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La révolution philanthropique de Judy Faulkner avec Roots & Wings

Faulkner
Judy Faulkner, fondatrice et PDG d'Epic Systems. GUERIN BLASK for FORBES

Sous la direction de sa fille cadette, Shana Dall’Osto, la fondation familiale Roots & Wings, créée par la fondatrice et PDG d’Epic, prévoit de distribuer environ 100 millions de dollars chaque année à des centaines d’organisations à but non lucratif.

Un article de Katie Jennings pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Lorsque Warren Buffett l’a contactée, Judy Faulkner a accepté de le rencontrer à Omaha pour un dîner. Fondatrice et PDG d’Epic Systems, leader des dossiers médicaux dans le Wisconsin, Judy Faulkner a construit sa fortune au cœur des États-Unis. Lors de son dîner avec le philanthrope américain, celui-ci lui a proposé de signer le Giving Pledge (promesse de don), un engagement des plus riches à donner la majeure partie de leur fortune à des œuvres caritatives. « Je me suis dit que, puisque je voulais donner mon argent, il serait judicieux de m’associer à des personnes qui avaient déjà cette expérience », a confié l’Américaine âgée de 81 ans, à Forbes.

Judy Faulkner, dont la fortune est estimée à 7,7 milliards de dollars par Forbes, a signé la promesse de don en 2015, mais n’a concrétisé ses projets philanthropiques qu’en 2019 avec la création de la fondation Roots & Wings, basée à Seattle. Cette fondation familiale est dirigée par sa fille cadette, Shana Dall’Osto, née en 1979, l’année de la création d’Epic. Malgré le souhait de Mme Faulkner de voir ses trois enfants suivre ses pas en devenant programmeurs informatiques (seul l’un d’eux l’a fait), Shana Dall’Osto a emprunté un tout autre chemin : elle a rejoint le Peace Corps, puis AmeriCorps, avant de s’engager dans une association d’alphabétisation pour enfants et d’obtenir un master en gestion d’organisations à but non lucratif.

Au cours des cinq dernières années, la fondation Roots & Wings a discrètement distribué 200 millions de dollars à 320 organisations différentes, toutes axées sur divers aspects du développement de la petite enfance (voir la liste des bénéficiaires ici). Mme Dall’Osto a confié à Forbes que la fondation avait intensifié ses subventions, car la milliardaire souhaitait « donner davantage de son vivant ». Elle estime qu’à terme, Roots & Wings versera environ 100 millions de dollars par an à des organisations à travers le pays, œuvrant dans les domaines de la santé, de l’éducation et du bien-être des enfants et de leurs familles. « Notre objectif est d’offrir aux enfants un bon départ dans la vie, afin qu’ils puissent atteindre leur plein potentiel », explique Mme Dall’Osto. « Nous considérons ce bon départ comme leurs racines, et leur plein épanouissement comme leurs ailes. »

Tout au long de sa carrière, Mme Faulkner a défié les normes traditionnelles dans sa manière de gérer les affaires. Alors que la plupart de ses concurrents ont opté pour des financements extérieurs et des acquisitions pour développer leurs logiciels, Epic, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 4,9 milliards de dollars en 2023, est restée une entreprise privée, développant ses propres produits en interne. Mme Faulkner et sa fille adoptent également une approche distinctive de la philanthropie. Plutôt que de soumettre les organisations à but non lucratif à un processus d’évaluation complexe et de leur dicter comment utiliser les fonds, leur fondation Roots & Wings part du principe que les organisations sur le terrain savent mieux ce qui est nécessaire. « Si vous leur accordez des fonds, faites-leur confiance et laissez-les prendre les décisions qui s’imposent », affirme Mme Faulkner.

Cette approche est connue sous le nom de philanthropie fondée sur la confiance. Ce mouvement, en pleine expansion, cherche à transformer la relation de pouvoir traditionnelle, souvent descendante, qui a marqué des siècles de dons caritatifs. Un exemple marquant est celui de MacKenzie Scott, qui a déjà distribué 17,3 milliards de dollars sans imposer de restrictions. Au lieu de devoir adapter leurs actions aux exigences spécifiques d’un donateur, les organisations à but non lucratif bénéficient de subventions pluriannuelles sans conditions, avec des exigences minimales en matière de rapports.

Elisha Smith Arillaga, vice-présidente de la recherche au Center for Effective Philanthropy, a expliqué à Forbesqu’il s’agissait d’une question de répartition des responsabilités. « Est-ce au bénéficiaire de fournir les informations nécessaires dans sa demande, ou est-ce à l’organisme donateur de faire, en amont, un travail de diligence raisonnable pour ensuite décider s’il a suffisamment confiance en l’organisation pour investir dans celle-ci ? »

La décision de Roots & Wings de ne pas imposer de restrictions quant à l’utilisation de ses fonds est directement liée à l’expérience personnelle de Mme Dall’Osto, qui a travaillé au sein d’une association d’alphabétisation. Cette organisation peinait à rémunérer son personnel, car les subventions étaient exclusivement destinées à l’expansion des programmes de lecture, sans permettre de couvrir les salaires des personnes en charge de leur mise en œuvre. « On dit qu’un cadeau est offert sans contrepartie, mais qu’une subvention est souvent assortie de conditions », explique-t-elle. « Si les fonds ne peuvent être utilisés que pour les programmes et non pour les frais généraux, cela enferme les organisations à but non lucratif dans un cycle de pénurie, les empêchant de se développer et de prospérer. »

Ruth Schmidt, directrice exécutive de la Wisconsin Early Childhood Association, se souvient d’avoir reçu un appel de Mme Dall’Osto en avril 2021. Il ne s’agissait pas d’argent, mais d’une conversation sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur les services de garde d’enfants, ainsi que sur « toutes les difficultés rencontrées par le système d’éducation et de soins de la petite enfance ». Quelques mois plus tard, Roots & Wings a accordé à Ruth Schmidt une subvention de 50 000 dollars pour soutenir le fonctionnement général de l’association. Cette aide a ensuite été progressivement augmentée : d’abord à 200 000 dollars, puis à 400 000 dollars, pour finalement atteindre 2 millions de dollars. Selon Mme Schmidt, ces fonds flexibles ont offert à son organisation « une marge de manœuvre exceptionnelle ». Plutôt que de devoir constamment chercher des financements pour couvrir les coûts de fonctionnement, la Wisconsin Early Childhood Association a pu disposer des ressources nécessaires pour planifier sa croissance. Elle a ainsi choisi d’investir davantage dans le personnel et la recherche politique indispensables pour promouvoir les services de garde d’enfants comme un « bien public » méritant un investissement de l’État, au même titre que l’éducation publique.

Ingénieure logicielle de longue date, Mme Faulkner applique à la philanthropie la même rigueur méthodique que dans sa gestion des affaires. Son projet pilote de philanthropie a débuté en 2012 avec la Magic Pebble Foundation, qui a distribué environ 1,5 million de dollars par an à une centaine d’organisations sur une période de huit ans. « Cela nous a permis, en tant que famille, de nous initier à la philanthropie et de mieux comprendre les besoins de la communauté », explique Mme Dall’Osto.

En 2019, Mme Faulkner a informé sa fille qu’elle souhaitait intensifier son engagement philanthropique. Bien qu’elle se soit engagée à faire don de 99 % de sa fortune à travers le Giving Pledge, l’essentiel de sa richesse reste lié à ses actions dans Epic. La milliardaire, qui détient actuellement près de la moitié de l’entreprise, craint qu’une vente massive ne perturbe sa stabilité. Elle a donc mis en place un fonds fiduciaire pour gérer un processus de rachat progressif de ses actions, à hauteur d’environ 100 millions de dollars par an. Epic rachète ces actions, qui sont ensuite proposées aux employés, et les fonds issus de la vente sont reversés à Roots & Wings.

Roots & Wings a été lancée au début de l’année 2020 avec une dotation initiale de 100 millions de dollars. Lorsque la pandémie a frappé quelques semaines plus tard, Mme Dall’Osto et le seul autre employé de l’organisation ont réussi à débloquer « 50 subventions sans qu’aucune demande ne soit nécessaire », raconte-t-elle. Depuis, ils ont maintenu cette approche rapide et peu contraignante. En effectuant un travail de diligence rigoureux en amont, avant même le premier appel téléphonique avec une organisation à but non lucratif, ils sont souvent capables de proposer une subvention dès la fin de la conversation.

En 2020, Roots & Wings a accordé 15 millions de dollars à 115 organisations. En 2024, Mme Dall’Osto prévoit que la fondation accordera 67 millions de dollars à 305 organisations, avec pour objectif d’augmenter progressivement jusqu’à atteindre 100 millions de dollars par an au cours des cinq prochaines années, potentiellement dès 2027.

Contrairement à certains signataires du Giving Pledge, tels que Chuck Feeney, le milliardaire derrière Duty Free Shoppers, qui s’est engagé à donner l’intégralité de sa fortune de son vivant, Roots & Wings continuera ses activités après le décès de Mme Faulkner. Selon Mme Dall’Osto, la fondation distribue chaque année entre 10 et 15 % de ses actifs totaux en moyenne. C’est bien plus que ce que distribuent la plupart des fondations, qui se contentent souvent du minimum de 5 % exigé par l’Internal Revenue Service (IRS) pour maintenir leur statut d’organisation à but non lucratif. Ce seuil permet aux fondations de durer indéfiniment, car il correspond à peu près au rendement annuel d’un investissement réalisé sur un fonds de dotation.

À mesure que Roots & Wings augmente progressivement ses dépenses, elle finira par épuiser ses ressources. Pour que Judy Faulkner distribue 7,7 milliards de dollars par tranches annuelles de 100 millions, il faudrait environ 80 ans, et encore bien plus de temps pour que Roots & Wings utilise ces fonds, en tenant compte des rendements annuels des investissements et d’une distribution à hauteur de 15 %. Mme Dall’Osto n’a pas souhaité préciser un calendrier exact, affirmant simplement : « Nous prévoyons de continuer à donner pendant de nombreuses années ».

Avec ses sept employés et deux consultants, Roots & Wings se veut une organisation « légère » et « en apprentissage », qui place l’écoute des besoins de la communauté au cœur de ses priorités. Bien que la philanthropie fondée sur la confiance ait été critiquée dans certains milieux pour son manque de stratégie et de responsabilité, Leslie Huber, directrice de l’engagement stratégique chez Way Forward Resources — une organisation à but non lucratif du Wisconsin spécialisée dans l’aide au logement et la distribution alimentaire — a expliqué que cela ne correspondait pas à son expérience. « Avec Roots & Wings, nous ne ressentons pas un manque de responsabilité », a-t-elle déclaré à Forbes. « Tout repose sur leur approche : ils privilégient les relations humaines plutôt que les formalités administratives. » 

Mme Dall’Osto espère que d’autres donateurs s’inspireront de cet exemple et laisseront les organisations à but non lucratif gérer leurs propres actions, plutôt que de les enfermer dans une bureaucratie lourde. « Il vaut mieux injecter l’argent directement dans la communauté et soutenir plusieurs organisations, même si l’une d’entre elles n’atteint pas les résultats escomptés », a-t-elle expliqué. « La plupart d’entre elles accompliront de belles choses et continueront à soutenir et sauver des vies. »


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