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Finance verte : pour l’ancien boss des investissements durables de BlackRock « la meilleure solution serait de créer une taxe carbone véritablement contraignante »

ariq Fancy, ancien Chief Investment Officer des fonds durables de Blackrock demande plus de régulation

Pour l’ancien Chief Investment Officer des fonds durables de BlackRock, Tariq Fancy, seule la mise en place d’un cadre juridique contraignant peut permettre à la finance de se détourner des énergies fossiles. 

Le vert n’a plus la côte dans le monde de la finance. Alors que les milieux d’affaires mondiaux avaient érigé la préservation de l’environnement comme socle du capitalisme contemporain, l’engouement pour les questions écologiques semble être retombé. Symbole de ce nouveau monde où la valorisation de l’entreprise ne se voulait plus être la seule priorité, les critères ESG pour environnementaux, sociaux et de gouvernance, n’attirent plus voire repoussent. Selon Morning Star, une entreprise fournissant des informations sur les placements,  seuls 170 fonds ESG ont été lancés dans le monde au premier semestre 2024 contre 325 l’an dernier, déjà en net ralentissement par rapport au 529 de 2022. D’autant plus que plusieurs gestionnaires d’actifs ont banni toute référence aux normes ESG. C’est le cas de BlackRock, et ses 10 000 milliards d’encours dans le monde. Dans sa lettre annuelle de 2024, son PDG, Larry Fink a pris soin de ne pas utiliser l’acronyme, lui, qui affichait il y a encore quelque temps, une écharpe couleur bleu et rouge pour alerter sur la montée des eaux. Dans la même verve, des financiers connus comme Allianz ou Vanguard se sont retirés d’organisations environnementales. Ancien « Chief Investment Officer » des fonds durables de BlackRock, Tariq Fancy revient pour Forbes sur ce ravalement de façade. 

 

Forbes France : Pourquoi l’engouement autour des critères ESG est-il retombé ? 

Tariq Fancy : Ce que nous voyons est une conclusion naturelle à laquelle nous pouvions nous attendre car ces entreprises menaient une stratégie de communication. Au moment où elles ont adhéré aux critères ESG, les sociétés ont expliqué que c’était une bonne chose pour la planète et les affaires. Les sociétés tenaient le discours suivant : “si nous utilisons les données ESG, nous allons mieux comprendre les risques. Ce sont des aspects importants de notre activité qui vont nous permettre d’atteindre les objectifs de nos clients et investisseurs tout en protégeant l’environnement et en respectant des valeurs sociales”. Dès le début, BlackRock s’est érigé comme un des plus gros défenseurs des ESG. 

Mais, il est important de rappeler que ces critères sont un écran de fumée total qui ne présente aucun intérêt pour l’environnement, ni pour la société.  A partir de 2021, nous avons pu constater un premier retour de bâton, celui de l’éco-blanchiment. Le monde a commencé à comprendre que ces engagements n’étaient pas vraiment significatifs en faveur du climat. Des entreprises comme Total ou Coca Cola bénéficient des meilleures notes ESG. 

En 2022, les Républicains ont commencé à attaquer l’ESG, principalement pour des raisons politiques. La base de l’électorat républicain, même si on pourrait dire la même chose des démocrates, n’aime plus les grandes entreprises. En effet, l’Amérique est généralement très en colère contre le système. Les grandes entreprises se sont ainsi retrouvées attaquées par les électeurs de gauche, sensibles à la cause climatique et par la droite qui y a vu une opportunité politique de plaire à son électorat. 

C’est la preuve qu’il s’agissait principalement d’une stratégie de communication de la part de Big Business. En tant qu’ancien investisseur, je peux vous dire que quand il s’agit d’une stratégie d’investissement, vous ne vous souciez pas du bruit tant que vous pensez que c’est bon pour les affaires.  Les entreprises ont donc trouvé le meilleur moment pour se retirer discrètement d’un ensemble d’accords et revenir en quelque sorte sur leurs engagements. C’est exactement ce à quoi je m’attendais. Je suis assez remonté car la société vient de perdre quelques années où de véritables actions en faveur du climat auraient pu être mises en place. 

Certains financiers se sont retirés d’organisations environnementales, cela suit-il cette même logique ? 

T.F : Il y a des nuances car ces initiatives sont différentes mais cela suit des logiques similaires. En effet, l’avantage d’apparaître comme faisant partie de ces organisations a diminué aux yeux du monde. A l’inverse cela présente de nombreux inconvénients. D’autant que si les contraintes sont minimes, ne pas les respecter peut poser des problèmes juridiques. 

N’importe qui peut dire qu’il prévoit de décarboner d’ici 2050 tant que ce n’est pas contraignant. Mais une fois que ces organisations environnementales les enjoint à le faire – un tant soit peu –  leur portefeuille, c’est une autre histoire. Ces financiers ne peuvent pas s’engager dans quelque chose qui viole leur devoir fiduciaire. Et l’obligation fiduciaire dit que vous devez faire le plus d’argent possible, de manière efficace avec le capital de leurs clients. 

S’il existait un monde où les combustibles fossiles étaient moins rentables ou une taxe sur le carbone, ces financiers pourraient s’engager à rester dans ces organismes environnementaux. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de sanctions en cas de pollution. 

Les financiers ne doivent donc pas être tenus comme unique responsables de ce manque d’engagement en faveur de l’environnement ? 

T.F : Quand il y a beaucoup de profits à faire, il s’agit d’une obligation fiduciaire pour ces financiers afin de maximiser la valeur des portefeuilles de leurs clients. Ils ne peuvent pas arrêter, indépendamment de toute le reste, d’investir dans les énergies fossiles car c’est leur cœur de métier.  Et il y a beaucoup d’opportunités d’investissements rentables dans les combustibles fossiles. 

La plupart des mesures prises par nos gouvernements s’attaquent à l’offre sans se soucier de la demande. La population mondiale augmente, les gens s’enrichissent en Chine et en Inde, ils consomment plus de viande et achètent plus de voitures. Je pense donc que beaucoup de ces acteurs se disent qu’à ce rythme, les prix du pétrole vont augmenter parce que nos gouvernements essayent de réduire l’offre à un moment où rien n’est fait pour réduire la demande. 

Quelles leviers pourraient être activés afin d’y répondre ? 

T.F : Je pense, et tout le monde le sait depuis un certain temps, que nous avons besoin de changements obligatoires juridiquement contraignants. Mais en pratique, les politiciens ne font rien car ils ne savent pas comment mettre en place ces mesures tout en étant réélu. 

La meilleure solution serait de créer une taxe carbone véritablement contraignante. Mais le poids d’une pareille mesure ne portera pas uniquement sur les grosses entreprises et les financiers mais sur l’ensemble de la population qui va être contrainte à des sacrifices. C’est quelque chose de difficile à faire accepter. On l’a vu en France avec les Gilets Jaunes et les manifestations des agriculteurs, des mouvements de protestation nés en réponse à des taxes à vocation écologique.  

Il n’y a jamais eu de personne qui ait vraiment essayé de faire avancer les choses, qu’il s’agisse d’un politicien ou d’un technocrate. Quand je dis technocrate, je pense aux gouverneurs des banques centrales, par exemple, même si leur champ d’action apparaît très réduit par rapport au politique locale. Mais ils ont la capacité d’imposer des changements que l’on ne pourrait pas obtenir par le biais du système politique traditionnel. Même si cela va au-delà de leur mandat qui est de lutter contre l’inflation, ils pourraient utiliser leur influence pour réduire le montant des prêts ou des investissements effectués dans les combustibles fossiles par exemple. Pour le moment, les banques centrales se contentent d’utiliser des moyens détournés.  

Vous dressez un portrait très pessimiste, il n’y a donc pas d’espoir ? 

T.F : La grande question est de savoir si nous allons continuer à gérer l’économie de notre système sur le court-terme. Sur ce point, il y a une divergence croissante entre les points de vue des jeunes et ceux des personnes plus âgées. Et je pense qu’elle est plus grande que ce que les gens pensent. La majorité des membres de la génération Z et des milléniaux ne croient plus au capitalisme. Vous savez, nous n’avons jamais vu cela dans les données auparavant. Il y a donc de l’espoir car ce sont les jeunes qui constitueront l’électorat politique de demain, ce sont eux qui auront les cartes en main pour sauver la planète.


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