Luc Bretones est CEO de NextGen, chercheur en innovation managériale à l’ESSEC et organisateur du NextGen Enterprise Summit, le grand rendez-vous mondial des organisations adaptatives à impact. Il s’est intéressé à l’intégration des critères ESG (pour Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) par les grands acteurs de la finance.
Les indicateurs environnementaux semblent alarmants et la perception humaine à l’échelle d’une génération ne trompe pas sur l’accélération de l’impact de l’activité humaine. Depuis 18 mois environ, les conseils d’administration d’une part significative des géants économiques (top 500 en valorisation ou chiffre d’affaires) annoncent orienter leurs activités vers le bas carbone ou l’impact social. Ronald Cohen, fondateur du fonds Apax, estime que la pandémie accélère la tendance sociale et verte. Selon lui, “les consommateurs n’achètent plus certains produits, à cause de la pollution ou des problèmes sociaux qu’ils causent. Nous assistons à un changement de valeur”. Les grands énergéticiens changent à grande vitesse les supports de leurs investissements et se délestent des activités carbonées. Ce fut l’essentiel du mandat d’Isabelle Kocher à la tête d’Engie et Total Energie enchaîne les annonces spectaculaires.
Dans le cadre du baromètre trimestriel Anéo Holaspirit de l’Entreprise Nouvelle Génération, nous avons interrogé Antoine Sire, responsable de l’Engagement d’entreprise et membre du Comité Exécutif du Groupe BNP Paribas.
Un mouvement engagé depuis une dizaine d’années
L’une des caractéristiques de BNP Paribas est d’avoir pris conscience assez tôt des enjeux environnementaux et sociétaux. Dès 2011, la banque a décidé d’agir positivement pour inciter ses clients à faire des choix en faveur de la planète, en étant l’une des premières banques au monde à adopter une politique sectorielle restreignant ses financements au charbon. En 2014, un screening ESG – évaluation sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance – des clients corporate permet de franchir une nouvelle étape vers la factualisation des engagements et des progrès. Après l’intégration des Objectifs de Développement Durable de l’ONU au cœur du projet de l’entreprise en 2015, la création d’une Direction de l’Engagement en 2017 marque l’accélération de l’intégration des sujets ESG dans les processus opérationnels et dans les chaînes de décision. Antoine Sire et son Groupe espèrent être suivis par un maximum d’autres acteurs du secteur : “aujourd’hui, notre ambition, telle que rappelée dans notre raison d’être, est d’être un leader en matière de finance durable. Cette ambition, construite patiemment au fil des années avec nos dirigeants, nos collaborateurs, nos clients, nos actionnaires et nos parties prenantes externes répond à une logique simple : BNP Paribas se doit d’être au rendez-vous de la transition écologique et sociétale qui est devant nous. Si nous ne le sommes pas, cela voudra dire que nous ne correspondons pas à ce que nos clients attendent d’une grande banque au XXIème siècle”.
Une intégration fine aux processus du Groupe via de nouvelles méthodologies
Comme dans le cas de l’entreprise de conseil et de réalisation IT Octo Technology, qui a lancé la définition d’un framework afin de mesurer l’impact sociétal, environnemental à l’échelle d’une mission, d’un projet, l’intégration de critères ESG est un chantier organisationnel considérable au sein de BNP Paribas. Elle passe par la construction de nouvelles méthodologies permettant de s’assurer que l’empreinte carbone de ce qui est financé est compatible avec les Accords de Paris et avec l’objectif de neutralité carbone en 2050. La banque est également en train de construire un projet destiné à introduire concrètement, dans tous les processus de crédit et d’acquisition de nouveaux clients, des critères sociaux et environnementaux précis, homogènes, traités de manière systématique. Ce type d’engagement nécessite une transformation industrielle de grande ampleur, avec tout ce que cela implique en termes d’infrastructures IT, de systèmes de collecte de la donnée, de gestion des risques ou encore d’évolution des compétences des collaborateurs. Antoine Sire le confirme “c’est un vrai sujet de direction générale et tous nos dirigeants sont très impliqués dans cette transformation, suivie avec attention par notre CEO Jean-Laurent Bonnafé”.
Un poids des critères ESG qui ne cesse de se renforcer
Pendant très longtemps, les banques ont d’abord évalué leurs décisions de crédit à l’aune du risque pris et de la probabilité d’être remboursées. Le principal critère était un critère purement financier, fondé sur la solvabilité des clients. Cette façon unique d’appréhender les décisions s’avère désormais inadaptée au monde dans lequel nous vivons et à la transformation de l’économie que la banque souhaite conduire. Aujourd’hui, l’intégration dans les critères de décision, aux côtés des critères financiers traditionnels, des objectifs environnementaux et sociaux permettent de déterminer la contribution des clients de la banque à une empreinte positive pour la société.
Les critères de succès doivent ainsi tenir compte de l’environnement et du social. Pour cela, il faut être capable de mesurer les impacts sur le climat, sur la biodiversité, sur les territoires, les communautés locales.. “C’est ce sur quoi nous travaillons actuellement, le plus souvent en coalition avec une pluralité d’acteurs : gouvernements, grandes entreprises, institutions financières, ONG, universitaires Nous sommes par exemple membres fondateurs de la TNFD (Taskforce on Nature-related Financial Disclosures), dont la première réunion s’est tenue récemment à Paris. La TNFD a pour objectif de donner aux marchés les clés et un cadre pour orienter les flux financiers vers les entreprises aux pratiques les plus adaptées et les plus positives en matière de biodiversité” précise Antoine Sire. Elle va également permettre aux investisseurs d’avoir une compréhension adéquate des risques liés à la nature avec des outils et des méthodologies partagées au niveau mondial.
Des exemples marquants d’activités ou comportements stoppés par cette dynamique ESG
Dans le secteur de l’énergie, un certain nombre de décisions importantes ont été prises ces dernières années. Par exemple, sa politique sur les hydrocarbures non conventionnels a conduit la banque à ne plus financer les entreprises spécialistes du gaz de schiste et ce depuis 2017. Elle ne finance également plus aucun projet développant de nouvelles capacités de production à partir de charbon depuis 2017, et arrête de travailler dès maintenant avec les producteurs d’électricité qui n’auraient pas pour objectif de ne plus produire la moindre électricité à partir de charbon d’ici à 2030 dans les pays de l’OCDE, et à 2040 dans le reste du monde. Selon Antoine Sire, “ces décisions ont été motivées par des convictions et des considérations environnementales, mais on se rend compte aujourd’hui que ce discernement était le bon, y compris sur le plan financier”. Pour BNP Paribas, la pérennité d’une entreprise socialement responsable est considérée comme plus forte : les modèles économiques les plus durables seront les plus résilients aux futures crises qui surviendront. Progressivement tous les efforts vont converger vers le fait d’accompagner de plus en plus les acteurs qui transitionnent et de moins en moins les acteurs qui ne transitionnent pas.
Tous les métiers et toutes les offres vont devoir bouger
Tous les métiers sont concernés par cette transformation. Ne serait-ce que parce que tous les segments de clientèle sont eux-mêmes impactés : les entreprises du fait des réglementations et des nouveaux comportements des consommateurs ; les institutionnels du fait de la pression qu’exercent leurs mandants et la société pour que leurs investissements soient écologiques et équitables ; les particuliers, qui sont à la fois de plus en plus demandeurs de placements durables et de solutions accessibles leur permettant, à eux aussi, d’avoir un impact environnemental positif. Par conséquent, toutes les offres vont devoir intégrer les aspects environnementaux et sociaux, que ce soit dans les métiers d’épargne, de financement, d’investissement, du leasing, de l’immobilier ou encore dans la banque du quotidien. Cette mobilisation collective qui transcende les différents métiers sera au cœur du prochain plan stratégique qui sera présenté dans les prochains mois.
Une dynamique européenne qui va massifier le mouvement
Il y a bien en Europe une volonté de travailler collectivement à la résolution des problèmes liés aux questions de bien commun. Beaucoup de travaux sont effectués en ce sens au sein de la Commission et du Parlement européens. Le Green New Deal est un exemple emblématique de cette mobilisation collective. A travers la Plateforme sur la Finance Durable, BNP Paribas assiste la Commission Européenne dans le développement de ses politiques liées aux sujets de finance durable et dans le développement de la taxonomie européenne. Sur ces sujets, il est important de faire prévaloir une approche européenne partagée à la fois par les autorités publiques, par les entreprises et par les institutions financières. Ces dernières travaillent de concert à cet objectif. “Par exemple, c’est aux côtés de 4 autres banques européennes (le néerlandais ING, l’espagnol BBVA, le britannique Standard Chartered et Société Générale) que nous avons développé la méthodologie PACTA” précise Antoine Sire. Cette méthodologie va permettre de mesurer l’alignement du portefeuille de crédit avec les objectifs des Accords de Paris et d’orienter progressivement les flux financiers avec les objectifs de ces Accords. Elle a, depuis, été adoptée par d’autres banques partout dans le monde. Elle est donc une illustration du leadership que peut avoir l’Europe sur ces questions, leadership par ailleurs aujourd’hui reconnu par la plupart des ONG, des agences de notation et des publications de référence. BNP Paribas a par exemple récemment été désignée comme la « meilleure banque au monde pour la finance durable » par le magazine Euromoney.
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