A rebours d’un effet passager, l’inflation américaine donne de véritables signes de rebond. L’optimisme des derniers mois reposant sur un scénario de désinflation sans douleur se fissure : les marchés réalisent que sans atterrissage, l’inflation ne peut revenir durablement à son objectif de 2 %.
Par Benoît Peloille, CIO – Natixis Wealth Management
Une dynamique inquiétante
Depuis 3 mois, aux Etats-Unis, l’inflation totale repart à la hausse et l’inflation hors matières premières a cessé sa décrue. En fin d’année dernière, les marchés avaient largement salué le retour à 2 % des indices des prix à la consommation en données trimestrielles annualisées, permettant d’envisager des baisses de taux dès le mois de juin. Aujourd’hui, cette même mesure approche les 5 % à la fois pour l’inflation totale et l’inflation hors matières premières. Plus problématique, l’inflation des services « cœur » (indice de l’inflation des services hors immobilier) poursuit son rebond initié en septembre dernier pour s’établir proche de 5 %. Il s’agit d’un problème de taille pour une économie dont les services représentent près de 80 % de la richesse nationale.
La politique budgétaire n’est pas la seule responsable
La crainte d’une répétition du scénario des années 70 n’est pas illégitime, notamment au regard de la frénésie de dépense du gouvernement américain. En dehors d’une récession, jamais une administration américaine n’a autant dépensé alors que le marché du travail reste proche du plein emploi. Sur l’année 2023, le gouvernement américain a ajouté 2 500 Md$ de dette supplémentaire à un stock aujourd’hui avoisinant les 34 000 Md$[1]. Mais la politique monétaire a aussi joué un rôle décisif dans la situation actuelle en maintenant des conditions de financement sur les marchés très accommodantes malgré un resserrement monétaire d’ampleur. En effet, si les taux ont été grandement resserrés pour les ménages, la Fed, par sa rhétorique et son attitude interventionniste, a largement contribué à maintenir des conditions de liquidité très favorables aux marchés financiers. Mais, en contrepartie, cela a eu pour conséquence d’atténuer considérablement l’impact de son resserrement monétaire sur l’économie.
La recette du soft landing tourne au no landing
L’arme principale dont dispose une banque centrale est essentiellement celle des taux d’intérêt. Mais il existe d’innombrables effets collatéraux qui contribuent également à resserrer les conditions monétaires. Si on peut légitimement considérer que les taux directeurs sont suffisamment hauts, la Fed a tenu, à juste titre, à soutenir de façon claire les banques en difficulté grâce à une fenêtre de crédit d’urgence. Loin d’être anecdotique, celle-ci a permis d’atténuer considérablement la pression sur les bilans bancaires, dégradés naturellement par la remontée des taux. D’autres facteurs techniques, comme la reverse repo facility (facilité de dépôt élargie aux fonds monétaires) ont également permis de fluidifier le fonctionnement des marchés malgré la réduction de la taille du bilan de la Fed, et ainsi de préserver les réserves des banques. Enfin, en promettant l’entrée dans un cycle de baisse des taux (l’autre outil des banques centrales : la crédibilité), la Fed a stimulé les attentes des marchés et contribué à détendre les conditions de financements. Les actifs risqués ont largement apprécié, permettant à nombre de ménages américains de se sentir plus riches grâce à leur patrimoine financier (60 % des ménages détiennent des actions). Finalement, à vouloir compenser tous les effets négatifs du resserrement monétaire, on évite fort heureusement une crise financière et / ou une récession, mais la politique monétaire pourrait s’avérer au final insuffisamment restrictive.
Turbulences en vue
Dans un premier temps, la Réserve Fédérale américaine risque de ne pas être en mesure de délivrer les baisses de taux suggérées car le contexte les y autorise difficilement. Ainsi, au cours des prochaines semaines, celle-ci va probablement rappeler son engagement à ramener l’inflation vers son objectif de 2 %, délivrant un discours moins accommodant. Dans un second temps, les marchés vont devoir prendre conscience que, comme partout ailleurs, ramener l’inflation durablement à 2 % ne peut se réaliser sans un freinage du cycle. Le scénario optimiste d’atterrissage en douceur, voire d’absence d’atterrissage, aujourd’hui valorisé par les marchés actions, pourrait bien être testé, d’autant que la situation géopolitique se tend manifestement. Dans tous les cas, une remontée de la volatilité apparaît inévitable.
[1] Données du Trésor américain
À lire également : L’inflation ralentie à 2,9% en février, selon l’Insee
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