Fin juillet, on apprenait par Reuters (*) que la Commission européenne examinait un projet de loi permettant de geler les dépôts bancaires en cas de crise bancaire. Dans la torpeur et la relative indifférence estivale, la Grèce a émis en juillet un nouvel emprunt obligataire. Depuis 2008 et 2011, rien n’a changé sauf que les créances douteuses s’empilent.
Le maintien en vie de zombies financiers (créatures financièrement mortes mais qui donnent l’apparence de la vie) grâce à des artifices monétaires et des lois spoliatrices est devenu la norme. Personne ne songe à s’en émouvoir.
Ceux qui fustigent systématiquement les inégalités se trompent de cible. Toutes les inégalités ne sont pas injustes. Les privilèges en revanche le sont. Il n’y a pas de plus grand privilège, de nos jours, que de prêter de l’argent qui n’existe pas et d’être couvert par une banque centrale. Mais les prêts douteux s’empilant, il ne faut pas s’étonner si les réglementations au profit des privilégiés – les détenteurs d’une licence bancaire – se multiplient.
La renaissance de la Grèce
Athènes, qui s’appuie donc de nouveau sur le Mécanisme européen de stabilité (la garantie de l’Internationale des contribuables européens) – a ainsi pu emprunter 3 Mds€ sur 5 ans, pour un taux de 4,625 %.
Le gouvernement d’Alexis Tsipras se flatte d’un « succès absolu ».
Pierre Moscovici, actuel commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, fait l’éloge de la situation grecque en parlant d’une « amélioration spectaculaire ».
Les observateurs semblent unanimes : tout semble aller mieux pour la Grèce, certains parlent d’un « retour à la normale » pour le pays.
Parlons chiffres.
- La dette grecque pour commencer
Elle culmine à 179% du PIB du pays. Cela fait d’ailleurs plus de quatre ans que le niveau se situe au-dessus des 177%.
Cette dette, représente 350 Mds d’€.
D’autres pays de l’Union Européenne peuvent se féliciter de faire partie du clan des normaux. Citons l’Italie (133% de dette), le Portugal (130,4%), la Belgique (105,9%), la France (96 %) etc.
Le FMI, lui, est moins « cool » et qualifie la dette de la Grèce, d’« insoutenable ».
- Le budget du gouvernement
Il est en constant déficit depuis des décennies malgré toutes les restructurations de dettes et les prêts. Depuis 2008, les rentrées fiscales nettes par habitant ont diminué de 36%.
Le léger excédent budgétaire du début d’année 2016 est certes un progrès car Athènes revient de loin. Mais à quel coût ? Les différentes actions de « sauvetage » ont déjà coûté 435 Mds d’€.
Avec de nouvelles émissions obligataires, les dépenses keynésiennes vont pouvoir reprendre.
- La croissance grecque
La croissance du pays est bien morne.
Les prévisions ont même été revues à la baisse pour l’année 2017. Prévues initialement à un taux de 2,7% par la Commission Européenne et la Grèce elle-même, elles sont finalement estimées à 1,8% par Athènes.
L’amélioration est loin d’être spectaculaire, contrairement à ce qu’affirme notre ancien Ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici.
Une économie grecque toujours aussi exsangue
Le chômage touche un peu moins d’un jeune sur deux en 2016 (46,5%) pour l’ensemble de la population active. Il atteint 21,7%.
Depuis 2009, le revenu disponible des ménages s’est écroulé de 24%. Les salaires n’ont fait que baisser sur cette période : environ 14% de moins pour le salaire horaire moyen.
Bien que 2009 compte quelques améliorations, la balance commerciale reste chroniquement déficitaire.
Le tissu économique reste instable. Les PME ont bien souffert.
Seul le tourisme, qui contribue à lui seul pour près de 11% du PIB, se porte encore bien.
Une « normalité » qui relève de la psychiatrie
En 1854, déjà, un journaliste célèbre, notait :
« La Grèce est le seul exemple connu d’un pays vivant en pleine banqueroute depuis le jour de sa naissance ».
Edmond About, La Grèce Contemporaine.
A propos des emprunts extérieurs, il écrivait :
« Les ressources fournies par cet emprunt ont été gaspillées par le gouvernement sans aucun fruit pour le pays ; et, une fois l’argent dépensé, il a fallu que les garants, par pure bienveillance, en servissent les intérêts : la Grèce ne pouvait point les payer ».
La Grèce serait donc fidèle à elle-même depuis la création de son Etat en 1830.
Dans le Larousse, la normalité est définie comme un « état, caractère de ce qui est conforme à la norme à ce qui est considéré comme l’état normal. » Mais le dictionnaire ajoute qu’en psychologie, c’est le « caractère heureux des relations aux autres et à soi-même quelle que puisse être la nature des conflits sous-jacents. »
La dette grecque ira garnir des super livrets d’épargnants européens. Les acheteurs institutionnels sont persuadés qu’en cas de pépin, la Banque centrale européenne rachètera les titres. L’impunité et l’irresponsabilité sont garanties par la BCE. Mais cette « normalité » est encore insuffisante compte-tenu du gonflement des créances douteuses.
Si le projet de réglementation européenne aboutit, en cas de problème, les déposants d’une banque imprudente ne pourront plus en changer. Leurs dépôts seront gelés.
L’orchestre du bal des zombies continuera à jouer. Pendant combien de temps ? Le document rédigé par la présidence du Conseil de l’Union européenne mentionne que les clients devraient pouvoir toujours retirer une somme minimale, pour couvrir leurs besoins immédiats, et propose de limiter le gel des comptes à 5 jours ouvrés, pouvant être prolongée jusqu’à 20 jours en cas de « circonstances exceptionnelles ».
Voilà. L’exceptionnel est même prévu dans la « normalité ».
(*) https://www.reuters.com/article/us-eu-banks-deposits-idUSKBN1AD1RS
Par Simone Wapler et Florian Darras
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