Sur le front macroéconomique, l’année 2016 a été une année d’améliorations. Pourtant, deux fortes incertitudes subsistent pour l’année 2017 :
(1) la première de ces incertitudes est liée à la place du protectionnisme, intelligent, plus ou moins à forte dose pour contrer la remontée des prix du pétrole, la hausse du dollar et le ralentissement consolidé de la Chine. En effet, si les capitaux se déplacent d’une zone géographique vers une autre, il est possible dans l’économie réelle d’opter pour des mesures protectionnistes (droits de douane, etc…) pour équilibrer la balance des capitaux.
(2) la seconde incertitude est liée à l’application une bonne fois pour toute de la règlementation financière, ce qui crée une nouvelle forme de protectionnisme, le protectionnisme règlementaire, c’est à dire le fait de se protéger en n’appliquant pas les règles que les autres respectent, par exemple les accords sur le libre-échange (Chine), les régulations financières (EU), et du coup faisant courir au système un risque d’effet domino considérable…
1. L’année 2016 a été marquée par quelques améliorations sensibles
A l’échelle monde, la croissance économique des Etats-Unis repart de plus belle, et la Russie ainsi que le Brésil sortent enfin de la récession. L’élection de Donald Trump, ajoutée au Brexit, donnent l’impression que le protectionnisme latent (c’est-à-dire qu’il doit encore être appliqué concrètement, ce qui est une autre affaire) a finalement été assez bien intégré par les marchés financiers dont on n’observe pas de soubresaut particulier : c’est une nouveauté historique.
En Europe, les indices Purshasing Managers Index, sortes d’indices de confiance des directeurs d’achat, vont mieux et la confiance des entreprises revient. Les pays du sud également (Espagne, Portugal), après les cures d’austérité et l’application stricte des consignes du FMI notamment pour le Portugal. On observe une reprise notoire de leurs exportations. Des inquiétudes subsistent sur la position extérieure des pays du sud en y ajoutant l’Irlande.
En France, avec 150 000 emplois marchands créés, l’inflexion de la courbe du chômage est enfin effective, la reprise économique est là et les comptes publics s’améliorent, dont ceux de la sécurité sociale (malgré -3,8 milliards de déficit tout de même du FSV). Par ailleurs, les investissements repartent et mobilisent le trésor de guerre existant.
2. Les risques et les incertitudes sont pourtant bien présents
A l’échelle monde, on anticipe à peu près 3% de croissance, mais pour plusieurs raisons des incertitudes subsistent : la première raison est qu’il semble que nous prenons peu à peu conscience que, certes, les Etats sont endettés, mais aussi les agents privés. Les défauts risquent d’augmenter si la Fed décide de nouvelles hausses de taux. A la crise de la dette publique que l’on connaît bien maintenant pourrait s’additionner celle de la dette privée, moins médiatique. Certains marchés obligataires pourraient commencer à trembler. On connaît déjà l’existence de bulles immobilières aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. L’Asie devrait connaître un ralentissement. L’Inde se maintiendra à son trend traditionnel de croissance aux alentours de 6%. La Chine, qui a vécu des soubresauts boursiers en 2015 et 2016, présente une grande incertitude. 6% de croissance peut être en 2016, 4% en 2018 ? Le mieux viendra de l’Amérique latine, en particulier de l’Argentine et du Brésil. Au global, si nouvelle hausse des taux de la Fed il y a, si la Chine recule plus que prévu, et que les prix du pétrole continuent d’augmenter, l’impression d’une reprise fragile apparaît évidente. Nous espérons aussi qu’avec la hausse des taux et le raffermissement du dollar, la liquidité mondiale ne va pas elle-même se raffermir et la richesse se concentrer vers les Etats-Unis… La nouveauté dans tout cela est que les élections du « protectionniste keynésien » Donal Trump à la présidence américaine et le Brexit n’ont pas pour l’instant surpris plus que cela les marchés financiers. Et le corolaire à tout cela est que l’on observe aujourd’hui un réel ralentissement du commerce mondial, ce qui est une seconde nouveauté très liée, selon nous, aux velléités protectionnistes.
En Europe, plus que le Brexit, c’est le vieillissement de la population qui contraint structurellement la croissance potentielle. La Grèce peine toujours à se relever, et l’Italie est engluée dans une crise politique liée au rejet du referendum sur la réforme de la constitution. En outre, c’est davantage (1) le non au référendum italien (l’incertitude politique) avec une économie qui va mal, et (2) sa crise bancaire ainsi que (3) l’insuffisance de ses investissements et (4) un parc vieillissant (le niveau d’investissement de l’Italie est équivalent à celui d’il y a 20 ans), qui peuvent par effet de domino porter un coup fatal aux économies européennes. Ici, il est clair que l’évolution du prix du pétrole ne va rien arranger. Globalement, l’Europe se placera derrière les Etats-Unis en termes de prévision de croissance pour l’année 2017, 1,3-1,5% en UE contre au moins 2-2,5% aux Etats-Unis. La France se positionnant comme d’habitude dans la moyenne européenne. Il faudrait aussi surveiller l’endettement public des pays du sud et leur position extérieure qui ne cessent de se dégrader.
En France, on anticipe à peu près 1-1,3% de croissance économique. Les prix des matières premières hors NRJ devraient augmenter de 6,6%, les taux d’intérêt pour l’OAT 10 ans passeraient de 0,5% en 2016 à 0,9% en 2017. L’inflation risquera alors d’exploser pour atteindre 1,2 % en 2017 au lieu de 0,3 en 2016. La consommation et les investissements pourraient voir leur hausse se stabiliser et même baisser légèrement. En revanche, on assiste à une progression dans la construction du fait notamment du projet du Grand Paris. Ici évidemment, des incertitudes pèsent sur le mental des chefs d’entreprise du fait des élections présidentielles. On sait qu’il ne se passe généralement pas grand-chose avant.
3. Les paramètres à suivre pour 2017 et le déplacement de la géo-économie
Il faudra suivre le cours du dollar : La Fed qui vient d’augmenter ses taux, va créer une hausse de la demande de dollars ce qui appréciera le dollar. Aux Etats-Unis, la politique budgétaire expansionniste conjuguée à une politique monétaire restrictive est à comparer à la politique budgétaire toujours aussi restrictive en Europe, à l’inverse de sa politique monétaire clairement laxiste. Tout cela risque de créer un différentiel d’intérêt en faveur des Etats-Unis avec une forte demande de dollars. Si l’on peut, certes, s’interroger sur l’efficacité d’une impulsion budgétaire aux Etats-Unis dans un pays au plein emploi… la première conséquence de cela est un renflouement des capitaux de l’Europe vers les Etats-Unis. On espère alors que les mesures protectionnistes des Etats-Unis ne concerneront pas l’Europe et que la dépréciation de l’euro stimulera ses exportations plus que ne renchérira ses importations. Une dépréciation pourrait avoir un effet nul car une majorité du commerce en zone euro est intra-zone ! Pour la France, le cœur de son déficit commercial se fait avec les pays de la zone euro. Finalement, a contrario, l’Europe pourrait se renforcer par des mesures protectionnistes dites intelligentes qui, d’ailleurs, existent déjà dans un certain nombre de domaines (l’agriculture). Faut-il souligner les rejets du TAFTA et du CETA qui semblent consolider l’idée que le protectionnisme soft doit être repensé comme mesure de rééquilibrage géo-économique ?
Il faudra suivre les pays émergents et la Chine : du fait de la dépréciation de leur monnaie par rapport au dollar, un nombre important de pays émergents va se surendetter. Une crise monétaire en particulier en Asie est donc possible, avec de grosses incertitudes sur la croissance chinoise. Des capitaux vont donc circuler des pays asiatiques vers l’Europe ou les Etats-Unis mais probablement plus vers les Etats-Unis.
Il faudra absolument suivre le cours du pétrole : ici, la remontée probable des prix du pétrole va renforcer les pays pétroliers (L’ARABIE SAOUDITE, LES ÉTATS-UNIS, LA RUSSIE, LA CHINE, LE CANADA, L’IRAN, LES ÉMIRATS ARABES UNIS, L’IRAK, le VENEZUELA qui connait une grave crise) et affaiblir ceux qui en sont totalement dépendants (Europe…). Des flux de capitaux sont donc à prévoir vers les pays producteurs de pétrole. Seule la force économique des Etats-Unis pourrait contrebalancer le mouvement. L’Europe, du fait de la hausse du prix du pétrole, pourrait voir sa croissance amputée de 0,5% et connaître une hausse de l’inflation pesant ainsi sur la consommation. Dès lors, les capitaux iront plutôt de l’Europe vers les Etats-Unis et dans une moindre mesure vers les pays producteurs de pétrole ! Les Etats-Unis et les pays producteurs de pétrole risquent d’être les grands gagnants de l’année 2017, mais attention, il faut aussi espérer que ces flux de capitaux orientés vers les Etats-Unis, n’aillent pas vers les actions pour stimuler une bulle latente mais bien vers l’économie réelle.
4. Vers plus de mondialisation ou plus de protectionnisme ?
A l’échelle monde, Compte tenu de la croissance potentielle faible en Europe, il est difficile de ne pas imaginer quel degré de protection nous voulons. Autre possibilité, demander aux autres de se mettre en conformité avec les règles de la mondialisation et du libre-échange. D’ailleurs les Etats-Unis, finalement, ne pratiquent-ils pas un protectionnisme monétaire ? Le plus visible et le moins commenté ! Qu’est-ce qu’une hausse des taux de la Fed si ce n’est un droit de douane à l’envers nous empêchant de garder nos capitaux chez nous ? Les marchés semblent avoir intégré la notion de protectionnisme classique via la validation du Brexit et du nouveau président américain. De façon globale, les tendances isolationnistes sont déjà consolidées par plus de 350 mesures protectionnistes au premier semestre 2016 à l’échelle monde. Une tendance d’ailleurs reflétée par le ralentissement du commerce international. Il faudra peut-être repenser les facteurs clés de succès, plus de consommation, plus d’investissement, plus de dépense publique ou moins pour ce dernier, mais oublier peut-être la part du commerce extérieur, ou plus précisément ne pas imaginer que la variation de son poids augmentera en 2017. C’est un axe de réflexion.
Ce qu’il faut savoir réside dans le fait que l’Union européenne applique déjà un droit de douane moyen sur l’ensemble des produits de 3,1 % supérieur à celui appliqué par les États-Unis (2,1 %), mais inférieur aux droits de douane japonais (3,9 %) ou canadiens (3,4 %) et aux droits moyens mondiaux (5,6 %). Précisons tout cela car cette idée n’est pas naturelle dans les esprits.
En effet, l’Union européenne applique des droits en matière agricole (17,9 %) supérieurs à ceux des États-Unis (5 %), mais inférieurs à ceux de nombreux pays émergents (près de 60 % pour l’Inde par exemple) et inférieurs aux droits moyens mondiaux sur les produits agricoles (19,1 %).
Cependant, dans le secteur manufacturier, l’Europe est parmi les zones qui appliquent les plus faibles droits de douane. Les États-Unis et le Canada sont ainsi plus protectionnistes concernant les produits textiles (respectivement 9,4 et 10,8 %, contre 5,7 %).
Les pays émergents appliquent également des tarifs beaucoup plus élevés sur les produits manufacturés (près de 30 % pour l’Inde, 11,4 % pour le Brésil, contre 2 % pour l’Union européenne).
Aujourd’hui, l’Europe est plus ouverte que les États-Unis ou n’importe quel autre pays développé aux exportations des pays les plus pauvres : l’Union européenne leur applique un droit moyen de 0,8 % contre 5,1 % pour les États-Unis (le tarif mondial moyen appliqué aux PMA est de 4,9 %).
Enfin, nous observons une nouvelle tendance, celle du protectionnisme financier qui se profile à base d’application plus ou moins dosée des normes bancaires et financières internationales. Mais ce nouveau protectionnisme pourrait en voir émerger d’autres. Car à l’ancienne guerre des changes pourrait s’ajouter aussi la guerre du protectionnisme commercial. Quel niveau, faible, fort, nul, développer le libre échange (mais rejet déjà du CETA du TAFTA… ? Ces enjeux vont être de taille en 2017.
En Europe, le mouvement de fonds de déplacement des capitaux vers les Etats-Unis, pourrait être contrecarré par une nouvelle forme de protectionnisme, le protectionnisme monétaire de la BCE ! Une réflexion plus profonde sur le degré de mondialisation doit être engagée. Les négociations en 2017 doivent porter sur la façon dont nous nous protégeons et réciproquement, par zone géographique, jusqu’à libéraliser totalement, le cas échéant, si des accords réciproques sont possibles. Ces questions vont être au cœur de l’économie de l’année 2017. Nous pensons que le protectionnisme n’est pas s’isoler. C’est, au contraire, plus justement s’ouvrir, c’est redéfinir continûment un cadre équitable de règles régissant les flux commerciaux et les flux de capitaux, dans un environnement concurrentiel et ouvert, mais malheureusement soumis à des aléas auxquels il faut bien répondre lorsque certaines marges de manœuvre n’existent plus...
Avec l’aide d’Estelle François-Brazier – NEOMA Business School
@pascaldelima
http://www.lesechos.fr/18/03/2016/LesEchos/22153-046-ECH_cette-crise-financiere-qui-vient.htm
[1] Ce texte qui n’engage que moi est une synthèse transversale d’une multiplicité de lectures de notes de conjoncture, d’opinion, et de prévisions des institutionnels (OFCE, OCDE, FMI, Natixis Research).
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