Très attendue, l’entrée en bourse de la plateforme de livraison de repas à domicile était annoncée comme la plus grande introduction en Bourse depuis 10 ans à Londres avec une valorisation de 7,6 milliards de livres, soit 8,9 milliards d’euros. Une opération à laquelle les investisseurs ont réservé un accueil pour le moins glacial. Décryptage.
Lancé en 2013 par Will Shu, le fondateur et CEO, Deliveroo est né d’un constat, celui que la ville de Londres foisonnait de très bons restaurants, mais que peu d’entre eux proposaient de livrer leurs plats. Pour connecter directement les restaurants à leur clientèle, la plateforme met au point un algorithme basé sur une technologie prédictive puissante qui évalue la manière la plus efficace de distribuer les commandes en fonction de la localisation des restaurants, des livreurs et des clients. La force de Deliveroo, c’est d’être capable de prévoir le temps nécessaire à la préparation d’une commande et de jouer ainsi sur le temps de livraison. Plus de commandes livrées, c’est plus de revenus pour les livreurs, les restaurateurs, et in fine, pour Deliveroo.
En mettant à disposition des restaurateurs la force de frappe d’un outil numérique, des plateformes comme Deliveroo, ou encore Uber Eats, un concurrent qui lui a emboité le pas en 2015, se sont imposées comme les leaders d’un marché en plein boom. En 2020, Deliveroo a enregistré une croissance de 64% de la valeur brute de ses transactions, à 4,1 milliards de Livre Sterling, d’après le magazine spécialisé BRA restauration. Dans un contexte de crise, où les périodes de restrictions et confinements s’accumulent, l’entreprise affirme que la tendance lui est favorable. Deliveroo indique d’ailleurs sur son site français, que le premier confinement a permis de recruter en France « 3000 nouveaux restaurants et épiceries de quartier ».
Deliveroo en quelques chiffres, c’est un service déployé dans 800 villes réparties sur 12 marchés géographiques, et dont bénéficient plus de 115 000 restaurants partenaires, toujours d’après la revue BRA restauration. Sur le papier, l’introduction en bourse de la startup britannique annoncée le 31 mars dernier aurait dû être un succès. Avec un prix de lancement établi à 3,90 £ par action, soit un positionnement sur la partie basse de la fourchette communiquée pré-IPO comprise entre 3,90 £ et 4,10 £, la valorisation de Deliveroo s’élevait à 7,6 milliards de livres (8,9 milliards d’euros). Une prudence qui n’a pas suffi à éviter la douche froide, et la décrue du titre, qui s’échangeait à 2,87 £ à la clôture du premier jour de cotation, soit un repli de 26%. La cotation de l’action était-elle trop élevée ? Sans doute, pour une société qui enregistrait en 2020 une perte de 223 millions de livres. Si le prix a pu refroidir les grands investisseurs comme Aviva ou Legal & General Investment Management, le sujet des droits de vote privilégiés du fondateur a certainement pesé dans la balance. Comme l’explique Chrislain Tshiamanga dans son post publié sur LynBroxer, « Deliveroo a choisi d’adopter un système de double classe d’actions. Les classes A, qui englobent des nouvelles actions et des actions existantes, seront proposées au grand public tandis que les classes B ne seront pas vendues lors de l’introduction en bourse de Deliveroo mais resteront entre les mains du PDG, Will Shu, lui permettant ainsi de garder le contrôle total sur l’entreprise ». On a vu geste plus amical pour accueillir de nouveaux investisseurs.
Quels sont les autres facteurs qui ont grippé la machine ?
D’aucuns avancent la fragilité d’un business model où les acteurs se livrent une guerre acharnée pour prendre des parts de marché. Les dépenses en marketing sont colossales, et la possibilité de répercuter les coûts, plutôt limités. D’un côté, les clients en position de force, comparent les prix et s’orientent vers l’opérateur le moins cher, et de l’autre côté, les restaurateurs dont les commissions sont au maximum de ce qui est acceptable, et viable, pour leurs activités.
Le statut des livreurs suscite le débat auprès des investisseurs, qui y voient une faille supplémentaire. Actuellement employés en tant que travailleurs indépendants, une requalification de leur contrat en CDI par la justice française, à l’instar de la décision du 19 février dernier de la Cour suprême du Royaume-Uni, pourrait fortement impacter le modèle économique de la plateforme britannique. Si le risque juridique n’est toutefois pas nouveau, les investisseurs ont-ils hésité à financer un modèle de gestion humaine à l’opposé des référentiels ESG, de plus en plus influents ? Autre question, dont il faudra attendre la fin de la crise sanitaire pour avoir la réponse : la livraison de repas à domicile va-t-elle s’essouffler à la réouverture des bars et restaurants ? Autant de sujets qui, additionnés, ont fini de transformer l’IPO de Deliveroo en un chemin de croix.
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