CRISE | En Asie, les événements de 1997 sont encore, 26 ans plus tard, bien ancrés dans la mémoire des décideurs politiques, des hommes d’affaires et des investisseurs.
Évidemment, le chaos causé par le covid-19 et la faillite de Lehman Brothers en 2008 sont des sources de stress post-traumatique à part entière. Cependant, la crise financière asiatique de 1997 reste profondément ancrée dans les mémoires de Jakarta à Tokyo. Cela s’explique en grande partie par le caractère existentiel de la situation économique.
Pour autant, si la situation économique actuelle fait écho à la crise de 1997, c’est également en raison de l’une des causes profondes de cette crise, à savoir le resserrement draconien de la Réserve fédérale.
Alors certes, l’économie n’est pas sur le point de s’effondrer en Asie. Depuis la fin des années 1990, les gouvernements asiatiques ont généralement renforcé les banques et les institutions économiques, accumulé d’importantes réserves de change et accru la transparence.
Pourtant, le rapport de la Banque mondiale sur Les perspectives économiques mondiales ne manquera pas de faire monter la tension chez les décideurs asiatiques. Il dépeint les perspectives mondiales sous un jour bien plus précaire que ce que la plupart des observateurs prévoyaient il y a quelques mois à peine, et présente un tableau encore plus sombre pour l’avenir.
« La croissance mondiale devrait ralentir de manière significative au cours du second semestre de cette année, cette situation se poursuivra en 2024 », a déclaré la Banque mondiale. « La possibilité d’une agitation bancaire plus généralisée et d’un resserrement de la politique monétaire pourrait se traduire par une croissance mondiale encore plus faible. »
La Banque mondiale a ramené ses perspectives pour 2024 de 2,7 % à 2,4 %. De plus, l’institution avertit que les risques sont résolument orientés à la baisse.
Ce problème s’explique par le fait que les années 2023 et 2024 étaient censées être les années de rattrapage pour l’Asie. Elles étaient considérées comme l’occasion pour la région de rattraper les gains perdus en termes de produit intérieur brut et de niveau de vie et de réduire l’augmentation de la dette publique due à la pandémie.
Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. D’une part, le boom des réouvertures post-covid en Chine ne se déroule pas comme on l’espérait. L’activité d’importation sur le continent n’est pas aussi florissante que le prévoyaient les pays voisins qui espéraient expédier des flottilles de pétroliers en direction de la Chine.
D’autre part, il n’est pas certain que l’équipe du président de la Fed, Jerome Powell, ait fini d’actionner les freins monétaires. Les 339 000 emplois non agricoles supplémentaires créés par les États-Unis en mai, contre toute attente, signifient que même si la Fed fait une pause dans les hausses de taux, elle n’en a probablement pas fini.
À la lecture du rapport de la Banque mondiale et d’autres rapports, on se rend compte que les dommages collatéraux du resserrement mondial le plus rapide depuis les années 1990 s’intensifient de manière imprévisible.
Parallèlement, la puissante progression du dollar, tout comme dans les années 1990, fait qu’il est difficile pour les marchés dépendant du commerce d’attirer et de conserver les capitaux mondiaux nécessaires à la stabilisation de la croissance et du développement. En Asie, le yuan chinois effraie les investisseurs mondiaux.
La crainte d’une chute de la monnaie chinoise a été une préoccupation majeure en 1997 et en 1998. La dévaluation du baht par la Thaïlande le 2 juillet 1997 a déclenché un effet domino régional. L’Indonésie a dévalué sa monnaie peu après, suivie par la Corée. L’onde de choc a ébranlé les économies de la Malaisie et des Philippines.
Fin 1997, c’est au tour du Japon de trembler. L’effondrement spectaculaire de Yamaichi Securities, après 100 ans d’activité, l’une des quatre grandes maisons de courtage japonaises, a paniqué les responsables à Washington. L’idée que ce qui était alors la plus grande économie d’Asie s’effondre à son tour était aussi existentielle que les crises de marché.
Le risque que Pékin dévalue le yuan ajoutait à la paranoïa de l’époque. On craignait que la Chine, qui était alors la deuxième économie d’Asie, ne déclenche une nouvelle vague de dévaluations compétitives, donnant ainsi le coup d’envoi à une dynamique de crise asiatique 2.0.
Heureusement, cela ne s’est pas produit. Cependant, c’est le cycle de resserrement épique de la Fed d’Alan Greenspan en 1994-1995 qui a préparé le terrain pour 1997. Tout d’abord, les hausses de taux de la Fed ont contribué à bouleverser l’économie mexicaine et à pousser le comté d’Orange, en Californie, à la faillite. Ensuite, la hausse pluriannuelle du dollar a rendu les parités monétaires impossibles à défendre à Bangkok, Jakarta et Séoul.
Désormais, ce sont les politiques de la Fed de Jerome Powell qui ont contribué à l’effondrement d’institutions comme la Silicon Valley Bank et, potentiellement, de l’Asie de 2023.
Comme l’attestent les derniers avis de la Banque mondiale, la trajectoire de l’Asie en développement et au-delà est particulièrement « inquiétante ». La hausse des rendements pousse les économies très endettées au bord du gouffre. D’ores et déjà, la Banque mondiale note que la première moitié des années 2020 sera certainement la plus faible des cinq premières années d’une décennie depuis 30 ans.
À cela s’ajoutent les inquiétudes de la Banque mondiale selon lesquelles les perspectives économiques en 2024 « restent faibles » à un moment où la situation budgétaire des pays à faible revenu est « de plus en plus précaire ». À ce moment-là, le poids des coûts d’emprunt élevés deviendra de plus en plus apparent et rattrapera une région qui ne s’est toujours pas remise des crises passées.
Article traduit de Forbes US – Auteur : William Pesek
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