La nouvelle administration américaine annonce une baisse spectaculaire de l’impôt sur les sociétés. Qu’elle soit adoptée ou non, la France doit tenir compte de cette initiative et refondre un impôt devenu lourd pour ses entreprises et peu efficace. Examen à la loupe des propositions d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
En annonçant une réduction massive de l’impôt sur les sociétés (IS), le nouveau locataire de la Maison Blanche s’est-il rendu coupable d’une nouvelle « trumperie » ?
Nombreux sont ceux qui semblent croire que Donald Trump, après les premiers revers législatifs qu’il a subi durant les 100 premiers jours de la nouvelle administration américaine, va de nouveau se prendre les pieds dans le tapis.
Il faut dire que le projet de réforme fiscale présenté le 27 avril dernier par Steven Mnuchin, secrétaire au Trésor et Gary Cohn, conseiller économique du Président, n’y va pas de main morte : il prévoit une baisse spectaculaire de l’imposition sur les sociétés, qui passerait de 35% actuellement à 15%.
De pays dont le taux d’impôt sur les sociétés est aujourd’hui le plus élevé de tout l’OCDE, les Etats-Unis seraient propulsés parmi les trois Etats occidentaux à plus faible taxation si la réforme fiscale promise par Donald Trump devait entrer en vigueur.
Une bonne nouvelle pour les entreprises, à commencer par les plus petites d’entre elles, car beaucoup d’entrepreneurs (commerçants, professions libérales et indépendants, etc.) s’estiment pour l’heure encore lésés par des règles prévoyant que leurs bénéfices commerciaux sont imposés comme des revenus, soit jusqu’à près de 40%, tandis que les grands groupes sont assujettis à l’IS.
Pas sûr, en revanche, que cette mesure réjouisse tout le monde. Le Congrès, sans lequel rien ne sera possible, y verra sûrement une atteinte à l’équilibre budgétaire : l’Institut de Recherche Tax Foundation estime qu’elle créerait un manque à gagner pour le budget national de l’ordre de 2 000 milliards de dollars sur dix ans.
Quelle que soit l’issue de la bataille législative à venir, le prochain Gouvernement français sera en tout cas bien inspiré d’accorder à cette nouvelle annonce l’importance qui est la sienne et le signal qu’elle envoie aux autres pays développés.
La France, mal placée dans la course au moins-disant fiscal
Car loin d’être isolée, l’initiative outre-Atlantique s’inscrit dans une véritable course internationale au moins-disant fiscal.
Un peu partout en Europe, les Etats réduisent progressivement la pression fiscale sur les entreprises afin d’attirer les grands groupes. Dans cette compétition fiscale effrénée, l’Irlande est la nation qui a su le mieux tirer son épingle du jeu en termes d’attractivité, avec un taux établi à 12,5%.
Les autres pays du continent européen ont cherché à imiter le tigre celtique, à l’instar du Luxembourg qui compte réduire son taux d’IS de 21% à 18% en 2018, ou même de la Suède, du Portugal et de l’Espagne, quoi que dans des proportions moindres.
Mais c’est le Royaume-Uni qui se distingue en matière de dumping fiscal, avec de nouveaux engagements pris au lendemain du vote du Brexit, de ramener l’impôt sur les sociétés de 20% aujourd’hui à 17% en 2020, après qu’il ait déjà dégringolé auparavant de 10 points en huit ans…
A ce jeu-là, la France n’est pas très agile. Depuis 2009, elle est l’un des rares pays européens avec la Grèce à avoir augmenté son taux d’imposition sur les sociétés (34,4% aujourd’hui, c’est-à-dire 33,33% de taux normal, auquel s’ajoute la contribution sociale pour les plus grandes entreprises).
Sur la période 2011-2017, Coe-Rexecode a calculé que l’impôt sur les sociétés a augmenté de + 14,2 milliards d’euros[1].
Même sur la période la plus récente, l’essentiel des baisses de prélèvements sur les entreprises a été concentré sur le travail, alors que les impôts liés au capital sur les sociétés (impôts sur la production et impôts sur les sociétés) ont continué d’augmenter, tout spécialement en 2015.
Il faut prendre au sérieux cette évolution à contre-courant, car le niveau d’imposition sur les sociétés détermine pour une bonne part l’investissement et la montée en gamme de l’économie française.
Tant que la France n’aura pas rattrapé son retard d’investissement et de compétitivité, elle ne pourra pas faire cavalier seul en Europe sur le plan fiscal.
L’annonce faite le 23 août dernier par le gouvernement Valls d’un abaissement du taux d’IS à 28% d’ici à 2020 remet l’hexagone dans la bonne direction.
Cette avancée sera toutefois loin de suffire, comme l’a reconnu le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) en début d’année. Face aux stratégies fiscales décomplexées de ses voisins, la France doit aller plus loin et viser un alignement sur la moyenne européenne (25%).
Ce n’est pas ce que prévoit de faire Marine Le Pen, qui se bornerait en cas d’élection à abaisser le taux intermédiaire en faveur des seules PME à 24% (contre 28% depuis la loi de finances 2017) tout en maintenant le taux réduit de 15% pour les PME de moins de 7,6 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Une orientation qui aurait été défendable à une époque où les écarts de taux d’imposition implicite[2] faisaient apparaître de fortes disparités entre les entreprises en fonction de leur taille.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui : selon le CPO, ce taux est passé de 33 à 31% entre 2011 et 2014 pour les entreprises de 10 à 50 salariés, de 28 à 31% pour celles de 50 à 250 salariés, tandis que celui des grandes entreprises (plus de 5 000 salariés) a progressé de 6 points, pour passer de 25 à 31% sur la même période[3].
Cette réduction des écarts entre les grandes sociétés et les autres s’explique plus particulièrement par les restrictions apportées à divers mécanismes, comme celui de la déductibilité des intérêts d’emprunt et les reports déficitaires, auxquels ont plus fréquemment recours les multinationales.
Le réalignement fiscal par rapport au niveau moyen des pays européens, c’est ce que propose en revanche Emmanuel Macron : son programme prévoit de ramener le taux d’impôt sur les sociétés à 25% à l’horizon 2022.
Une ambition qui va demander au futur Président de la République le plus grand sérieux dans la gestion des finances publiques. Car l’addition de la trajectoire de baisse à 28% d’ores et déjà engagée et de la nouvelle proposition du candidat d’En marche, coûtera plus de 11 milliards d’euros au budget de l’Etat.
Conscient de la difficulté qu’aura le prochain Gouvernement à mener de front cette réforme (et les autres mesures favorables à la compétitivité) et l’objectif de rester sous le seuil de 3% de déficit public, le CPO a d’ailleurs avancé plusieurs pistes de financement, dont l’une fait grincer les dents du côté de la CPME : la suppression du taux réduit de 15% pour les PME de moins de 7,6 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Un point sur lequel Emmanuel Macron ne s’est pas encore prononcé, mais qui mérite d’être étudié compte tenu à la fois, comme on l’a dit, de la réduction de l’écart entre le taux d’imposition implicite entre les PME et les grandes entreprises ces dernières années, mais aussi du coût élevé pour l’Etat du taux réduit (2,6 milliards d’euros en 2014), véritable épine dans le pied du Gouvernement s’agissant de l’IS.
Alléger l’impôt sur les sociétés sans oublier d’en améliorer le rendement
En parallèle de la stratégie d’allègement, la France devra mettre aussi tout son poids politique au sein de l’Union européenne (UE) pour tenter de mettre un terme à une escalade dévastatrice sur la scène européenne, celle du moins-disant fiscal.
Emmanuel Macron, une fois élu, devrait apporter son appui au projet de fixation d’une assiette commune d’imposition sur les sociétés, mis sur la table une première fois par la Commission européenne en 2011, et qui avait d’abord échoué faute d’un accord unanime des Etats membres.
L’ACCIS (Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt sur les Sociétés) a été présentée de nouveau à l’automne dernier par la Commission, dans le but de « rendre l’imposition des sociétés au sein de l’UE plus équitable, plus compétitive et favorisant la croissance ».
En harmonisant « l’assiette » d’imposition entre les Etats, les dirigeants européens espèrent réduire la compétition fiscale par les taux, sans qu’on puisse penser à ce stade avec certitude que cette nouvelle étape de convergence suffira pour éradiquer tout dumping fiscal en Europe.
Quelle que soit l’issue des nouvelles négociations sur l’ACCIS, l’économie française ne pourra échapper durablement à une mise à plat de sa propre assiette de l’IS. Car la plus contraignante des singularités françaises sur le plan fiscal réside moins aujourd’hui dans son taux élevé que dans l’étroitesse de son assiette.
Depuis longtemps, celle-ci est « mitée » par une multitude de dérogations et d’exemptions, prenant la forme de crédits d’impôt et de niches, aboutissant à minorer l’impôt effectivement collecté.
Certaines « dépenses fiscales » mettent en jeu des sommes considérables, à l’image du Crédit d’Impôt Recherche (CIR), devenu le régime d’aide à la R&D des entreprises le plus généreux du monde, avec un coût pour l’Etat estimé à 5,5 milliards d’euros cette année et dont un rapport récent de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pointe de probables « effets d’aubaine »[4], affirmant que « l’Etat subventionne automatiquement des dépenses de recherche-développement qui auraient été faites sans le CIR ».
Finalement, avec un tel maquis de niches fiscales, le rendement de l’impôt sur les sociétés est plutôt faible dans notre pays, avec seulement 2,5% du PIB contre un moyenne de 2,9% dans l’OCDE.
Si la baisse de l’impôt sur les sociétés et l’élargissement de son assiette apparaissent comme deux priorités essentielles pour le futur Président de la République et son Gouvernement, ni l’un ni l’autre ne devront oublier que les entrepreneurs attendent avant tout une plus grande stabilité de notre norme fiscale.
Un domaine dans lequel les deux derniers quinquennats auront réservé de biens mauvaises surprises aux entrepreneurs : rien qu’entre 2010 et 2013, les lois de finances (incluant les budgets rectificatifs de fin d’année) ont comporté jusqu’à 500 articles pour 150 à 200 mesures fiscales nouvelles !
Une inflation contre laquelle l’ancien ministre de l’Economie a pris des engagements début avril devant le MEDEF, en déclarant que, s’il était élu, tout impôt une fois modifié ne fera plus l’objet d’aménagement ultérieur pendant son quinquennat : « il faut une loi organique pour lier les mains du législateur. Au-delà de la loi de finances, il y aura deux ou trois mois durant lesquels on légifère, le reste ou l’on évalue », a prévenu le candidat Macron.
Réussir la réforme de l’impôt sur les sociétés est un gage important de respectabilité par la communauté des entrepreneurs des équipes dirigeantes qui vont s’installer le 16 mai prochain. Car ce succès ne saurait être obtenu sans de très grandes qualités de manœuvre à l’échelle européenne ni une grande habileté à gérer par ailleurs la nécessaire baisse des prélèvements obligatoires sur les entreprises et la non moins impérieuse réduction de la dépense publique.
Un tel accomplissement serait aussi un formidable moyen de rompre avec la dérive d’un pays devenu l’incontestable « champion du matraquage fiscal », ce qu’aucun quinquennat récent n’a su enrayer, de Nicolas Sarkozy à François Hollande[5].
[1] Coe-Rexecode, Perspectives 2017 et analyse des freins qui brident le redémarrage de l’économie française, page 28, septembre 2016
[2] Rapport entre le montant de l’impôt et l’excédent net d’exploitation
[3] Conseil des Prélèvements Obligatoires, Adapter l’impôt sur les sociétés à une économie ouverte, décembre 2016
[4] OFCE, Etude d’impact du Crédit d’impôt recherche. Une revue de littérature. Rapport à l’attention de M. Thierry Mandon, Secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, avril 2017
[5] Jean-Marc Daniel, Les impôts. Histoire d’une folie française. Editions Tallandier, avril 2017
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