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Il est dangereux de répliquer les politiques publiques des années 1980

EIGHTIES | Depuis le début de l’année, les références aux années 1980 sont nombreuses. Tout d’abord, le durcissement du ton de J. Powell fait beaucoup penser à celui de P. Volcker en 1980.

Plus récemment, l’annonce de l’ex-chancelier de l’échiquier britannique, K. Kwarteng, concernant une baisse d’impôts, nous renvoie aux « Reaganomics » ou aux politiques de M. Thatcher. Ces comparaisons prennent naissance dans les nombreuses similitudes entre le choc énergétique des années 1970 et celui que l’on observe actuellement. À l’époque, la séparation des missions était limpide : les gouvernements soutenaient la croissance tandis que les banques centrales ne se préoccupaient que de l’inflation.

Pour autant, peut-on répliquer les mêmes politiques publiques ? Non, la situation est très différente aujourd’hui.

Etats-Unis – Le moment où Volcker a été décisif

Lors de sa prise de fonction à la réserve fédérale américaine en 1980, P. Volcker hérite d’une économie marquée par une décennie d’inflation (en moyenne 7 % l’an au cours des années 70). Tous les plans budgétaires et monétaires pour la combattre ont échoué. La doctrine dominante est celle du monétarisme de M. Friedmann (prix Nobel quatre ans plus tôt) qui conseille le Président R. Reagan pendant la campagne électorale. La stratégie est claire, il faut ralentir la croissance de la masse monétaire. Celle-ci est ainsi divisée par deux, passant d’environ 10 % en 1979 à une moyenne de 3,4 % l’an en 1981. L’inflation ralentit également de 14,6 % en mars 1980 à 8,9% fin 1981. L’objectif est atteint.

Si la hausse de taux fait date, ce qui a suivi est souvent un peu oublié. En effet, P. Volcker n’a pas simplement maintenu les taux élevés en attendant la baisse de l’inflation. L’instrument était la croissance de la masse monétaire, les taux n’étaient qu’un levier. Ainsi, au cours de l’année 1980, ces derniers sont passés de 20 % en mars à 9,5 % en juin puis sont remontés à 18 % en fin d’année, ce qui est difficile à imaginer aujourd’hui. Ensuite, pas moins de 6 programmes ont été mis en place pour réduire la monnaie en circulation, incluant une restriction de crédit, divers hausses obligatoires des dépôts, etc…

Par ailleurs, entre 1980 et 1982, l’économie est entrée dans une récession importante (chômage à 10,8 % en novembre 1982). La hausse de taux a également provoqué une appréciation du dollar et les Etats-Unis ont alors commencé à enregistrer des déficits courants importants du fait de la moindre compétitivité-prix. L’ironie de l’histoire c’est que, pour de multiples raisons, les Etats-Unis n’ont jamais retrouvé un solde des transactions courantes excédentaire depuis ce moment.

UK – Reagan, Thatcher et Truss : une réponse identique, mais des contextes différents

La récente proposition du gouvernement anglais concernant des baisses d’impôts et un programme expansionniste fait directement écho aux mesures mise en place par R. Reagan et M. Thatcher face au précédent choc inflationniste. L’idée est de venir en aide aux agents qui souffrent de la baisse du pouvoir d’achat.

Pour autant, la ressemblance s’arrête là car la situation économique était très différente. Les niveaux d’imposition de l’époque étaient très élevés en comparaison d’aujourd’hui : R. Reagan abaissait le taux d’imposition marginal le plus haut de 75 % à 50 % et M. Thatcher abaissait ce même taux de 83 % à 60 %. Cependant, notons que R. Reagan revint sur cette baisse tout juste un an plus tard et Thatcher la finança en grande partie par une hausse de la TVA de 8 % à 15 %. Dans sa proposition initiale, L. Truss n’envisage qu’un emprunt net pour financer le budget britannique. La pression des investisseurs pousse les partisans de la réforme à revoir leur copie.

Différence n°1 : la FED n’est pas encore restrictive et l’inflation pourrait ralentir d’elle-même

En comparant le taux directeur au taux neutre réel (taux qui prévaut lorsque l’économie est à l’équilibre, proche de son potentiel), pour que la FED ait le même impact qu’en 1980 avec ses taux, il faudrait les relever à plus de 6 %. C’est à peu près 150 points de base au-dessus du point le plus haut anticipé par la FED aujourd’hui (en supposant un rythme d’inflation autour de la moyenne observée cette année). Ce n’est pas impossible, mais la marche reste haute en dépit de l’environnement actuel. Si l’inflation ralentit naturellement, du fait d’une normalisation des prix des matières premières, (attendues en baisse sous les 4 % en moyenne en 2023), ces hausses de taux ne seront plus justifiées.

Différence n°2 : le stock de dette est un frein majeur

En 1979, la dette publique américaine ne représente que 25 % du PIB, contre plus de 100 % aujourd’hui. S’il est vrai que le « privilège exorbitant » du dollar leur permet cet endettement, le système monétaire international n’est pas infaillible. Pour le Royaume-Uni, le niveau de dette publique était autour 40 % du PIB et il est aujourd’hui au-dessus de 80 % du PIB. Dans le contexte de resserrement monétaire, le gouvernement ne peut pas se permettre de mettre en péril la trajectoire de la dette publique et le constat est similaire pour le secteur privé.

Différence n°3 : l’inflation n’est pas qu’un phénomène monétaire

Après 14 ans d’injections de liquidités avec divers programmes d’achats d’actifs, l’inflation n’a pas vraiment réagi à l’évolution monétaire. Aussi, la doctrine monétariste n’est probablement pas la plus adaptée pour contrôler l’inflation réalisée. La lutte contre l’inflation actuelle ne devrait pas reposer exclusivement sur les banques centrales, les gouvernements ont un rôle clé à jouer.

Pour conclure, il faudrait privilégier des mesures ponctuelles et mieux calibrées pour éviter les dommages collatéraux. Une évaluation plus fréquente des politiques publiques devrait aider.

Hervé Amourda, économiste chez PRO BTP FINANCE et membre du comité stratégique chez BSI Economics.

Noémie Cunha, assistante économiste chez PRO BTP FINANCE

 

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