En janvier 2013, Jean-François de Clermont-Tonnerre découvre l’escroquerie massive mise en place par Fabien Gaglio au sein de H CTG, émanation luxembourgeoise de la banque suisse Hottinger & Partners. Cinq ans après les faits, et après que Jean-François de Clermont-Tonnerre a été déclaré innocent par le tribunal luxembourgeois, nous revenons sur les faits.
Il y a des événements de la vie qui vous marquent au fer rouge. Jean-François de Clermont-Tonnerre se souviendra toujours de ce jeudi 3 janvier 2013. Ce jour où le financier genevois découvre pour la première fois les signes de la fraude financière massive mise en place par Fabien Gaglio pour délester certains clients de H CTG.
Fabien Gaglio, un gestionnaire de fortune français d’une quarantaine d’années passé par Morgan Stanley et la banque Rothschild, met en place un système d’escroquerie à grande échelle, allant jusqu’à produire des faux et à les soumettre à ses clients. Raison principale ? Financer son train de vie luxueux, et amener constamment de l’eau au moulin de ses fraudes. En juillet 2016, la 18ème chambre correctionnelle du tribunal de Luxembourg a condamné Fabien Gaglio à cinq ans de prison pour avoir détourné près de 7,7 millions d’euros.
Après Madoff, l’éclatement de l’affaire en 2013 va ébranler la banque Hottinger et la place financière genevoise, et mettre Jean-François de Clermont-Tonnerre dans l’embarras. Brisé, le financier genevois fait profil bas, réservant sa version des faits à la justice. Cinq ans après ceux-ci, Jean-François de Clermont-Tonnerre revient sur ces jours où tout a basculé. Des premiers coups de téléphone à la tempête médiatique, la chute du financier genevois est un récit digne des meilleurs polars.
Jour 1 : la mèche s’allume depuis la Californie
Jeudi 3 janvier 2013. De retour à Luxembourg après les fêtes, Jean-François de Clermont-Tonnerre fait un passage éclair par son appartement avant de se diriger vers son TGV pour Paris, où l’attend sa femme Marie-Laure. « Elle venait de perdre sa mère. Nous devions partir à Nice pour les obsèques », se souvient l’homme d’affaires. Au siège luxembourgeois de Hottinger & Partners, les collaborateurs préparent les reportings comptables de fin d’année pour l’organe de tutelle de la banque.
L’après-midi est déjà avancée lorsqu’une collaboratrice reçoit le courriel d’un client californien. Une simple demande de précisions sur certaines positions gérées par H CTG. Comparant alors le relevé du client avec les informations détenues par la banque, un écart énorme est remarqué. « Ma collaboratrice m’appelle et me demande de passer tout de suite au bureau. Elle me montre le courriel, puis les deux relevés de compte du dépositaire luxembourgeois. Les relevés sont identiques en termes de format à l’exception du montant. L’écart est de deux millions d’euros. » se souvient Jean-François de Clermont-Tonnerre. Il constate qu’il s’agit du même client et de la même date. Il appelle Fabien Gaglio, absent du bureau ce jour-là afin de lui en parler mais Gaglio lui dit qu’il le rappelle plus tard. Jean-François de Clermont-Tonnerre restera sans réponse.
Le charme et les bonnes manières
La première rencontre entre le gestionnaire de fortune français et Jean-François de Clermont-Tonnerre date de 2007. À Genève, ce dernier gère alors le département France de la Banque Sarasin. « Un chasseur de tête britannique nous avait transmis le CV de Fabien Gaglio » explique Jean-François de Clermont-Tonnerre. « Il travaillait pour la banque Rothschild dans laquelle il gérait 300 millions d’euros d’actifs. » La première rencontre se passe bien. « C’était un garçon charmant, intelligent, avec de bonnes manières. » Fabien Gaglio fait part de son envie de quitter Rothschild pour Sarasin. « Il avait un modèle d’affaires intéressant en ce temps là. »
Six mois plus tard, Jean-François de Clermont-Tonnerre signe avec la banque Hottinger et s’installe à Luxembourg en 2008. Fabien Gaglio le rejoint un mois plus tard. Le financier genevois ne se doute alors de rien. « Nous n’avions pas de raison de suspecter Fabien Gaglio. Nous avions eu confirmation qu’il avait travaillé pour Rothschild et que tout s’était très bien passé. C’est une très bonne référence. Des candidats qui viennent de chez Rothschild, on n’en voit pas beaucoup. »
Jour 2: Fabien Gaglio fait le mort
Retour en 2013. Dans la nuit du 3 au 4 janvier, Fabien Gaglio n’a toujours pas décroché son téléphone. Jean-François de Clermont-Tonnerre a un mauvais pressentiment. Il harcèle son associé qui finit par répondre. « Tout va bien, me dit-il. C’est une erreur. Je regarde cela à mon retour de voyage. » Dès lors, tout s’emballe. Le 4 janvier, Jean François de Clermont-Tonnerre met son équipe au travail afin de vérifier s’il n’y a pas d’autres anomalies. Hottinger & Partners gère 600 millions de francs suisses d’actifs (515 millions d’euros). La tâche s’annonce colossale. Très vite, l’équipe découvre que d’autres clients ont reçu des relevés falsifiés. Quand à Fabien Gaglio, il disparaît dans la nature.
Jour 3 à 5: Une course contre la montre
A Luxembourg, les anomalies découvertes en cachent d’autres. L’incendie gagne Genève. Jean-François de Clermont-Tonnerre exige tous les reportings. Le lundi 7 janvier, Fabien Gaglio n’a toujours pas donné de signe de vie. Sa femme non plus. Jean-François de Clermont-Tonnerre et son équipe continuent les recherches. Ils avertissent les associés de la banque Hottinger et informent les avocats de la situation. Le financier genevois se résout à s’adresser à chaque client afin de leur demander leur relevé de compte et déterminer l’ampleur des malversations. « Nous réalisons très vite que la tâche est beaucoup trop lourde et n’en comprenons pas toutes les ramifications » se souvient Jean-François de Clermont-Tonnerre. Il mandate alors le cabinet Deloitte au travers de sa division spécialisée ‘Forensic’ pour un audit complet.
Jours 6 et 7 : Fin de cavale
À ce moment-là, c’est la panique totale. « Les clients ne comprennent pas ce qu’il se passe. Nous avons des tonnes de relevés clients qui ne correspondent pas à nos informations. Nous réalisons alors que le problème c’est vraiment Fabien Gaglio. Et là, vous avez l’impression que le monde s’effondre. » Après ces sept jours d’enfer, Jean-François de Clermont-Tonnerre dépose plainte auprès des autorités suisses et luxembourgeoises. Puis, le 13 janvier, l’équipe de Deloitte débarque dans les bureaux genevois de H CTG. L’audit prendra six semaines à plein temps. Cerné, Fabien Gaglio finit par se rendre aux autorités le 15 janvier.
Jean-François de Clermont-Tonnerre ne nie pas avoir commis des erreurs. « J’ai été administrateur. J’ai une certaine part de responsabilité. Il y a eu un défaut de vigilance. Je n’aurais pas dû faire autant confiance. À l’époque, les banques étaient beaucoup moins surveillées que maintenant. Hottinger n’avait aucun système de contrôle. La banque réglait sur simple vérifications des signatures. » Fabien Gaglio a donc profité de ce laxisme pour échafauder un montage financier frauduleux qui consistait à rémunérer les investissements des clients par les fonds procurés par les nouveaux entrants et à soutenir l’ensemble par des faux soumis à des clients de confiance.
Trahison des temps modernes
Lavé de tout soupçon en début d’année par la justice luxembourgeoise, Jean-François de Clermont-Tonnerre attend désormais l’épilogue du volet suisse. Sa quête de vérité lui aura permis de retrouver la trace de dix millions d’euros. Un vrai travail de fourmi et de vérifications mené en parallèle de la justice. « On ne se relève jamais d’une affaire comme celle-ci. Condamné ou pas, vous êtes toujours coupable aux yeux des autres.» Certains blogs dirigés le lynchent, le présentant aussi comme un escroc. «Mes enfants ont été choqués par ce qu’ils ont pu lire dans certains articles écrits à charge.»
Dans un portrait au vitriol de Fabien Gaglio publié en décembre 2017, Bloomberg présente Jean-François de Clermont-Tonnerre comme « un mousquetaire des temps modernes ». « C’est tout ce que mes enfants ont retenu », conclu, très ému, le financier genevois.
Epilogue
À ce jour, Jean-François de Clermont-Tonnerre a été non seulement déclaré innocent par le tribunal luxembourgeois mais également porté comme partie civile. Le volet suisse de l’affaire est toujours en cours d’instruction, excluant, lui, d’emblée Jean-François de Clermont-Tonnerre du périmètre de l’escroquerie.
Voir également la parution du journal La Tribune de Genève intitulé L’honneur retrouvé de Jean-François de Clermont-Tonnerre paru le 20 juin 2018.
Écrit par Martin Auger.