La dernière livraison mensuelle des statistiques de Pôle Emploi le 24 janvier dernier fournit une énième démonstration qu’une reprise même solide de la croissance (+1,9% en 2017) ne suffit pas à faire reculer le chômage. La France a ainsi terminé l’année avec 3,7 millions de demandeurs d’emploi de catégorie A. En zone euro, le chômage poursuit sa décrue, ne touchant plus que 8,7% de la population active (1 point de moins qu’un an plus tôt) en moyenne, contre 9,2% dans notre pays. La preuve que pour faire baisser le chômage structurel, il faut mettre très vite le cap sur un objectif dépassant tous les autres : combler le déficit de compétences qui empêche encore nos entreprises d’embaucher à hauteur de leurs besoins et empêche l’économie française de prendre son envol.
Pourquoi le chômage reste encore à des niveaux stratosphériques, alors que la croissance est bien orientée, et bien plus forte que ce qui avait été prévu initialement pour 2017 ? Tout se passe comme si un mauvais génie prenait un malin plaisir à empêcher notre économie de se relever complètement, alors que certains indicateurs (le climat des affaires, l’investissement des entreprises, les défaillances d’entreprises…) sont de nouveau au « vert » depuis plusieurs mois. À y regarder de près, il n’y a en réalité pas l’ombre d’une malédiction planant sur la France. Et pas le plus petit mystère pour comprendre les origines du mal qui la frappe.
Quand embaucher devient une épreuve
Pour sortir de la spirale du chômage de masse, notre appareil productif national ne doit pas seulement se mettre à investir à plus grande échelle, ce qu’il a commencé à faire l’an dernier (+4,3%), il doit être aussi en mesure de trouver la main d’œuvre utile pour répondre à la demande qui s’adresse à lui. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. La quasi-totalité des dirigeants de PME et d’ETI (83% selon un sondage récent de BPI France) déclare éprouver des difficultés récurrentes à recruter. Rien qu’en 2017, ce sont entre 200 000 et 330 000 emplois proposés par les entreprises qui n’auraient pas été pourvus, selon le directeur général de Pôle Emploi, Jean Bassères. Des difficultés de recrutement qui se sont nettement aggravées dans la période récente et qui se situent actuellement au même niveau qu’en 2007, alors que le taux de chômage était 2 points plus bas. Une situation qui suggère un lourd problème de compétences.
Trouver les ressources utiles est un problème qui touche presque tout le monde, même si de fortes disparités géographiques et fonctionnelles sont observées. Ainsi, la Bourgogne-Franche Comté et la Normandie semblent plus touchées que la Bretagne, la Paca et l’Occitanie, qui s’en tirent mieux. Certains métiers sont également plus affectés en moyenne par des tensions entre l’offre et la demande. Et ce ne sont pas forcément ceux qu’on imagine d’emblée : les profils opérationnels (techniciens, ouvriers, chauffeurs…) représentent à eux seuls 72% des difficultés de recrutement, contre « seulement » 42% par exemple pour les commerciaux.
Comment sortir de ce tunnel qui assombrit nos perspectives de porter un coup fatal à ce chômage endémique qui ronge le consensus social, et renforce aussi la segmentation sur le marché du travail, entre ceux qui parviennent à attirer des talents (grands groupes et start-up) et ceux qui n’y parviennent pas (TPE-PME en premier lieu) ?
Le défi devant nous est double : à la fois économique et sociétal. Car les chômeurs de longue durée (moins qualifiés en moyenne) n’arrivent toujours pas à bénéficier du rebond de la croissance, tandis que l’extrême tension qu’on observe sur le marché des personnes très qualifiées pourrait encore pénaliser la France dans la course aux talents dans plusieurs domaines, dont celui si prometteur de l’intelligence artificielle (IA).
L’agenda gouvernemental, par essence contraint, donne l’impression de privilégier une réponse et une seule aux difficultés à embaucher que rencontrent actuellement les employeurs : la formation professionnelle. On ne peut pas en vouloir à Emmanuel Macron. Après les Ordonnances Travail en septembre dernier, il était indispensable de donner des gages à ceux qui pouvaient réclamer le juste équilibre entre le nécessaire « libérer » et le non moins important « protéger » qu’incarne si bien la formation.
Accélérer la requalification des salariés et des jeunes décrocheurs
Quoi qu’il en soit, la réforme de la formation continue représente un instrument incontournable pour remédier aux problèmes de recrutement dès lors que jeunes décrocheurs et chômeurs de longue durée représentent une population de 2 millions de personnes injustement et durablement à l’écart de l’emploi. Le plus important dans la réforme en cours est de bien cibler les moyens dans leur direction ainsi que vers les non-diplômés qui travaillent, car ces derniers bénéficient de près de 3 fois moins d’heures de formation que les bac+3 et plus.
Si la formation professionnelle a été le premier instrument dégainé par les équipes d’Edouard Philippe, c’est aussi parce qu’on peut en attendre des résultats dans un délai raisonnable. Ce qui n’est pas le cas de la formation initiale. Les effets d’une réforme approfondie du bac (annoncée par le gouvernement sur la base des préconisations du rapport de Pierre Mathiot, mais qui n’interviendra pas avant 2021) ou de l’université prendront des années… Raison de plus, à vrai dire, pour s’atteler à la besogne sans tarder ! Car les enquêtes disponibles (PISA, enquêtes spécifiques sur le niveau en mathématiques ou en conjugaison écrite des enfants) montrent que la France se situe toujours dans le peloton de queue des pays pour le niveau des jeunes… Chaque année, ce sont 18% des 15-29 ans qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme, alors que la moyenne des pays riches de l’OCDE est plutôt autour de 6 à 8%.
Ces jeunes déscolarisés et sans emploi (que l’OFCE n’hésite plus à qualifier de « NEETs » : no Education, no Employment, no Training) constituent hélas le réservoir des « chômeurs structurels » de demain. Agir conjointement sur les fronts de la formation professionnelle et de la formation initiale s’impose donc comme une urgence vitale pour préserver les chances de notre économie et notre cohésion sociale.
Mais cela ne suffira en aucun cas à redresser la barre à court terme.
Etre attractive ou mourir : le dilemme impossible de la PME
D’ores et déjà, il faut aider les PME et les ETI à mieux tirer parti du mouvement d’élévation du niveau général de qualification de la population active. C’est le seul moyen de compenser leur déficit d’attractivité pour attirer les talents français et étrangers. Or, ce travail prend aujourd’hui beaucoup de retard, au risque de condamner de nombreuses entreprises de moins de 250 salariés à déposer la clé sous la porte. Une grande campagne de sensibilisation des dirigeants de PME à la formation gagnerait à être organisée avec le soutien des fédérations et des organisations patronales : ils ne sont aujourd’hui qu’une minorité à voir dans la formation une opportunité et la regardent plutôt comme une charge. Comment faire autrement aussi que de structurer une offre d’accompagnement des cabinets de conseil et des réseaux d’appui pour aider les petits patrons à moderniser leurs pratiques RH, afin de mieux fidéliser leurs salariés ? Tout reste à faire ou presque pour rapprocher le monde des petites et moyennes entreprises d’un marché qu’ils connaissent mal et qui ne regarde pas toujours sa potentialité à sa juste valeur.
L’intelligence artificielle, cible prioritaire de la course aux talents
La course aux talents, si elle touche les PME au premier chef, devient le problème de toute l’économie française à l’heure du numérique et de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui,GAFA, start-up et grandes entreprises traditionnelles se disputent les meilleurs experts de l’intelligence artificielle, au détriment de la recherche publique française. Malgré les dispositions déjà prises (à l’instar des conventions industrielles de formation pour la recherche, facilitant l’intégration des doctorants en entreprise), on enregistre encore beaucoup trop de départs des instituts de recherche académiques (Inria, CNRS…) vers le monde des entreprises (y compris étranger).
Il est grand temps pour la France d’adopter sa future stratégie nationale en matière d’IA, qui n’attend plus que les conclusions de la mission confiée par le gouvernement à Cédric Villani. Plus que quelques semaines avant d’en connaître les conclusions, alors qu’il se murmure déjà que le député pourrait proposer de favoriser la « multi-appartenance », afin qu’un chercheur du public puisse aussi travailler dans le privé. Puisse-t-il être entendu jusqu’au plus haut niveau de l’Etat.
Au 48ème Forum économique mondial de Davos le mois dernier, l’élite politique et industrielle présente n’avait qu’un mot à la bouche : « reskilling ». Avec la révolution technologique en marche, la « requalification » des salariés est le défi le plus important que l’Europe ait eu à relever depuis 1945. Car le numérique et l’IA vont toucher chaque usine, chaque emploi et se propagent à une vitesse qui oblige ceux qui veulent ne pas subir le mouvement à faire un effort massif de formation. Les réformes en cours montrent que la France ne veut pas rester en marge de cette gigantesque et turbulente transformation.
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