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L’économie mondiale en voie de féminisation ?

féminisationGita Gopinath, directrice générale adjointe du FMI

Plusieurs femmes ont été nommées à des postes importants au sein d’organisations économiques internationales. Les conséquences sur l’orientation de la recherche économique font encore débat et cela masque des inégalités encore très présentes dans la profession.

Un article issu du numéro 27 – été 2024, de Forbes France

 

Elles ont longtemps été les grandes absentes des plus hautes instances des institutions économiques. Mais ces dernières années, plusieurs femmes se sont imposées à la tête de ces organismes. En 2011, c’est une technocrate, Christine Lagarde, qui met fin à une hégémonie masculine de plus de soixante ans, en devenant la première femme élue directrice du Fonds monétaire international (FMI). À son départ en septembre 2019 pour la présidence de la Banque centrale européenne, c’est la Bulgare Kristalina Georgieva qui prend les rênes du pompier de la finance mondiale. Deux ans plus tard, Gita Gopinath, Américaine d’origine indienne, professeure à Harvard, est promue numéro 2 du FMI, après avoir été la première femme à y occuper le poste de cheffe économiste. Au sein d’organisations moins médiatisées, la Française Odile Renaud-Basso est à la tête de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement depuis près de quatre ans. L’Espagnole Nadia Calviño dirige la Banque européenne d’investissement depuis 2024.

« C’est dans l’intérêt commun qu’il y ait une meilleure représentativité des femmes à ce type de poste car cela favorise le débat, l’émergence d’idées nouvelles, la mise en place de nouveaux procédés », soulève Laurence Boone, cheffe économiste de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) de 2018 à 2022. Durant son mandat, l’ancienne secrétaire d’État chargée de l’Europe fut à l’initiative d’une réunion mensuelle avec cinq autres femmes économistes ayant des postes à responsabilité au FMI, à la Banque mondiale et la Réserve fédérale américaine. « Ce groupe informel nous a permis d’approfondir certains sujets en partageant nos informations et d’accroître la coopération entre nos différentes institutions, se rappelle-t-elle. En tant que femmes nous avons peut-être moins besoin de prouver que l’on a raison quand nous discutons entre nous que de répondre aux problématiques ensemble. »

 

Influence à nuancer

Certains observateurs estiment que l’irruption de femmes à des postes importants dans ces institutions internationales pourrait ainsi influencer l’orientation de la recherche économique. « Elles ont tendance à être plus intéressées par les travaux empiriques, relève Paula Bustos, présidente du comité Women in Economics au sein de la European Economic Association. Par exemple, Gita Gopinath a apporté d’importantes contributions à la finance internationale en transposant certaines théories vers la production de preuves empiriques solides. Elle a apporté une approche plus factuelle au travail politique du FMI. » Selon une étude américaine datant de 2013, les femmes seraient également plus favorables à la redistribution et à l’intervention de l’État. Ces derniers temps, le FMI et la Banque mondiale, longtemps gardiens de l’orthodoxie budgétaire, se sont mis à prôner des augmentations d’impôts sur les plus riches et les multinationales pour financer la transition énergétique notamment. Faudrait-il voir dans ce changement de paradigme une quelconque influence de la gente féminine ?

Pour l’économiste de la Banque de France, Soledad Zignago, également membre du comité de promotion des femmes de l’Association française de sciences économiques, gare à ne pas surévaluer les conséquences de ces nominations sur la trajectoire prise par ces organisations. En effet, les principales différences établies entre les experts des deux genres restent les domaines de recherches et non l’approche économique. « Les femmes vont généralement plus se diriger vers des thématiques comme la santé, les inégalités, l’éducation, mais ce ne sont pas ces profils qui vont se retrouver à la tête des institutions financières internationales », observe-t-elle. La chercheuse prend l’exemple d’Esther Duflo, deuxième femme à avoir obtenu le prix de la Banque de Suède (prix Nobel d’économie) en 2019 pour ses travaux sur la lutte contre la pauvreté.

 

Écran de fumée ?

L’émergence de premiers rôles masque toutefois une réalité plus contrariée : la science économique reste un univers où les femmes sont sous-représentées. Selon RePEc (Research Paper in Economics), elles ne représentent que 26 % des économistes dans le monde, le taux grimpe à 32 % en France. « On peut parfois entendre que les femmes s’intéressent moins à l’économie que les hommes mais c’est faux, souffle Soledad Zignago. Il y a clairement un biais de ce qui est conçu comme féminin dans nos sociétés occidentales. » D’autant que plusieurs études démontrent qu’elles subissent une « discrimination implicite » au sein de la profession. Alors que des initiatives émergent pour résoudre le problème, l’économiste espère que ces « nominations prestigieuses poussent la nouvelle génération à briser le plafond de verre ».

Dans le milieu financier, le constat est encore plus amer. 86 % des grandes institutions (banques centrales, fonds de pension, fonds souverains, banques commerciales) sont dirigées par des hommes, selon un rapport de l’OMFIF (Official Monetary and Financial Institutions Forum) expliquant qu’à ce rythme « il faudra 140 ans pour atteindre la parité ». « Les banques centrales symbolisent la domination des hommes dans ce type d’instances », observe Laurence Boone. Au sein de la BCE, seules deux femmes siègent au conseil des gouverneurs (son principal organe de décision) pour 26 places. Pour ceux qui voient le verre à moitié plein, le nombre de représentantes féminines a doublé depuis la prise de fonction de Christine Lagarde. C’est dire…


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