Y a-t-il encore quelque chose qui puisse nous choquer sur les marchés financiers de nos jours ? Entre les banques centrales qui font tourner la planche à billets à outrance, les taux d’intérêt négatifs, le retour récent de la Grèce sur le marché obligataire alors que le pays est déclaré en faillite par le FMI…
Voici une autre dégénérescence dans le système financier directement liée aux faits évoqués précédemment : les émissions de dette souveraine à 100 ans… Oui, vous avez bien lu, cent ans, un siècle.
Parmi les pays ayant recours aux dettes séculaires : on trouve les Philippines, le Mexique, l’Irlande, la Belgique, l’Argentine et récemment l’Autriche. La contagion se propage ; quels seront les prochains Etats à endetter trois générations ?
Le club des pays émetteurs de la dette centenaire
Il y a deux ans, l’économiste Philippe Herlin faisait le pari que « ce genre d’emprunt [allait] se répandre »[i]. L’actualité lui donne raison.
Le Mexique est un coutumier du fait : « Le placement démontre l’intérêt des investisseurs du monde entier envers les actifs mexicains et leur confiance dans les finances de l’Etat »[ii] se félicitait en 2014, Luis Videgaray, ministre des finances mexicains. Son pays levait alors 1 milliard d’emprunt libellé en livre sterling, sur 100 ans et à un taux de 5,75%. Bien sûr le ministre ne sera plus de ce monde à cette échéance et que lui importe que la dette soit au final remboursée ou non ?
Le Mexique n’emprunte donc même pas dans sa propre monnaie, faisant de surcroit endosser un risque de change aux malheureux Mexicains. On trouve aussi à son passif un emprunt de 2015 d’un montant de 1,5 milliard, en euro cette fois, à un taux de 4,2% et toujours avec une échéance in fine centenaire.
En Europe, la Belgique s’y est mise aussi pour des montants encore modestes : 50 M€ à échéance 2115 pour un taux de 2,5 %.
En 2016, l’Irlande fait encore mieux et empruntait 100 M€ à seulement 2,35 % pour 100 ans. « Cette maturité ultralongue est une première significative pour le pays et représente un grand vote de confiance pour l’Irlande en tant qu’émetteur souverain » affirmait ravi le directeur de l’agence irlandaise de gestion de la dette.
Plus surprenant, en juin 2017, c’est l’Argentine qui parvenait à émettre de tels bons pour quelques 3 Mds$. Après tout pourquoi pas ? Le pays n’a fait défaut « que » huit fois depuis 1816.
L’Autriche a rejoint le club. Déjà l’année dernière, le pays plaçait des titres à 70 ans pour 2 Mds€. En deçà des 8 ans de maturité, tous les taux de ses obligations étaient alors négatifs. En septembre 2017, Vienne ne se prive pas d’émettre cette fois à 100 ans.
A ce jour, la France ne va pas au-delà d’une durée de 50 ans. Mais nos zélés fonctionnaires de l’Agence France Trésor doivent être chatouillés par l’envie de rejoindre le club des centenaires.
L’intérêt de l’émetteur est évident. Les taux n’ont jamais été aussi bas depuis 5 000 ans.
Qui peut dire aujourd’hui ce qu’il adviendra dans 100 ans des monnaies dans lesquelles sont libellées ces dettes ? Personne, mais tant que ces obligations trouvent des acheteurs, pourquoi s’en priver…
Car le problème est bien du côté de l’acheteur et non pas de l’émetteur. Des taux très bas signifient que les obligations sont très chères. Si les taux remontent, les titres baisseront. Acheter au plus haut n’est jamais une bonne idée.
Qui sont les acheteurs suffisamment inconscients pour acheter ces titres ?
Certains diront qu’alors même que les hommes meurent, les Etats, eux, restent. Par conséquent les titres sont sûrs.
Le gestionnaire de fonds suisse Egon Von Greyerz résume sans langue de bois :
« Les acheteurs sont des institutions qui gèrent l’argent des autres, comme les gestionnaires de fonds de pension, qui seront enchantés d’obtenir un rendement de 2% en comparaison aux rendements négatifs à court terme ou juste au-dessus de zéro pour autre chose. Ces gestionnaires espèrent tous être partis à temps avant que quelqu’un ne se rende compte des décisions désastreuses qu’ils ont prises avec l’argent des retraités.
Mais le danger pour eux est que l’obligation devienne sans valeur bien avant que les 100 ans ne soient écoulés. Cela pourrait arriver d’ici cinq ans. […]
Ces gestionnaires ne seront pas blâmés pour leurs performances catastrophiques. […]. Ils sont protégés, malgré leurs mauvaises performances, étant donné qu’ils ont fait ce que tous les autres gestionnaires font : appauvrir les retraités.
Le fonds institutionnel moyen est géré en se basant sur la ‘médiocratie’ – cela ne vaut jamais le coup de prendre un risque et de faire les choses différemment que votre groupe de pairs. Car si vous faites la même chose que vos pairs, vous serez récompensé, même si vous perdez presque tout l’argent. »
Il est loin le temps où le créancier connaissait personnellement son débiteur. Le système financier actuel organise l’irresponsabilité des gérants qui ne risquent pas leur argent, mais celui des autres.
Le rentier moderne est le retraité qui pense que son épargne est bien gérée, en attend capitalisation et rendement. Il sera déçu sur les deux plans.
Vous pourriez détenir de la dette centenaire, sans même le savoir. Elle sera discrètement logée dans votre assurance-vie, dans vos fonds PERP ou Madelin.
La prochaine crise financière déclenchera un krach obligataire (ce marché étant à un plus haut de 5 000 ans) qui déclenchera un krach monétaire (les monnaies d’aujourd’hui n’étant que du crédit). Quant à savoir si le dénouement sera l’hyperinflation ou les défauts d’Etat est une question aussi intéressante que « préférez le garrot ou la guillotine ».
Les hommes meurent, les Etats perdurent plus longtemps qu’eux, mais pas les monnaies. Parmi 775 monnaies fiduciaires ayant existé ou encore existantes, 599 sont mortes. La plupart des monnaies adossées à rien sont mortes d’inflation ou d’hyperinflation. Un actif joue son rôle de réserve de valeur sans faillir depuis plus de 2 600 ans : c’est l’or. Oui, vous savez ce vieux machin lourd et jaune couvert de poussière qui dort dans les coffres des banques centrales et qui n’est la dette de personne. L’Allemagne, qui en avait confié la garde à l’étranger, vient d’ailleurs de terminer une partie de son rapatriement sur le sol national.
Un bipède informé, s’il avait le choix, n’hésiterait pas une seconde à placer son épargne à 100 ans dans de l’or plutôt que dans une obligation centenaire.
[i] https://www.goldbroker.fr/actualites/symptome-delirant-bulle-obligataire-mexique-emprunte-100-ans-euros-759
[ii] https://www.lesechos.fr/13/03/2014/LesEchos/21646-133-ECH_le-mexique-emprunte-a-100-ans-en-livres-sterling.htm
Simone Wapler et Florian Darras
Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook
Newsletter quotidienne Forbes
Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.
Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits