Rechercher

Le paiement, un nouvel enjeu de souveraineté

paiement
Paying for food and drinks at cafe made easy with credit cards.

Une contribution Antoine Laronze, Phygital Payment Director chez Linxens

 

La souveraineté en matière de paiement est un sujet qui prend aujourd’hui de l’ampleur dans toutes les régions du monde, que ce soit en raison des tensions géopolitiques croissantes, des sanctions économiques ou de l’influence grandissante des géants mondiaux de la technologie. De plus, ces différentes perturbations surviennent alors que le marché est en pleine mutation depuis une dizaine d’années.

D’un côté, on observe l’essor des cryptomonnaies, des stable coins et des portefeuilles numériques tels qu’Apple Pay, Google Pay et WeChat Pay mais aussi, de l’autre, celui des grands réseaux internationaux de paiements.  L’essor de ces organisations bouleverse les équilibres et force les autres parties prenantes aussi bien privées que publiques à réagir.


En parallèle, de nombreuses innovations redessinent les parcours clients. Pour en citer deux d’entre elles : les paiements instantanés, qui permettent des transactions rapides et sécurisées en temps réel, gagnent du terrain et ont de fortes chances de devenir le nouveau standard attendu par les consommateurs. L’open banking, qui favorise le partage des données bancaires entre acteurs autorisés, ouvre la voie à des services financiers innovants et personnalisés.

 

L’heure est à la mobilisation

Face à cette situation, les différents pays et régions du monde renforcent leur souveraineté en matière de paiements et adaptent leurs réglementations, le défi étant de tirer parti de l’innovation pour protéger leurs intérêts ainsi que ceux de leurs entreprises et citoyens.

Pour un pays, anticiper et accompagner ces changements devient nécessaire non seulement pour préserver son autonomie, mais aussi pour saisir les opportunités offertes par ces nouvelles tendances et stimuler ainsi sa croissance économique tout en favorisant l’émergence de champions locaux ou régionaux.

A l’échelle mondiale, la quasi-totalité des banques centrales travaillent sur les versions digitales de leurs monnaies fiduciaires. Ces nouvelles monnaies, appelées Monnaie Numérique de Banque Centrale (MNBC), ont un caractère stratégique d’ancrage de la monnaie centrale dans l’univers tokénisé, mais elles offrent également un moyen d’améliorer l’inclusion financière numérique.

 

La réponse européenne

En Europe, l’un des projets phares du chantier de la souveraineté des paiements est l’Euro numérique, sur lequel travaille la Banque Centrale Européenne (BCE) et qui est actuellement en phase d’expérimentation. Les banques et autres institutions financières devraient être des partenaires clés dans ce processus, contribuant à façonner un paysage des paiements plus efficace, sécurisé et adapté aux besoins des citoyens. Nous saurons d’ici fin 2025 si l’Euro numérique sera lancé ou non.

D’autres projets visent également à créer un environnement de paiement plus souverain. L’European Payments Initiative (EPI), lancée en 2020, constitue une initiative significative de la France, de l’Allemagne et de la Belgique dans cette direction. Fruit de ce travail, le nouveau portefeuille numérique WeRo vient d’être lancé en France. Cette nouvelle offre vient remplacer Paylib et intégrer progressivement les 15 millions d’utilisateurs sur le marché français. Déjà disponible en Allemagne et prochainement en Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg, ce nouveau portefeuille électronique constitue un véritable pas en avant vers une plateforme de paiement européen.

Partout en Europe, des initiatives similaires telles que Bizum en Espagne (27 millions d’utilisateurs), Bancomat en Italie (37 millions d’utilisateurs), SIBS au Portugal (5 millions d’utilisateurs), et Swish en Suède (8 millions d’utilisateurs), montrent une dynamique de souveraineté locale ouverte à des collaborations au niveau européen. L’accord annoncé ce début d’année entre Bizum, Bancomat et SIBS visant à garantir l’interopérabilité de leurs solutions de paiement mobile illustre une tendance ambitionnant à la fois l’interopérabilité et l’indépendance.

À l’échelle française, cette ambition vient d’être réaffirmée par le Comité National des Moyens de Paiement dans le cadre de son nouveau plan stratégique. Ce plan, qui définit les priorités de l’écosystème des paiements français pour les six prochaines années, a inscrit l’attractivité et la souveraineté parmi ses trois axes majeurs.  Le réseau Carte Bancaire (CB) déploie également des efforts dans ce sens avec comme en témoigne, le changement de son logo désormais aux couleurs du drapeau français.

 

Le développement des filières électroniques régionales, un pilier de la souveraineté des paiements

Enfin, le volume des transactions digitales a atteint 1 411 milliards en 2023 et est en passe d’atteindre 1 650 milliards en 2024 et même 2 838 milliards d’ici 2028 d’après Capgemini. Sachant que la plupart de ces transactions de paiement dans le monde se font par carte bancaire (57 % des transactions globales en 2023, toujours d’après Capgemini), le maintien du contrôle de son infrastructure et de son autonomie est un enjeu critique.

Les initiatives visant à créer un système industriel indépendant et résilient, reposant sur des filières régionales de développement et de fabrication de cartes, sont cruciales. Celles-ci doivent être capables de relever les défis technologiques et économiques actuels et d’embarquer tous les acteurs de la chaîne de valeur.

Sur ce sujet, les efforts de l’Union européenne en faveur la réindustrialisation de la filière de l’électronique sont considérables. L’ambition de l’UE est d’assurer une part de 20 % de la production mondiale de semi-conducteurs d’ici 2030. Elle devra être cependant complétée par des objectifs ambitieux en matière de conditionnement avancé et de substrats de circuits intégrés.

Actuellement, l’UE ne détient que 2 % et 1,3 % de ces marchés, respectivement, selon l’association internationale IPC. De même, de nombreuses régions du monde vivent dans des « hôtels technologiques » où « elles ne possèdent rien, où elles louent tout », comme le dit si bien le journaliste Tariq Krim. Un défi considérable vise à consolider la filière du paiement sur ce que l’on détient vraiment, afin de réduire les risques de pénurie et renforcer la résilience du secteur face à des crises globales.

 

Le paiement a un tournant décisif

Le paiement s’affirme comme un enjeu stratégique de souveraineté pour chaque région du monde. Les initiatives publiques et privées se multiplient pour contrer les GAFAM et autres géants internationaux. Cette indépendance se gagnera grâce à la capacité de ces acteurs à faire émerger de nouveaux leaders et à déployer des offres innovantes, tout en s’appuyant sur un ancrage régional. Ils innovent, explorent, investissent et légifèrent, car l’enjeu est de taille et se joue aujourd’hui. À la clé : une indépendance technologique et industrielle, une compétitivité décuplée, et des expériences utilisateurs toujours plus fluides et sécurisées.


À lire égalementL’essor des agents d’IA marquera-t-il l’émergence des licornes unipersonnelles ?

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Newsletter quotidienne Forbes

Recevez chaque matin l’essentiel de l’actualité business et entrepreneuriat.

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC