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Le paradoxe du financement des start-up de la santé en France : un système à réinventer

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« Bien que notre écosystème de financement de la HealthTech soit robuste, comme en témoigne l’investissement de près de 1,2 milliard d’euros par Bpifrance en 2023, les défis de financement durant la phase d’industrialisation demeurent significatifs. »

Une contribution de Lucas Thiery, co-fondateur de MedInTechs

 

Malgré le dynamisme de la France dans le domaine florissant de l’innovation en santé, un paradoxe préoccupant demeure : en dépit de financements publics substantiels en phase d’amorçage, de nombreuses startups prometteuses échouent à un moment critique de leur développement. Ce phénomène met en lumière une faille systémique dans notre approche du financement de l’innovation en santé, un problème qu’il est urgent de résoudre.

 

Un écosystème dynamique en croissance 

D’après le Panorama 2023 de France Biotech* dévoilé récemment, la filière HealthTech française, incluant biotechs, medtechs, et acteurs de la santé numérique, reste très dynamique. Incarnant l’avenir de notre système de santé numérique, elle représente aujourd’hui 60 000 emplois et compte 2600 entreprises, un nombre qui a doublé en quatre ans. Côté financement, en 2023, ce secteur a attiré près de 1,8 Md€ en levées de fonds en 2023 faisant de la France le 2e pays européen après le Royaume Uni en montants levés en capital-risque et nombre d’opérations.

 

Une divergence d’intérêt public-privé

Bien que notre écosystème de financement de la HealthTech soit robuste, comme en témoigne l’investissement de près de 1,2 milliard d’euros par Bpifrance en 2023, les défis de financement durant la phase d’industrialisation demeurent significatifs. Les financeurs publics visent à stimuler l’innovation pour répondre aux besoins du système de santé français, renforcer la souveraineté nationale, créer des emplois et favoriser la réindustrialisation de la France, dans l’espoir de créer des champions nationaux ou européens. En revanche, les financeurs privés, tels que les sociétés de capital-risque et les business angels, cherchent avant tout à maximiser leur retour sur investissement. Cela les pousse à cibler des marchés mondiaux nécessitant des investissements préalables substantiels et des preuves de concept à la fois solides et coûteuses.

 

De l’argent public parfois investi en pure perte

 Cette divergence d’intérêts mène souvent à une situation dramatique où des projets prometteurs, initialement soutenus par d’importants fonds publics, se retrouvent dans une impasse lors du développement international par manque de financement, notamment durant la phase cruciale et coûteuse des essais cliniques nécessaires pour obtenir les certifications CE en Europe ou FDA aux États-Unis. Par conséquent, des innovations potentiellement révolutionnaires, capables d’améliorer la vie de millions de patients, restent à l’état de prototype, et les investissements publics initiaux se perdent sans aucun retour pour notre pays. Un autre scénario tout aussi préjudiciable pour la souveraineté nationale est le rachat de ces start-ups par des leaders mondiaux étrangers, qui en tirent d’importants bénéfices alors que la France y a investi des millions d’euros.

 

Rachetées par des leaders mondiaux étrangers

Entre 2012 et 2021, pas moins de huit start-ups stratégiques, dont plusieurs HealthTechs, ont été rachetées par des fonds américains ou japonais. En 2016, MedTech, une start-up spécialisée dans les robots d’assistance chirurgicale, a été acquise pour 164 millions d’euros par Zimmer Biomet, le leader mondial américain des soins musculo-squelettiques. Bien que MedTech ait levé des fonds lors de son introduction en bourse, les ressources financières nécessaires pour soutenir sa croissance à l’export, représentant 80 % de son activité, étaient colossales. La start-up a donc opté pour un rachat. Toujours en 2016, eDevice, une start-up bordelaise pionnière de l’IoT et leader de la santé connectée, a été acquise pour 94 millions d’euros par iHealth, appartenant au puissant groupe chinois Andon et spécialisé dans les solutions d’e-santé. Cette acquisition permet à eDevice d’étendre sa présence sur les marchés américains et asiatiques et de financer son développement.

 

Réunir les parties prenantes à un stade précoce

Il est donc important de repenser notre approche. Une collaboration étroite et précoce entre les acteurs publics et privés du financement est indispensable. Dès les premières phases de développement, il est crucial de réunir autour de la table les fonds d’investissement, les acteurs publics et les entrepreneurs pour envisager un financement qui prenne en compte la trajectoire complète du projet, de sa conception jusqu’à son déploiement à grande échelle. Ce consortium pourrait évaluer la qualité des projets sous tous ses aspects : innovation, impact sanitaire, potentiel commercial et faisabilité réglementaire.

Il est également essentiel de repenser les mécanismes de financement public pour qu’ils s’étendent au-delà de la phase d’amorçage. Des dispositifs de co-investissement public-privé pour les phases critiques de développement clinique pourraient être mis en place, permettant ainsi de partager les risques et de maintenir l’alignement des objectifs tout au long du parcours de la start-up.

Le système actuel de financement des startups de santé en France, bien qu’initialement généreux, souffre d’un manque de vision à long terme et de coordination entre les acteurs publics et privés. Il est crucial de réinventer ce système et de favoriser une collaboration étroite entre financeurs publics et privés dès les premières étapes. En créant ainsi un environnement propice, l’innovation en santé pourra véritablement s’épanouir, de l’idée initiale jusqu’au déploiement à grande échelle, au bénéfice de notre économie, de notre système de santé et, surtout, des patients qui attendent ces innovations.

 

* https://france-biotech.fr/wp-content/uploads/2024/02/RAPPORT_PANORAMA_2023.pdf

 


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