L’innovation s’est toujours nourrie des possibilités technologiques, de besoins émergents et d’attentes partiellement couvertes. Avec l’initiative de Facebook Libra, le sujet des monnaies privées s’invite avec force dans l’agenda des gouvernements et des banquiers centraux.
Dans les faits, la naissance de « pseudo » monnaies d’échange telle que Facebook Libra n’est pas nouvelle, notamment pour celles sans caractère libératoire. Programme de fidélité à points issu d’enseignes commerciales, « miles » de compagnies aériennes, crédits de jeu vidéo…, notre quotidien est peuplé de monnaies privées qui ne disent pas leurs noms. C’est bien la confiance (fiducia) dans l’entreprise émettrice qui assure au consommateur qu’elles seront utilisables pour la finalité qui a conduit à leur création : récompenser, payer des microservices, transférer des parts de services… Ainsi, soit le consommateur a tout à gagner à l’utiliser, soit la réputation de l’entreprise favorise la confiance et donc l’usage. La monnaie a toujours été une histoire de convention entre parties : il suffit d’y croire pour lui donner de la valeur ! Dans un lointain passé, c’était le souverain par son statut qui était détenteur de ce capital confiance. Aujourd’hui, nul n’est plus digne de confiance a priori, mais certaines marques disposent d’un capital réel. La confiance, actif intangible ne se proclame pas. Elle se démontre par des éléments de preuves tangibles : fiabilité des services, qualité de la relation client, éthique dans le traitement des données, frugalité de la consommation énergétique… Si la défiance des consommateurs vis-à-vis des institutions notamment financières reste bien réelle, peut-on en retour avoir assez confiance dans des entreprises comme Facebook ayant eu des déboires depuis 2 ans ? Un service financier impose en effet des contraintes de gestion bien supérieures à celles existantes dans le traitement des données personnelles sur un réseau social !
Pour nourrir la confiance, la technologie a aussi été un puissant renfort, et plus encore, pour les monnaies à caractère libératoire : papier fiduciaire, encre comme agent de neutralisation, fibres fluorescentes, filigrane mulsion, signes de sécurité détectables uniquement par des machines, code unique… Aujourd’hui ce sont les possibilités offertes par les technologies blockchain qui semblent les plus prometteuses, fort de 10 ans d’expérimentation du Bitcoin. D’ailleurs certaines monnaies à faible pouvoir libératoire, ou émanant de pays totalitaire, ont vu dans les monnaies privées une solution potentielle. Mais ce sont surtout les évolutions de comportement qui renchérissent le niveau d’attentes vis-à-vis de néo monnaies et solutions de paiement alternatives. La mondialisation a en effet banalisé les paiements et transferts internationaux, et généralisé leur nécessaire dématérialisation. Simultanément, la montée des micropaiements a conduit à renchérir la pression sur les coûts unitaires par transaction. PayPal, Alipay et WeChat proposent déjà des plateformes simples d’usage, utilisées par plus de 500 millions de Chinois. Et, pour les géants mondiaux du numérique qui voudraient investir ce sujet, tous ne jouent pas à jeu égal. Ceux dont l’activité historique est structurellement « sans frontière » possèdent un avantage décisif. En tête, Facebook avec sa plateforme sociale, Instagram, WhatsApp et Messenger. On peut aussi citer Telegram qui a déjà commencé avec son projet « TON » … La capacité à s’appuyer sur des échanges informationnels existants pour développer des flux financiers est forte et rend cette adjacence d’activité encore plus évidente. C’est sans compter la capacité de ces acteurs à offrir une expérience utilisateur hors norme et une ergonomie exemplaire. Et là encore on peut compter sur Facebook ! Bref, tout est là pour réussir. Pourtant, malgré ces atouts, Facebook vient de partager ses doutes sur sa capacité à surmonter les obstacles règlementaires, y compris aux Etats-Unis pourtant enclins à aider ses champions de la tech.
A court terme, l’usage des crypto-monnaies telle que Libra proposé par Facebook est sans équivoque. Il ne percute pas de prérogative régalienne s’il s’en tient à une solution de transfert d’argent entre utilisateurs de faible montant et à faible valeur de transaction. Mais seulement voilà, l’usage réel des technologies est rarement celui pour lequel il a été conçu au départ ! C’est le principe même d’une innovation technologique que d’ouvrir à des usages plus vastes, en fonction de la manière dont les utilisateurs s’en emparent. De plus, ce qui est bien conçu se déploie vite quand on dispose d’une base d’utilisateurs mondiale et captive. C’est à partir de là que le risque grandit pour les banques centrales de voir s’échapper l’un des pans les plus symboliques de leur pouvoir, et un rouage clé de leur autorité. D’autant plus que, dans le cas présent, l’adossement à un panier de monnaies fiduciaires comme le dollar ou l’euro, garanties par des réserves en devises officielles, procure une contre-valeur certaine et indépendante des banques. De fait il s’agit d’un quasi pouvoir libératoire si l’usage de cette monnaie devient massif. Derrière le sujet réglementaire bien réel, c’est-à-dire la nécessité de traçabilité et de lutte contre le blanchiment, comment les États peuvent-ils réellement encadrer l’engouement des citoyens face à l’initiative d’un acteur privé qui ambitionne de battre monnaie ? Considérant la fonction sociale de la monnaie, c’est-à-dire son rôle d’intégration des individus dans la société, c’est bien la souveraineté des nations qui est en question.
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