Après avoir participé à la création d’une compagnie d’assurance, Catherine Charrier-Leflaive est aujourd’hui directrice de la banque de détail et de l’assurance de La Banque Postale. Elle est aussi directrice générale adjointe du Réseau La Poste, où elle doit affronter de nouveaux défis : la numérisation et l’arrivée des fintech et des GAFA sur le secteur bancaire.
Vous avez participé à la construction d’une compagnie d’assurance, en partant d’une simple feuille blanche…Pouvez-vous revenir sur cette expérience ?
Catherine Charrier-Leflaive : Effectivement. Lorsque j’étais étudiante en école de commerce à l’ESC Rouen (NDLR : qui a été rebaptisée aujourd’hui Neoma) , je n’imaginais pas faire carrière dans la banque et l’assurance. Et puis GAN est venu à l’école, et cela fait maintenant 28 ans que je suis dans le secteur.
J’ai passé dix ans chez Aviva, puis dix ans chez Generali. Quand La Banque Postale a lancé un appel d’offre pour fonder sa compagnie d’assurance de dommages, elle revenait systématiquement dans nos SWOT analysis (NDLR : outils qui croisent les opportunités et le risque) : « quand La Poste distribuera des produits d’assurance. » Le Groupe Generali est entré dans la compétition et a été retenu en finale, mais nous n’avons pas remporté l’appel d’offres. Trois semaines plus tard, La Banque Postale m’appelait pour me proposer de prendre la direction générale de cette nouvelle compagnie. Pour un assureur, construire une compagnie à partir de zéro est une opportunité qui ne se présente jamais. C’était une sorte de start-up, avec 22 millions de clients potentiels et le plus grand réseau de distribution de France. Un choix très entrepreneurial puisque je démarrais d’une page blanche, avec la capacité de recruter les équipes, de créer une gamme de produits, le service informatique, etc. En commençant en 2010, j’ai eu l’opportunité de développer dès le départ un système omnicanal. Ce qui était précurseur. C’est un avantage par rapport aux autres entreprises du secteur qui doivent se transformer.
Pour construire la compagnie d’assurance vous avez également monté des équipes puis vous avez été DRH du groupe, qu’avez-vous retenu de ces expériences ?
Catherine Charrier-Leflaive : Je dis souvent, je me « fiche » d’avoir les meilleurs du marché s’ils ne travaillent pas ensemble. La force vient du collectif donc à chaque fois que j’embauche une nouvelle personne, je pense à la manière dont elle saura s’intégrer dans l’équipe. Il nous fallait un noyau très soudé en raison de l’attente et des enjeux. J’ai ensuite accepté d’être DRH d’un groupe employant 80 000 personnes avec pour objectif d’accompagner la transformation du Réseau La Poste historiquement centré sur les activités de courriers et de colis, et les activités bancaires. J’y ai passé trois ans. J’ai noué beaucoup d’accords avec les partenaires sociaux, ce qui a été très fort. Je n’avais pas d’expérience RH, je venais du business, ce qui est certainement un atout pour accompagner et gérer de tels changements, mais j’avais des qualités de management, des capacités à mener des équipes vers un objectif. C’était une expérience inattendue.
Vous êtes désormais à la tête de la banque de détail et de la partie assurance, quels sont les principaux chantiers auxquels vous êtes confrontée ?
Catherine Charrier-Leflaive : Depuis deux ans, j’ai repris la direction de la banque de détail et de la partie assurance, des filiales et je suis DGA du Réseau La Poste. Je suis arrivée sur ce poste, enrichie de ces trois années en tant que DRH. J’appréhende tous les sujets de conduite du changement avec un autre état d’esprit. Il ne suffit pas de dire « les temps changent » , il faut accompagner les personnes qui travaillent dans l’ensemble des directions sur ces changements qui sont majeurs. Tout le monde , n’est pas « digital native » , tout le monde ne raisonne pas process. De plus, nous héritons d’organisations historiquement organisées en silo dans un monde où il faut raisonner parcours client. A l’inverse, les fintech et les GAFA n’ont peut-être pas notre expertise de la banque et de l’assurance mais ils ont une bonne appréhension du parcours et de l’expérience client. Or, nous voyons bien aujourd’hui que l’expertise et le produit sont des éléments qui vont devenir génériques. Et la création de valeur est désormais fondée sur la capacité à développer des interfaces avec le client. Installer des collaborateurs dans une salle et leur demander de faire du design thinking ne suffit pas. Il faut accompagner les collaborateurs, penser des parcours de formation pour des montées en compétences, en lien avec la digitalisation et l’évolution des usages.
L’évolution des usages passe-t-elle par le tout numérique ?
Catherine Charrier-Leflaive : Le modèle de distribution doit être le plus flexible possible, donc omnicanal pour accompagner la digitalisation de nos clients. Par exemple, nous venons de lancer un prêt express. Vous pouvez obtenir un crédit à la consommation jusqu’à 30 000 euros, en trois clics. Nous avons constaté, après deux mois d’expérimentation, que seulement 7% des clients allaient au bout de ce parcours, tandis que les autres se tournaient vers un conseiller. C’est intéressant de se dire que nous avançons sur la digitalisation, mais le contact humain ne disparaît pas, 1,5 million de clients franchissent chaque jour les portes de nos bureaux. Les autres banques sont dans un mouvement de fermeture des agences, ce n’est pas notre cas. Nous continuons à investir dans notre réseau et assumer notre mission de maillage territorial et d’accueil des publics en situation de fragilité. Il me semble important d’accompagner l’évolution des usages de nos clients. Si cela s’accélère sur le tout en ligne, nous sommes prêts ; si nous constatons que nos clients veulent continuer à se déplacer dans les agences, notre réseau est toujours là.
Malgré l’assise de La Banque Postale, comment anticipez-vous l’arrivée sur le marché des fintech et des GAFA ?
Catherine Charrier-Leflaive : La Banque Postale lance un incubateur pour accompagner le fintech. Sur les sujets bancaires et sur l’assurance, nous pouvons travailler avec elles sans pour autant les racheter. Nous avons toutes sortes de partenariats : en prenant par au capital, en distribuant leurs offres, etc. Nous travaillons avec les fintech sur les process, les produits, l’intelligence artificielle, les risques… C’est une vraie force.
La sécurité des données est un sujet de plus en plus prégnant pour nos clients. Nous avons un engagement fort par rapport aux GAFA : en tant qu’établissements bancaires, nous avons un réel axe de différenciation, nous ne commercialisons pas les données, et nous ne dirons jamais dans quel restaurant vous avez dîné la veille. Les datas nous permettent un service personnalisé, nous garantissons qu’elles ne seront pas utilisées par la terre entière. Ce qui est en train de se dessiner est un monde passionnant, mais il faut être prêt.
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