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L’ingénierie financière au service de l’impact

Les investissements à impact représentent une tendance croissante dans le monde de la finance, où les investisseurs cherchent non seulement à générer des rendements financiers, mais aussi à provoquer un impact social ou environnemental positif. Enquête sur un mouvement en pleine accélération. 

Un article de Michael Miguère issu du numéro 25 – hiver 2023 de Forbes France 

 

L’investissement à impact est une stratégie qui vise à générer des retours financiers tout en ayant un impact positif sur la société, l’environnement ou les deux. Cela va souvent bien au-delà de la simple minimisation des aspects négatifs, car il s’agit activement de contribuer à des améliorations concrètes et mesurables. L’investissement à impact, plus généralement connu sous le nom d’investissement socialement responsable (ISR) ou d’investissement durable, a connu une croissance exponentielle ces dernières années. Le Baromètre de la finance à impact 2023 indique que, pour la première fois, le marché mondial de l’investissement à impact a dépassé le seuil des 1 000 milliards de dollars, atteignant 1 164 milliards en 2022. Cette dynamique forte souligne non seulement la croissance de la finance à impact, mais aussi la prise de conscience des investisseurs envers l’importance de considérer les implications de leurs investissements tels que le changement climatique, l’inégalité sociale et la durabilité environnementale.

Pour Fanny Picard, présidente d’Alter Equity, la croissance des investissements à impact a désormais changé d’échelle, notamment grâce à une plus forte structuration des acteurs. « Après une période de détermination des concepts et des modèles, la période est surtout caractérisée par le passage à l’échelle : les premières équipes lèvent des fonds plus importants en taille et de nouvelles équipes émergent, soutenues par ce que l’on appelle des plateformes d’investissement, créant directement des fonds plus gros maintenant que le marché répond à une demande des investisseurs. Les plateformes d’investissement sont des structures gérant différentes classes d’actif, par exemple de l’investissement minoritaire, du LBO, du financement d’infrastructures, d’immobilier, etc. »

L’impact repensé par la finance

L’investissement d’impact s’appuie sur trois piliers fondamentaux : l’intentionnalité, l’additionnalité et la mesurabilité. L’intentionnalité se réfère à la volonté délibérée de générer un impact social ou environnemental positif à travers les investissements.

L’additionnalité implique l’engagement de l’investisseur, soit financier soit extra-financier, qui permet à l’entreprise bénéficiaire d’augmenter significativement son impact social ou environnemental. Enfin, la mesurabilité concerne l’établissement d’objectifs sociaux ou environnementaux clairs, le suivi des résultats obtenus et un processus d’évaluation continu. Ensemble, ces trois piliers garantissent que les investissements d’impact ne se contentent pas de viser un bénéfice positif, mais contribuent effectivement et de manière substantielle aux améliorations sociales ou environnementales.

Loin d’être un simple sous-secteur des domaines à financer, l’impact est désormais devenu une tendance prédominante de la finance et met l’ingénierie financière à rude épreuve. Croisine Martin-Roland, responsable des investissements philanthropiques de Société Générale Private Banking, souligne cette rupture : « Dans le monde de l’investissement d’aujourd’hui, nous transcendons la séparation traditionnelle entre finance et impact. Nous intégrons l’impact à travers les fonds avec des critères ESG, tout autant que par la philanthropie, créant un continuum entre les désirs des investisseurs et les structures d’investissement proposées. » Et de citer notamment les innovations de la Société Générale en
la matière : « La Société Générale a développé des projets d’impact significatifs tels que Wine Banking et
des investissements forestiers, permettant aux clients d’investir directement dans des massifs forestiers ou via des fonds d’investissement. »

 

Croisine Martin-Roland, responsable des investissements philanthropiques de Société Générale Private Banking

 

Des outils différents pour un impact varié

Même analyse côté BNP Paribas, où Marie Dauvergne, responsable des investissements solidaires de BNP Paribas Asset Management, observe une évolution positive de l’épargne solidaire notamment qui a augmenté de 20 % en un an. « On voit de plus en plus de structures qui se créent ou des structures internes qui émergent. Les encours augmentent chaque année, car nos investisseurs ont de plus en plus d’appétence pour l’investissement durable.. » Elle souligne les évolutions du cadre actuel qui permet des outils variés pour adapter l’offre au degré d’impact que veulent atteindre les investisseurs.

Il existe ainsi, outre les types d’investissements classiques, des investissements ISR (avec des notions ESG et qui excluent des investissements avec des externalités négatives), des investissements qui permettent des externalités positives, qui sont davantage considérés comme des investissements réellement à impact, alliant rentabilité et externalités positives. Elle souligne également la place des fonds solidaires, notamment les fonds « 90/10 », dont 10 % maximum de l’encours est fléché vers des entreprises non cotées de l’économie sociale et solidaire (ESS) quand les 90 % restants sont placés en actions et obligations cotées et en subissent donc les variations. Un ratio qui pourrait d’ailleurs être amené à évoluer prochainement puisque, selon Olivia Grégoire, la ministre déléguée chargée des PME, « la part dédiée à l’ESS devrait être augmentée à 15 %, pour permettre de lever jusqu’à 800 millions d’euros d’encours supplémentaire », a-t-elle annoncé le 6 novembre dernier.

Autres offres mises en avant par la BNP, les « fonds sélection Best-in-class ESG » qui financent les entreprises aux meilleures pratiques en matière de développement durable selon les critères ESG, mais aussi des fonds thématiques qui investissent dans des entreprises ou des secteurs liés au développement durable, tels que les énergies renouvelables, l’eau, la lutte contre le changement climatique, ou engagés dans des thématiques sociales comme la santé, l’accès à l’éducation, la création d’emploi ou l’insertion professionnelle. « L’impact peut aussi prendre la forme d’outils dédiés pour de l’investissement associatifs, où des sommes sont prêtés sur du long terme à une association qui a un impact positif et les associations versent chaque année des intérêts », précise Marie Dauvergne.

 

Marie Dauvergne, responsable des investissements solidaires de BNP Paribas Asset Management

 

Le cadre européen

Outre la demande des investisseurs, l’action des régulateurs semble également un puissant levier pour pousser les acteurs vers davantage d’impact dans leur portefeuille. Ainsi, Fanny Picard relève : « La période est également caractérisée par la pression réglementaire avec, par exemple, la révision du label ISR en France et l’entrée progressive en vigueur de règlements européens : SFDR, CSRD, Taxonomie. Aucune réglementation ne vise précisément la finance à impact pour le moment. Elles ont un objectif plus large, que l’on peut appeler la finance responsable.

Mais elle nous concerne néanmoins et nous devons la connaître, ce qui mobilise un effort considérable. C’est une contrainte pénible mais nécessaire, à la fois pour limiter le greenwashing, et accélérer les transformations nécessaires des entreprises et des investisseurs. » La Commission européenne envisage d’ailleurs une refonte majeure du cadre réglementaire sur la finance durable, comme l’indique la consultation en cours. Cette révision remet en question la finalité de la réglementation SFDR (Sustainable finance disclosure regulation), actuellement axée sur la transparence et pourrait aboutir à des contraintes plus strictes.

Le rôle clé des entrepreneurs de la nouvelle génération

Améliorer l’impact des entreprises ne saurait s’arrêter aux seules actions des investisseurs, mais nécessite aussi d’autres approches entrepreneuriales. Coralie de Fontenay, cofondatrice de LuxImpact qui encourage les entreprises du secteur du luxe à adopter des modèles durables, fait remarquer que « le temps de l’impact est un temps long. Le temps du luxe l’est également. Nous devons redéfinir des solutions plus durables dans les métiers du luxe ». Prenant exemple sur le monde de la joaillerie et des maisons qu’elle accompagne comme Vever et Rouvenat, qui sont déclarées « entreprises à mission », pour allier profitabilité et impact. Pour rappel, une « société à mission » est un statut juridique spécifique introduit par la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) en 2019. Ce statut permet à une entreprise de formaliser son engagement envers des objectifs sociaux et environnementaux en plus de ses objectifs économiques.

Des méthodes qui peuvent donc être mises en place dès la création de nouveaux projets d’entreprises. « Nous assistons à l’émergence d’une génération de “philentrepreneurs” qui adoptent une vision entrepreneuriale de la philanthropie, souvent en développant des fondations parallèlement à leur carrière », complète Croisine Martin-Roland, qui cite en exemple le Philantro- Lab, le premier site physique entièrement consacré à la philanthropie qui vise à créer un écosystème pour développer la philanthropie et à démocratiser le réflexe du don et de l’engagement auprès du plus grand nombre, dont la Société Générale est mécène d’honneur avec la Compagnie de Phalsbourg.

 

À lire également : Aurore Lalucq, éclaireuse de la finance virtuelle. 

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