Avec une impasse budgétaire de 8 milliards d’euros pour 2017, débusquée par la Cour des Comptes, le gouvernement d’Edouard Philippe doit déjà jouer au pompier. Retour sur une semaine au cours de laquelle le Président de la République et le Premier ministre ont dû fixer le cap devant la représentation nationale, et faire preuve d’équilibrisme pour concilier le redressement des finances publiques et l’impossibilité de différer les réformes indispensables à la croissance et la compétitivité des entreprises.
Déficit public : le début de la fin des bonnes nouvelles ?
Avec l’annonce d’un déficit public qui pourrait atteindre 3,2% du PIB en 2017 – contre 2,8% prévu initialement- la Cour des Comptes[1] est venue interrompre un cycle de bonnes nouvelles, qui n’en finissaient pas de s’accumuler depuis plusieurs semaines sur le bureau d’Emmanuel Macron.
Lorsqu’un boxeur a dominé les premiers rounds et esquivé la plupart des coups, un crochet de son adversaire, surtout lorsqu’il est soudain et touche une zone sensible, peut le laisser groggy.
Avec une impasse de 8 milliards d’euros s’expliquant tout particulièrement par une sous-évaluation des dépenses de l’Etat par son prédécesseur -et dont le coût budgétaire lié à la recapitalisation d’Areva à hauteur de 2,3 milliards n’est que le sommet de l’iceberg- le Président et son Premier ministre ne peuvent qu’être sonnés.
Les cadavres laissés dans le placard lors du quinquennat « empêché » de François Hollande sont peu à peu exhumés…
Tout crime mérite châtiment.
Politiquement, le bourreau a fait son œuvre au moment des élections présidentielles, avant de la parachever lors des Législatives. Economiquement, on pourra toujours regretter que ce soient les entreprises qui trinquent !
Ainsi, la perspective d’une transformation rapide du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en baisse de charges pérenne, s’éloigne déjà, pour n’entrer finalement en vigueur qu’au 1er janvier 2019.
Difficile d’en blâmer l’actuel Président de la République, qui l’avait mis en bonne place dans son programme de Campagne. Car, au moment où le gouvernement d’Edouard Philippe doit déjà trouver 4 à 5 milliards d’euros supplémentaires pour terminer la présente année sous la barre des 3% de déficit, il peut difficilement se permettre de subir dès 2018 la « double peine » budgétaire : la transformation impliquerait dans l’immédiat une année double (paiement résiduel du crédit d’impôt et baisses de cotisations), aggravant encore temporairement de quelque 20 milliards le déficit !
Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, à la manœuvre pour boucler un exercice budgétaire perturbé par les « insincérités »[2] de la mandature précédente, ne sont pourtant pas tout à fait démunis. Ils jouissent même d’une embellie conjoncturelle qui n’a pas de précédent depuis six ans. L’Insee table désormais sur une hausse du PIB de 1,6% cette année, une première depuis 2011 !
Dès lors, Exit depuis quelques semaines les tenants de la thèse de la « stagnation séculaire »[3], qui à l’instar d’un Robert Gordon, enseignent que le monde serait entré dans une période de croissance faible, les nouvelles technologies numériques ayant un impact beaucoup plus modeste sur les gains de productivité que l’électricité ou le moteur à explosion jadis.
Curieusement, personne ou presque ne s’étonne que tant d’observateurs qui, au premier trimestre encore, insistaient sur les difficultés à installer une reprise durable en France, opèrent désormais un revirement complet, en présentant aujourd’hui la très fraîche dynamique de croissance hexagonale comme la preuve irréfutable de l’entrée de notre pays dans un nouveau cycle haussier.
Comme toujours, les apparences peuvent être trompeuses en économie. Et ceux qui se targuent de prévoir l’avenir, ne serait-ce qu’à un an, déchantent souvent assez vite.
Si le futur est incertain, même le passé peut nous surprendre ! Devant les membres de l’Association française de science économique (AFSE), le professeur Philippe Aghion[4] a récemment fait la démonstration que la croissance française, durant la période 2006-2013, a été sous-estimée de moitié et la croissance américaine d’un quart.
En cause, la sous-estimation de l’apport du progrès technologique à la croissance mesurée par l’Insee. Non seulement la fiabilité de la mesure de la croissance du PIB reste un sujet de débat, mais l’exercice de prévision de son évolution reste éminemment périlleux. On peut ainsi, avec quelques optimistes, se contenter de souligner l’embellie conjoncturelle qu’on observe depuis le début de l’année.
Après tout, les vents continuent de souffler et de faire avancer le navire France sur l’océan hyper-concurrentiel de la mondialisation : l’investissement des entreprises a retrouvé des couleurs. Le commerce mondial se redresse. Le prix du pétrole reste à un niveau suffisamment bas (en dessous de 50 dollars le baril) pour soulager la pression qui pèse sur les marges des entreprises.
A en croire le président de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui s’est exprimé il y a quelques jours au Portugal : au sein de la zone euro, « les forces déflationnistes ont été remplacées par des forces reflationnistes »[5].
Si le néologisme fait mal à l’oeil, il a en tout cas le mérite d’indiquer la direction : après trois années d’inflation proche de zéro (entre 0 et +0,4% entre 2014 et 2016), la hausse du niveau général des prix pourrait retrouver une pente modérée (entre +1,6 et + 1,7%) entre 2017 et 2019.
Croissance : entre réalité et illusions
Derrière cet optimisme, faut-il pour autant s’interdire de débusquer les contradictions et écarter nos inquiétudes récurrentes sur l’avenir de notre économie ? On ne peut traiter que les maux qu’on repère et qu’on accepte de nommer…
Premier paradoxe : au niveau conjoncturel, il reste une différence importante entre la croissance retrouvée en Europe et le niveau espéré d’inflation, en référence à la cible de 2% de la BCE.
Autre problème, aussi douloureux que visible : malgré la reprise très nette des créations d’emplois dans le secteur privé (+285 000 emplois sur un an à la fin du premier trimestre), le reflux du chômage reste désespérément lent. Ainsi, le nombre de demandeurs d’emplois, ayant peu ou pas travaillé (en termes techniques, l’addition des catégories A, B et C) a atteint le plafond de 5,56 millions en mai dernier.
Avant de crier victoire sur le terrain de la croissance, ne serait-il pas infiniment plus raisonnable de s’assurer d’abord qu’une boucle vertueuse s’enclenche, avec des prix en hausse et un taux de chômage en net repli ?
Or, il y a fort à craindre sur ce dernier front que l’épisode de relative euphorie qu’on traverse aujourd’hui ne soit vite remplacé par une soupe à la grimace beaucoup plus indigeste d’ici quelques mois.
Car les fondamentaux de notre économie n’ont pas été bousculés par l’embellie conjoncturelle. Et ne profiteront vraiment de cette embellie que les économies qui ont procédé aux ajustements structurels.
Ce n’est pas le cas de la France à ce jour. La réindustrialisation tant attendue n’est donc, sans surprise, pas à l’ordre du jour : au premier trimestre, la création nette de +90 000 emplois dans l’économie française n’a pas empêché l’industrie française de continuer à détruire plus d’emplois qu’elle n’a su en créer sur la période…
Les gains de productivité structurels dégagés par notre économie se situent toujours à un niveau aussi bas (+0,5% par an en moyenne).
Et les autres lacunes de notre tissu productif n’ont évidemment pas disparu comme par enchantement : nos entreprises souffrent toujours d’une combinaison particulièrement pénalisante de coûts salariaux trop élevés et d’un niveau de gamme insuffisant…
Le redressement récent de la pente d’investissement des entreprises a été présenté comme le résultat d’un regain de profitabilité très prometteur depuis 2013. Ce n’est pas faux.
Mais, il y a lieu de s’inquiéter de plusieurs petits feus qui, mis bout à bout, pourraient bien déclencher un incendie difficilement maitrisable : les taux de marge ont tendance à stagner depuis plusieurs mois (autour de 32%) tandis que l’endettement des sociétés françaises a grimpé de 9 points en deux ans seulement (à 139% de la valeur ajoutée fin 2016).
Enfin, on voit bien -enquête après enquête de l’Insee- que l’investissement est beaucoup trop concentré dans notre pays où 3 000 entreprises réalisent plus de deux tiers (70% précisément) des dépenses d’investissement. Ce qui veut dire que les PME ont un taux d’investissement nettement au-dessous de la moyenne.
« La France ne résout pas ses problèmes »
Dans cet environnement économique ambivalent, où les uns préféreront voir le verre d’eau à moitié plein à celui à moitié vide, la déclaration de politique générale prononcée par le Premier ministre[6] le 4 juillet dernier doit nous servir de boussole et nous ramener à la lucidité nécessaire.
Lorsqu’Edouard Philippe ose rappeler à la Représentation nationale que « la France, à la différence de beaucoup de nations du monde, ne résout pas ses problèmes », il fait œuvre utile.
Car si notre pays veut avoir « le courage d’affronter l’avenir », comme l’y appelle l’ancien maire du Havre, il ne peut plus se permettre la moindre procrastination. Encore moins la plus petite approximation.
L’économie française ne pourra se relever sans une véritable mobilisation nationale, qui engage bien au-delà des forces économiques. Pour monter en gamme et innover, notre système productif doit pouvoir compter sur une main d’œuvre hautement qualifiée, alors que le taux de chômage record des jeunes dans notre pays (21,7% en avril 2017 contre seulement 6,8% en Allemagne ou 9,5% aux Pays-Bas) nous rappelle cruellement les errements de notre système d’éducation et de formation professionnelle.
Par un aveuglement coupable, car il met les générations actuelles et futures en grande fragilité sur le marché du travail, les gouvernements successifs depuis dix ans ont toujours remis à plus tard les réformes susceptibles d’élever le niveau de compétences des jeunes et des adultes en proportion des enjeux associés à la mondialisation et la révolution technologique.
La France pourra peut-être se permettre, et parce qu’elle n’a guère d’autre choix pour respecter sa feuille de route budgétaire cette année, de repousser à 2019 certaines décisions fiscales importantes : transformation du CICE en allègement de charges ; réduction du taux de l’impôt sur les sociétés par étapes de 33,3% aujourd’hui à 25% ; resserrement de l’impôt sur la fortune autour du seul patrimoine immobilier, etc.
Encore que cela ne va guère arranger les marges des entreprises de moins de 250 salariés et donc leur capacité à investir et à innover.
Mais, en aucun cas, il ne sera permis -sans conséquence grave- de remettre à plus tard les réformes structurelles, qui doivent permettre à notre pays de se mettre à niveau dans la compétition internationale : la réforme Travail, la nouvelle ambition pour l’école et la formation professionnelle, ainsi que le lancement d’un grand plan d’investissement (à hauteur de 50 milliards d’euros) en faveur de la transition écologique, des compétences ou encore de la modernisation de l’Etat.
C’est au prix de ces efforts inédits et d’une mobilisation sans faille que nous pourrons espérer d’ici la fin du quinquennat commencer à déguster les délices du redressement économique et social : la croissance est un plat qui se mange froid. Et l’emploi est le dessert suprême auquel chaque français doit pouvoir goûter pour parachever ce repas qu’on espère fameux pour 2022.
[1] Rapport de la Cour des Comptes, remis le jeudi 29 juin 2017 au Premier ministre
[2] La Cour des Comptes, dans le rapport précité, fait état « d’éléments d’insincérité » dans les prévisions budgétaires faites lors du précédent quinquennat pour l’année 2017
[3] L’expression de « stagnation séculaire » a été pour la première fois utilisée par Alvin Hansen vers la fin des années 1930. Il a été repris plus récemment l’économiste américain Robert J. Gordon
[4] Présentation de l’économiste Philippe Aghion devant l’Association française de science économique (AFSE), juin 2017
[5] Discours de Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne (BCE) à Sintra (Portugal), juin 2017.
[6] Déclaration de politique générale de M. Edouard Philippe, Premier ministre, Assemblée nationale, mardi 4 juillet 2017.
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