Avec environ 2,7 milliards d’utilisateurs (toutes plateformes confondues : Facebook, Facebook Messenger, WhatsApp, Instagram), et face aux offres de concurrents tels que Samsung, Apple, et Tencent sur le secteur des services de paiement et portefeuilles digitaux, il était grand temps pour le groupe dirigé par Marc Zuckerberg de se positionner à son tour.
Tous les regards (et articles de presse) se focalisent maintenant sur la réaction immédiate du Congrès américain, demandant dans une lettre officielle envoyée à Zuckerberg le 3 juillet de suspendre son projet le temps pour le législateur d’analyser les potentielles conséquences d’un tel projet à l’échelle mondiale. Pourtant, là n’est pas l’essentiel.
La question n’est absolument pas de savoir si la cryptomonnaie Libra pourra voir le jour début 2020 comme prévu. Avec un Bitcoin qui vient de fêter ses 10 ans d’existence alors que la quasi-totalité des législateurs et autorités financières mondiales n’ont eu de cesse de tenter d’avoir « sa peau » depuis son apparition, on n’en est plus là depuis longtemps. Les cryptomonnaies font désormais partie du paysage financier, et leur adoption massive n’est désormais plus qu’une question de mois, voire de quelques années au pire.
La question est plutôt de comprendre ce qui se cache vraiment derrière la décision de Marc Zuckerberg de lancer sa cryptomonnaie, surtout depuis que le monde a découvert avec le scandale Cambridge Analytica que Facebook n’est pas qu’une sympathique plateforme digitale d’interactions sociales en utilisateurs conscients et informés des conséquences de son utilisation…
Pour bien comprendre quels sont les vrais enjeux du projet Libra, il convient de se mettre quelques secondes à la place d’un mogul de la Silicon Valley. Quand votre fortune peut être considérée comme illimitée, et sachant que vous êtes génétiquement incapable de vous épanouir dans un mode de vie contemplatif, quel type de challenge peut continuer de vous pousser à vous lever le matin ? Gagner plus d’argent ? Sans intérêt. Plus de pouvoir ? Plus de gloire ? Il y a de cela, et c’est en fait assez évident quand on y pense.
La totalité des moguls multi-milliardaires issus du monde de la tech sont aujourd’hui focalisés sur une ou plusieurs des 3 questions suivantes :
- Comment vaincre la mort ?
- Comment jouer à Star Trek, mais pour de vrai ?
- Comment se positionner pour devenir le premier « Président » du premier futur « Gouvernement Mondial »?
Les deux premières questions sont généralement retenues par les ingénieurs de formation (fondateurs de Google, de Space X, ou de Blue Origin par exemple…). Marc Zuckerberg a donc logiquement retenu la troisième : fortune faite, ce qui assure de gagner les élections, il faut encore franchir trois étapes pour s’assurer la stature d’un chef d’état : disposer d’une communauté, de sa propre monnaie, et enfin de son armée.
Pour la communauté, c’est réglé. En nombre d’utilisateurs rapportés à la population, Facebook Inc. « pèse » désormais plus lourd que les populations américaines, européennes et chinoises réunies.
Pour la monnaie, nous y sommes : voici donc le Projet Libra, dont la masse financière devrait atteindre celle du dollar (1700 milliards de dollars papier en circulation dans le monde au 31 janvier 2019 selon la Fed) dans les 2 ans qui suivront son lancement (Q1 2020 selon le livre blanc). On parle en effet de 630 équivalents dollars par utilisateur…
Reste l’armée, digitale bien sûr… Ne souriez pas, vous en avez déjà vu les effets. Saviez-vous qu’avec 44 millions de dollars dépensés sur 175000 bannières différentes affichées en boucle, le président Trump avait dépensé 1,6 fois plus que sa rivale Hillary Clinton ? Saviez-vous que le président américain doit sa victoire à une différence effective de seulement 77 759 votants sur son opposante, lui ayant permis de remporter les états du Wisconsin, de la Pennsylvanie, et du Michigan ? 77 759, soit… 0,003% du réseau « manipulable » par Marc Zuckerberg.
La question n’est donc pas de savoir si la cryptomonnaie Libra représente un danger pour l’équilibre du système bancaire et financier. Elle est un poil plus fondamentale : que croyez-vous qu’il se passera quand Projet Libra, emmené par Facebook, proposera dans le cadre de la première « présidence du monde », l’émission de 600 dollars par mois de sa propre monnaie pour chaque utilisateur des réseaux sociaux du groupe qui accepterait de voter pour son fondateur ?
Que croyez-vous qu’il se passera lorsque le dollar perdra son statut de première monnaie mondiale en volume face à la cryptomonnaie Libra, opérée dès son lancement par des acteurs comme MasterCard, Visa, Stripe, Paypal, Uber, Ebay, Vodafone, et j’en passe ?…
La Chine ne s’y est pas trompée : dans un article publié le 8 juillet dans le South China Morning Post, le directeur de la banque centrale du pays a confirmé la création d’une cryptomonnaie nationale en réponse au projet Libra.
Et ce n’est que le début. Car derrière les cryptomonnaies se cachent en fait les fondements techniques qui permettent la décentralisation algorithmée de la plupart des services que nous utilisons au quotidien. Après la musique, le cinéma, les hôtels, les taxis, les banques, et maintenant la monnaie, nous voici entrés dans ce qu’il convient d’appeler « la disruption finale » : celle de la société capitaliste moderne toute entière.
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