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Epargne : Pourquoi La Baisse Du Taux Pourrait Doper Le Livret A

La baisse de la rémunération du livret A pourrait entraîner une hausse de l’épargne et notamment la collecte du placement chouchou des Français. Contre-intuitif ? Pas tant que cela.

C’est fait. La décision était dans les tuyaux depuis plusieurs semaines. Comme prévu, le Gouvernement a décidé d’abaisser le taux du livret A de 0,75 à 0,5 %. Une diminution qui intervient après deux années de gel, est qui n’est que la conséquence de l’application de la nouvelle formule instituée en 2018

Pour autant, elle marque les esprits car elle constitue un nouveau plus bas historique du taux nominal.
Les plus anciens se souviennent encore des années 1974, 1975 et 1976 ou le livret rapportait entre 6 et 8,5 % par an. Avec un rendement réel, c’est-à-dire tenant compte de la hausse des prix, de… -3 à -5 %.
Depuis plusieurs années, les taux d’intérêt sont historiquement bas. « En 2019, l’État a emprunté à -0,4 %. La Banque Centrale Européenne a abaissé son taux de dépôt à -0,5 % le 12 septembre 2019 « explique Philippe Crevel du Cercle de l’Épargne.

Le livret A suit donc un mouvement inéluctable de baisse. Au détriment des épargnants.
« Rémunéré à 0,75 %, le livret A rapportait, à l’ensemble des épargnants, 2,235 milliards d’euros sur un an. Rémunéré à 0,5 %, le gain ne sera plus que de 1,49 milliard d’euros, soit une perte de 745 millions d’euros », a calculé Philippe Crevel.
Pour un épargnant ayant un livret A de 10 000 euros, la perte est de 25 euros sur un an (50 euros au lieu de 75 euros). Pour un épargnant, au plafond de 22 950 euros, la perte est de 57,37 euros (114,75 au lieu de 172,12 euros).

« On ne peut pas vouloir emprunter à 1 % sur 15 ans pour acheter de l’immobilier et rémunéré l’épargne sans risque à 0,75 % » justifie un banquier.
Depuis 2016, le rendement réel du livret A est redevenu négatif clôturant une période de 30 ans de rendement positif. Avec une inflation qui sur ces derniers mois était voisine d’un point, le rendement réel est négatif de 0,5 point. En 2020, la hausse prévue de l’inflation risque de faire descendre les rendements réels en dessous de 1 %.

épargne livret A
Cercle de l’Epargne

Pour autant, les Français vont-ils grignoter leur pactole pour consommer ou s’orienter vers des placements plus risqués, comme le souhaite le gouvernement ?
Normalement, la baisse des taux décourage l’épargne qui ne rapporte plus rien, en même temps qu’elle fournit des liquidités à bon compte pour les entreprises.

Problème, c’est le contraire qui se passe depuis trois ans.
Les statistiques de la Caisse des Dépôts montrent en effet que le livret A attire toujours une épargne confortable en dépit d’un taux jugé symbolique par de nombreux Français. Depuis janvier 2019, les épargnants y ont déposé près de 15,8 milliards d’euros, soit presque 5 milliards de plus que l’année précédente. L’encours total frôle aujourd’hui la somme de 300 milliards d’euros.
Les Français épargnent plus de 15 % de leurs revenus, un niveau historiquement très élevé, alors même que le capital placé risque de perdre du pouvoir d’achat.
Le même phénomène a été observé en 2017. Le taux réel de -0,25 % constaté sur l’année n’a pas empêché de livret A et le LDDS de collecter 12,4 milliards d’euros.

À l’inverse, 2014 et 2015 ont été des années plus intéressantes en termes de rendements réels avec respectivement +0,64 % et +0,90 %. Pourtant, à l’époque, les épargnants ont fui les deux livrets, retirant 6,1 milliards d’euros en 2014 et 11 milliards en 2015.

Epargne livret A
Cercle de l’Epargne

Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette apparente contradiction. Il faut tout d’abord rappeler que le taux du Livret n’est pas le seul critère pour les épargnants. Sa sécurité (il est garanti par l’État) et sa disponibilité en font un support intéressant en périodes d’incertitudes.
Par ailleurs, le Livret doit être comparé aux offres concurrentes. En 2014 par exemple, l’assurance-vie en euros et le PEL laissaient espérer un rendement net supérieur de 1 point à celui du livret A. De quoi rendre ces produits attractifs en dépit de leurs contraintes.
Cette année, les fonds en euros devraient servir en moyenne 0,4 point de plus qu’un livret A. Quant aux PEL ouverts en 2018, ils rapporteront à peine plus que le livret A, fiscalité déduite. Le livret A apparaît donc comme un moindre mal pour les épargnants
Reste que ce phénomène de « gonflement » de l’épargne sans risque n’est pas que français. La Suède, l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche, la Suisse et l’Australie ont également un taux d’épargne anormalement élevé, selon les calculs de Patrick Artus, l’économiste en chef de la banque Natixis.
Il n’en faut pas plus pour que les économistes s’interrogent sur ce « nouveau paradoxe de l’épargne ».

Selon Jean-Marc Vittori du journal Les Échos « le taux d’intérêt ne détermine pas seulement le choix entre épargne et consommation. Il détermine aussi ce que rapportera cette épargne. Un « effet revenu » auxquels sont très sensibles les particuliers ayant leur retraite en ligne de mire.
Et l’éditorialiste de citer Olivier Blanchard, l’ancien économiste en chef du FMI, « Comme les Français veulent préserver leur futur niveau de vie, quand les taux d’intérêt sont plus bas, ils épargnent plus et non moins. Des taux plus bas font donc baisser la demande. »

Une thèse également défendue par Michala Marcussen, l’économiste en chef de la Société Générale « Avec des taux d’intérêt plus élevés, il pouvait y avoir arbitrage entre location et achat d’un logement. Le locataire payait moins cher et investissait dans des placements financiers. Avec des taux ridiculement bas, ce choix a disparu. La priorité pour les jeunes, c’est alors d’épargner davantage pour constituer leur apport personnel.
Mais toujours selon Vittori, la thèse que les économistes préfèrent est celle de Stephen Williamson, un ancien économiste de la Réserve fédérale de Saint-Louis, qui analyse qu’une baisse des taux par la banque centrale conduit les consommateurs à anticiper une baisse des prix, les incitant à reporter leurs achats et donc à épargner en attendant.
C.Q.F.D. : Pour soutenir la demande et faire baisser l’épargne, il faudrait augmenter les taux d’intérêt et non les réduire encore.

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