L’économiste Agnès Bénassy-Quéré fait partie du cercle très restreint de femmes au sommet de grandes institutions financières. Cette spécialiste de la macroéconomie, passée par la direction générale du Trésor, est seconde sous-gouverneure de la Banque de France depuis 2023. Pour Forbes, elle revient sur le manque de femmes dans les milieux économiques et financiers.
Un article issu du numéro 27 – été 2024, de Forbes France
Quels sont les principaux défis que rencontre une femme pour accéder à un poste de direction dans des institutions économiques ?
AGNÈS BÉNASSY-QUÉRÉ : Je n’ai jamais eu l’impression de subir de discriminations par rapport à mon genre pour accéder aux postes auxquels je candidatais. Je pense même qu’il y a eu un biais favorable à ma nomination en tant que sous-gouverneure de la Banque de France pour équilibrer la représentation des genres, car le gouverneur et l’autre sous-gouverneur sont des hommes.
Les difficultés que j’ai rencontrées dans ma carrière sont similaires à celles que connaissent toutes les femmes de ma profession. Dans l’enseignement supérieur et la recherche, le congé maternité n’existe pas de facto. Les années où j’ai eu mes enfants, j’ai travaillé jusqu’au jour de l’accouchement et groupé mes cours avant la naissance. Mais le pire à l’université est une conception erronée de la parité : on veut la parité dans les comités mais, comme il y a moins de femmes que d’hommes, les femmes passent leurs semaines dans les comités. Conséquence, elles ont moins de temps pour faire de la recherche et publier, ce qu’on leur reproche ensuite. Cette volonté de parité se retourne contre les femmes.
Dans le milieu des économistes, la discrimination s’observe lors des réunions et séminaires. Il est fréquent qu’une femme ne soit pas vraiment écoutée. Les hommes ne s’aperçoivent même pas qu’ils coupent la parole (puisqu’ils n’écoutent pas). Je l’ai beaucoup observé et parfois vécu. Les femmes ont tellement intégré cela qu’elles sont devenues concises, ce qui est une grande qualité. Mais ces difficultés entravent leur parcours professionnel.
Pour autant, de plus en plus de femmes atteignent de hautes fonctions dans les institutions économiques. Dernièrement, j’ai pris part à une réunion professionnelle avec des économistes de premier plan du Trésor américain. Nous étions quatre, toutes des femmes. Ce type de situation est relativement nouveau pour moi.
Avez-vous eu des modèles féminins qui ont influencé votre parcours ?
A.B.Q. : Il n’y avait pas de femmes occupant des postes à haute responsabilité lorsque j’ai démarré dans ce métier. D’ailleurs, je ne me suis jamais posé cette question : pourquoi ce ne sont que des hommes au-dessus de moi ? Cela montre la culture dans laquelle j’ai évolué. S’il fallait vraiment trouver une femme qui a joué un rôle de modèle, ce serait ma mère, professeur d’université dans un autre domaine. Aujourd’hui, il y a tout de même beaucoup plus d’exemples pour les jeunes femmes économistes. Pour autant, je n’ai pas l’impression que cela se traduise énormément dans leur décision d’orientation.
Que voulez-vous dire ?
A.B.Q. : Pour arriver à des postes de responsabilité dans les institutions économiques nationales ou internationales, il est conseillé de suivre un cursus en macroéconomie et/ou en finance. Or, la part de femmes dans ces cursus reste faible. Les raisons ont été analysées de manière rigoureuse, notamment aux États-Unis. On peut citer une culture assez dure dans ce domaine de spécialisation, plus particulièrement vis-à-vis des femmes. En conséquence, les jeunes femmes ont plutôt tendance à privilégier des domaines tels que l’économie de la santé ou du travail, l’économie publique, l’économie du développement, qu’elles jugent aussi plus concrètes. C’est dommage car des institutions comme le FMI ou la BCE se jettent littéralement sur les jeunes femmes compétentes dans les domaines macroéconomique et financier.
Quels leviers pourraient être actionnés pour favoriser le recrutement de femmes dans ces milieux ?
A.B.Q. : Il faut continuer les politiques de diversification au sein de ces institutions. Au départ, je trouvais plutôt injurieux d’imposer des quotas de femme dans les recrutements. Comme les choses ne progressent pas beaucoup, j’ai changé d’avis. On a peut-être besoin de ce dispositif pour qu’in fine, cela devienne naturel. L’exemple de la Banque de France est significatif : une politique volontariste a permis de s’approcher de la parité au sein du Comité de direction. Il faut également prendre le mal à la racine. Si les femmes sont sous-représentées dans notre milieu, c’est aussi lié à leur orientation dès le plus jeune âge. Il y a un imaginaire dans lequel les sciences seraient destinées aux garçons et les lettres aux filles. Or, l’économie est une discipline très quantitative. Il faut lutter contre les biais à l’école, dans les familles et dans les cercles amicaux.
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