Le prix du bitcoin a grimpé récemment, en atteignant la somme de 2900 dollars au cours des trois derniers mois, soit plus du double de son prix initial.
Sa flagrante montée cache toutefois un élément qui ne peut échapper a un oeil averti: la communauté bitcoin est en guerre avec elle-même et au plus près que jamais d’un risque de rupture. La situation a déjà eu un impact sur la valeur du bitcoin.
Au-delà de la simple question de savoir comment mettre a jour le réseau afin qu’il supporte plus de transactions, la lutte de pouvoir qui sévit engendre une augmentation des frais a tel point que, pour certains types de transaction, le bitcoin est presque inutilisable. Les transactions qui ne devraient prendre que dix minutes prennent des jours ou ne passent pas du tout, et le coût moyen des frais est de 4,75 dollars – une évolution négative pour un réseau dont les promoteurs se sont un jour vantés du fait qu’il était moins cher que Visa.
Ce qui est encore plus alarmant, c’est le fait qu’alors que la nouvelle monnaie abonde dans des actifs cryptes, les entreprises se détournent du bitcoin en faveur d’autres types de transactions spécialisées. Ce qui signifie qu’un nombre incalculable de transactions qui pourraient être effectuées avec le bitcoin, dont le prix grimpe, vont maintenant être effectuées avec d’autres réseaux similaires. En ce sens, des entreprises qui ne font pas partie du secteur sont a présent en train de créer leur propre crypto-monnaie, mais pas avec le bitcoin. Par exemple Kik, l’application de messagerie instantanée qui prévoit de lancer une nouvelle monnaie nommée Kin, développe cette dernière sur Ethereum (un réseau d’ordinateurs permettant de créer un nouveau type d’applications). Ces facteurs combinés à la frénésie spéculative des tokens qui ne sont pas des bitcoin, et la guerre civile a l’intérieur même de la communauté bitcoin, ont finalement amené sa capitalisation boursière à un pourcentage de moins de 50%, prenant en compte toutes les crypto-monnaies, pourcentage atteint pour la première fois il y a quelques semaines. Pendant des années, il a tourné autour de 80-90 %. Il ne s’est toujours pas remis de sa chute.
Apres avoir noté que la communauté bitcoin avait essayé d’éviter certaines mises a jour techniques qui comportent le risque de provoquer une rupture créant deux versions du bitcoin (l’une d’une valeur plus élevée, l’autre moins élevée) Mike Belshe, directeur général de BitGo, une entreprise de sécurité de la crypto-monnaie qui soutient le bitcoin, affirme que du fait de l’inactivité, « de bien des manières le bitcoin connait déjà une rupture. Beaucoup de personne ne l’utilisent plus. Les gens retirent leur monnaie du bitcoin et la convertissent en une autre crypto-monnaie…Si le bitcoin avait été efficace sur tous les plans il y a deux ans, en répondant au besoin de toutes ses composantes, verrions-nous apparaître ces nouvelles monnaies ? Le Bitcoin avait le marché pour lui seul, ce n’est plus le cas aujourd’hui. »
Pourquoi il est improbable que le Bitcoin se remette vite sur pieds
Pour comprendre comment le bitcoin est passé d’une controverse longue de deux ans a une guerre sans merci, il nous faut d’abord faire un retour sur la théorie du bitcoin. Comme je le notais alors, « la magie du bitcoin consiste en la capacité qu’ont plusieurs joueurs présentant des intérêts différents de prendre part a un système qui jusqu’à présent a débouché sur un résultat optimal pour chacun d’eux. » Comme on s’y attendrait, cependant, quand des groupes présentant des intérêts opposés doivent interagir les uns avec les autres, la tension monte. Alors que dans des projets précédents les diverses parties présentant des objectifs opposés pouvaient se séparer, dans le projet bitcoin nul ne veut quitter ce qui a jusqu’alors était un jeu hautement lucratif pour chacun. Si le bitcoin a de nombreuses composantes, l’une des plus importantes est celle des développeurs, qui sont en quelque sorte les concepteurs du jeu. Un autre groupe d’une importance majeure se compose d’entités qui gèrent le réseau bitcoin depuis leurs ordinateurs (appelés « mineurs »); ils sont considérés comme les opérateurs du jeu.
Il y a un an et demi, dans le cadre de ce qui s’est fait connaître par le nom d’Accord de Hong Kong, certains des développeurs et des opérateurs de jeu/ mineurs ont mis au point un accord sur la façon de permettre plus de transactions sur le réseau à toute heure. Dans cet accord un élément du nom de SegWit intéressait les développeurs, de même qu’un élément additionnel voulu par les opérateurs de jeu, appelé cap 2MB. SegWit organise les transactions de manière plus efficace, avec plus de transactions sur le réseau à tout moment, alors que faire passer le plafond de 1MB to 2MB ne fait que permettre de recevoir plus de données si les développeurs ne sont pas mieux organisés.
Cet accord a ensuite été désavoué par l’ensemble des développeurs/concepteurs, en expliquant cela par le fait que certains individus en dehors de leur groupe ne l’avaient pas approuvé. Ils ont après cela commencé à ne préparer que le changement de concept qu’ils désiraient, soit SegWit. Cependant, ils ont besoin des opérateurs de jeu/mineurs pour l’utiliser, et d’un mineur en particulier, du nom de Bitmain. Bitmain, dirigé par Jihan Wu, fabrique aussi des équipements de minage et a fait main mise sur son implémentation, en essayant de forcer les développeurs à aussi élever la limite de 1 MB.
Le mois dernier, 58 entreprises réparties dans 22 pays et rassemblées par l’un des plus grands investisseurs dans le domaine, Digital Currency Group, dirigé par Barry Silbert, ont établi un compromis qui n’était essentiellement qu’une révision de l’accord de Hong Kong. Bien qu’une puissance économique importante puisse reposer sous ce qui est maintenant appelé l’accord de New York, aucun des principaux développeurs ne l’a signé. Le grand développeur de Bitcoin Eric Lombrozo considère que le coeur de Barry Silbert « bat pour la bonne cause », mais qu’au bout du compte « l’accord de New York n’est peut-être pas du tout la solution pour régler ces choses. » Le week-end dernier, Lombrozo a finalement rédigé un texte dans lequel il déclare n’avoir « plus confiance du tout en Jihan Wu et Bitmain. »
Les développeurs et mineurs n’ayant toujours pas trouvé une façon d’avancer, nous en venons au troisième groupe, et le plus important de la théorie de jeu du bitcoin: celui des utilisateurs. Ce groupe exerce le contrôle ultime dans l’univers du bitcoin. Si le bitcoin se séparait en deux pièces de monnaie, les utilisateurs détermineraient lequel est le « véritable » bitcoin simplement en choisissant de faire plus de transactions avec l’un des deux, augmentant ainsi son prix. Cependant, les développeurs de bitcoin et les mineurs n’ont aucune façon de déterminer par avance la version du bitcoin vers laquelle les utilisateurs se tourneraient. Quand l’un peut dire que les 20.5 millions de portefeuilles représentés par les entreprises ayant signé l’Accord de New-York constituent un pourcentage important, pour l’instant certains utilisateurs qui soutiennent les principaux développeurs et qui sont mécontents du fait que Bitmain ait entravé l’adoption de SegWit ont pour but d’arracher le contrôle des mains des mineurs. Ils tentent de trouver un moyen de forcer l’activation de SegWit, ce qu’ils appellent un « user-activated soft fork »(UASF) une sorte de déclaration de guerre aux mineurs. Dans une vidéo sur l’UASF et présentant le bitcoin « maximaliste », Tone Vays – convaincu que dans le future il n’y aura qu’une monnaie cryptographique et qu’il s’agira du bitcoin -commence par un plan de lui, se trouvant dans les bois et portant une chemise de flanelle ainsi qu’une casquette de camouflage UASF, avec un bandana Bitcoin masquant son visage à l’exception de ses yeux, les bras croisés, une machette tendue dans une main et une hache dans l’autre. Les utilisateurs de bitcoin pourraient supporter l’idée, mais il n’est pas sûr qu’ils recueillent le soutien nécessaire à son accomplissement. Elle ne reçoit pour le moment que 22% de support de la part d’entreprises du secteur, et une date limite fixée au 1er Août.
Une ou deux autres offres en vue de permettre plus de transactions dans le réseau ont été avancées, mais parce qu’elles sont plus récentes, le calendrier nécessaire pour les examiner et préparer le codage est encore plus long que pour les propositions présentées plus haut; il est donc improbable que l’une ou l’autre d’entre elles soit adoptée dans un avenir proche.
La raison principale pour laquelle aucune de ces propositions ne semble en mesure d’être mise en route est que, comme l’explique Paul Sztorc, un développeur bitcoin et économiste à l’origine de l’une de ces alternatives, « le bitcoin ne peut fonctionner à moins que les développeurs et les mineurs ne travaillent ensemble » – et à ce jour aucune des propositions n’a reçu de support de la part des deux camps.
Les startups s’en détournent, mais les retombées ne sont pas claires
Les atermoiements et frais élevés motivent déjà les entreprises à quitter le bitcoin, ou à ne pas construire sur cette base. Coinbase, la startup qui mène dans le secteur et qui a le potentiel de devenir bientôt une rareté, était à ses débuts un moyen sûr et simple d’acheter et de stocker du bitcoin. Il y a environ deux ans, l’entreprise basée à San Francisco, soutenue par les semblables du New York Stock Exchange (principale plateforme d’échanges de la Bourse de New York) et Andreessen Horowitz (un fonds américain de capital risque), ont pris part à un effort dans le sens de l’augmentation du nombre de transactions gérables par le réseau. Après l’échec de cette tentative, le cofondateur Fred Ehrsam, qui a depuis quitté l’entreprise, a publié sur un blog un post intitulé, « Ethereum est l’avant-garde de la monnaie digitale ». C’est donc sans surprise que ce printemps, lorsque Coinbase (qui compte 7.5 millions d’utilisateurs) a dévoilé Token, sa dernière production présentée comme la troisième d’une stratégie en trois volets, l’entreprise a choisi de construire celle-ci sur Ethereum. Les frais du bitcoin étaient trop élevés.
Quelques unes des offres initiales de pièces de monnaie qui ont pour l’instant collecté un demi milliard de dollars pour de nouveaux projets ont été conçues pour une construction sur le bitcoin mais ont dû lancer de nouveaux réseaux à la place. Par exemple, le navigateur Brave a commencé sur le bitcoin, mais pour lancer son Token Basic Attention la semaine dernière, il est passé à Ethereum. Le réseau social Yours est lui-même passé du bitcoin à Litecoin à cause des frais élevés. Bitcart, une entreprise de carte cadeau basée en Irlande qui acceptait des paiements en bitcoin a dû abandonner la monnaie digitale la semaine dernière, du fait des problèmes techniques du réseau malgré des volumes de seulement 100 000 dollars environ de ventes en un mois. Il y a un an, l’entreprise a commencé à expérimenter de grands retards de paiements. Par exemple, un utilisateur pouvait acheter pour 1 500 dollars de cartes cadeau avec BitCart et l’entreprise les lui livrait en moins de 24 heures. Cependant, le paiement du client pouvait mettre 2.5 semaines à arriver. « Je ne peux utiliser quelque chose qui prenne pus de 24 heures si mon servicelui-même estcensé être de 24 heures, » fait savoir le PDG Graham de Barra.
Pour ce qui est de l’impact que la fin de cette activité économique aura sur le bitcoin, rien n’est sûr. Quand on y regarde de près, il semble incongru que le bitcoin doive atteindre des sommets à tous les niveaux en même temps que la communauté est au milieu d’une guerre civile sans paix à l’horizon. Chris Burniske, le dirigeant des produits de monnaie digitale chez ARK Investment Management, le premier manager public financé pour investir dans le bitcoin, constate que le prix est le reflet des problèmes auxquels le réseau fait face. « Bien que le bitcoin parvienne à de nouveaux sommets, il tombe précipitamment de son statut de dominant du marché des monnaies cryptographiques », dit il. « Sur un postulat relatif, il est insuffisant pour la catégorie d’actifs. »
L’analyste Chris Burniske présume que la raison pour laquelle le bitcoin a connu une telle ascension relève du fait que la somme de nouveaux bitcoins a été diminuée par eux l’été dernier. Le logiciel de bitcoin divise par deux, tous les quatre ans, le nombre de nouveaux bitcoins produit chaque jour. La précédente diminution, en 2012, a été suivie par une hausse l’année suivante. « Nous avons diminué le taux annuel par deux, mais la demande de bitcoin continue généralement d’augmenter, » explique t-il, « J’étais embarqué dans cette croisade du bitcoin avec des gens provenant de 20 nations différentes. Au Venezuela, les gens se moquent de Ethereum. Ils ne veulent que le bitcoin. Tout le monde, dans l’ouest, est très motivé par l’Ethereum, mais quand vous tentez d’expliquer cela à l’échelle mondiale, le bitcoin est au moins deux fois mieux connu que l’Ethereum. » Son point de vue sur les frais élevés de transaction est que cela prouve combien les gens sont prêts à payer pour utiliser le service.
Cependant, Jake Brakeman, cofondateur de l’outil d’investissement crypté CoinFund, s’inquiète de ce que les frais élevés entrent en contradiction avec le but original ou avec l’anvantage du bitcoin: « Si les frais sont super élevés, alors vous êtes exactemant dans le monde que vous cherchiez à fuir en créent le bitcoin. Le but était d’amener cette technologie à chaque consommateur dans le monde et de lui donner la liberté de la transaction, mais cela n’est pas sur le point d’arriver si les frais sont de 100 dollars. Ce qui va se passer c’est que vous allez vous retrouver avec seulement une classe supérieure ou une poignée de dirigeants qui peuvent l’utiliser pour des transactions, ce qui est l’opposé de sa mission. »
Ce résultat pourrait toutefois ne pas embêter certains membres de la communauté. Les frais de transaction ne sont pas le seul coût dans le réseau. Il y a aussi un coût pour démarrer un ordinateur ou pour un mineur qui soutiendra le réseau, et la peur des développeurs au sujet du passage à un plafond à 2MB augmentera ce coût initial, concentrant ainsi le pouvoir minier dans les mains d’une poignée de gens. Selon Sztorc, « Ceux qui font beaucoup de transactions – les entreprises – perçoivent l’intensité de l’urgence. Ils sont presque atteints de stress post-traumatique, car ils reçoivent des appels tout le temps de la part de personnes se plaignant du fait que leur transaction ne passe pas.
Mais d’autres sont d’une sérénité à toute épreuve. Ils se disent que c’est la façon dont le système doit fonctionner. Les gens qui peuvent payer les frais appropriés réussiront à s’en servir. Ils diront que ces transactions échouées n’existent qu’en petit nombre… Ainsi, pour certains, c’est un bouleversement se répercutant directement sur leur tension, et pour d’autres, tout se déroule à merveille. »
Seul le temps dira lequel de la panique ou du calme est justifié.
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