposons à nos utilisatrices une application simple et intuitive pilotée par l’IA, leur permettant de composer des portefeuilles d’investissement alignés avec leurs valeurs. Notamment en ETF sur des thématiques variées comme l’eau, l’environnement ou encore l’égalité hommes-femmes. Nous proposons également à nos utilisatrices un parcours d’éducation financière leur permettant d’apprendre à investir auprès d’expertes role models en seulement deux minutes par jour. De quoi les inciter à activer leur potentiel économique ! » résume Erell Tassin.
L’engagement des sœurs Williams
Le manque de modèles féminins est, dans ce secteur comme dans d’autres, criant et pénalisant. Les personnages de Gordon Gekko, incarné par Michael Douglas dans Wall Street, ou de Jordan Belfort incarné par Leonardo DiCaprio dans Le Loup de Wall Street, n’ont pas d’équivalent féminin.
Une start-up française compte pourtant bien changer la donne. Véritables stars du salon VivaTech 2024, les sœurs Venus et Serena Williams étaient sur scène pour la discussion inspirante de cette année, mais également pour parler de leur investissement dans la plateforme française Shares, fondée par Benjamin Chemla, et présenter le lancement de la campagne publicitaire dans laquelle elles sont également actrices et égéries.
Les sœurs Serena et Venus Williams à VivaTech en mai 2024
Shares est une plateforme d’investissement qui permet aux utilisateurs de bâtir leur avenir financier en proposant des actions américaines et européennes, des ETF et des cryptomonnaies. L’application intègre des fonctionnalités sociales, permettant aux utilisateurs de suivre d’autres investisseurs, voir leurs portefeuilles et échanger des idées d’investissement. Lancée au Royaume- Uni en mai 2022, l’application compte plus de 200 000 téléchargements en Europe, et a levé 90 millions de dollars pour soutenir son expansion en France et à travers l’Europe. Venus et Serena Williams se sont associées en tant que partenaires de la marque pour soutenir la mission de Shares dont le but est de démocratiser le monde de l’investissement et encourager les utilisateurs à bâtir leur avenir financier.
Pour Benjamin Chemla, le fondateur de Shares, son application a comme première vocation la démocratisation de l’investissement : « Nous avons un enjeu marketing qui est de montrer à un plus grand public, beaucoup plus large, que l’investissement est aussi pour eux. Les plateformes ont trop souvent une stratégie marketing dirigée vers un public déjà intéressé par la finance. On veut promouvoir l’investissement pour et par les femmes. La plateforme, en elle-même, est moins intimidantes que ce qui se fait d’habitude et possède des fonctionnalités sociales qui permettent aux personnes de se retrouver et d’échanger. » Pour lui, l’engagement des sœurs Williams est un signal très fort en faveur de l’investissement des femmes : « On s’est aperçu après notre lancement en Angleterre que 40 % de notre public était féminin. On s’est donc dit qu’il serait fort d’avoir des égéries qui soient non seulement des femmes, mais également du monde de l’investissement et qui symbolisent l’histoire d’un investissement et d’une entraide, ce qui est l’histoire de Venus et Serena Williams et de toute leur carrière », analyse, enthousiaste, Benjamin Chemla. Rappelons que les sœurs Williams avaient déjà milité pour l’égalité salariale dans le tennis, avec succès, ce qui est de bon augure pour l’investissement au féminin.
Benjamin Shemla, fondateur de Shares
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