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Dette Et Déficit Publics : Au-Delà Des Chiffres ?

Selon les premières estimations publiées par l’Insee à la fin du mois de mars, le déficit public français s’établirait à 2,5 % du PIB en 2018 et la dette publique (maastrichtienne) à 98,4 % du PIB. Ces chiffres, meilleurs qu’attendus, ont été à juste titre salués mais restent élevés. En tendance, à la lecture du récent rapport annuel de la Cour des comptes, force est de souligner que la France demeure marquée par des dépenses publiques supérieures à ses recettes et que le caractère optimiste des prévisions françaises en matière de finances publiques ne se dément pas. Pour illustrer cet optimisme, la Cour souligne que les prévisions ne prennent pas en compte des dépenses déjà votées et que l’atteinte des chiffres mentionnés par le gouvernement présuppose des économies de même ampleur, dans un contexte économique et social qui demeure difficile. De plus, et même si la France résiste mieux que son voisin germanique, le ralentissement économique mondial semble se confirmer, avec des impacts négatifs attendus sur la santé des finances publiques.

Le débat sur le déficit public et sa nécessaire réduction, vieille antienne de l’Hexagone, semble donc devoir conserver toute son actualité. Et cela à tel point qu’il polarise une grande part de l’attention des résultats du Grand Débat national. Pourtant, se cantonner à discuter les chiffres de dette publique et de déficits revient à manquer une grande part des enseignements recueillis grâce aux contributions sur l’ensemble du pays.

Des chiffres majeurs…

Tant le niveau de la dette publique que l’importance du déficit public sont des éléments importants du diagnostic sur la santé des finances publiques. Le nier n’aurait que peu de sens, ne serait-ce que parce que la soutenabilité financière de notre pays en dépend pour partie. Par exemple, le niveau d’endettement public conditionne partiellement la capacité d’un Etat à se financer, la qualité de sa signature sur les marchés et les taux auxquels ce dernier pourra s’endetter. Pour autant, à ce jour, aucune étude conclusive n’a réussi à démontrer avec certitude l’existence d’un niveau de dette optimal pour tout pays, au-delà duquel la croissance économique serait négativement affectée.

Par ailleurs, ces chiffres sont le résultat de nécessaires conventions statistiques, sur leur comptabilisation comme sur le périmètre des entités concernées. A titre d’exemple, sont exclues les entreprises à participation publique (y compris à participation publique majoritaire), comme nous avons pu le constater lors du débat sur la dette de la SNCF, ou plus récemment, sur la dette d’EDF. De nombreuses études plaident d’ailleurs pour que le secteur public soit considéré dans une acceptation plus large, en particulier lorsque sont considérés les risques liés à son financement et à l’évaluation de sa position patrimoniale.

La Cour des comptes a ainsi souligné que les informations disponibles sur la dette publique sont éparses et obèrent toute appréhension d’ensemble précise de celle-ci et de ses risques. En outre, selon la Cour, « les informations disponibles s’avèrent insuffisantes pour permettre au Parlement d’apprécier le caractère réaliste de la trajectoire de réduction de l’endettement public, au regard notamment de la mesure des risques de taux et de non-soutenabilité ».

De même, le Fonds Monétaire International s’est attaché à reconstituer une vision d’ensemble de la position patrimoniale de nombreux pays et souligne que le niveau de la dette publique ne raconte qu’une partie de l’histoire (en particulier dans les pays où les systèmes de retraite sont publics, ou pour lesquels le secteur public détient de nombreuses participations). Le Fonds souligne également l’importance de s’appuyer sur une vision globale pour mieux gérer les finances publiques et évaluer les risques liés à la soutenabilité de l’endettement de chaque pays. Il peut par exemple s’agir de la gestion et des risques liés aux actifs immobiliers ou financiers du secteur public mais également de la gestion et des risques des systèmes sociaux (retraite, santé, etc.).

Enfin, les chiffres communiqués ne prennent pas en compte les nombreux engagements conditionnels que l’Etat et les finances publiques peuvent être conduits à supporter. C’est le cas par exemple des garanties octroyées par la puissance publique mais également des engagements souscrits dans le cadre de certains contrats de partenariat public-privé (comme l’a encore rappelé la Cour des comptes dans plusieurs rapports portant sur le domaine de l’énergie ou des infrastructures de transport). Ainsi, il apparaît que les chiffres de dettes publiques et de déficit ne sont pas les plus pertinents pour évoquer les risques pour les finances publiques, alors même qu’ils sont particulièrement mobilisés dans cet objectif dans le débat public. De fait, ils traduisent une tendance, sont normés et surtout facilitent les comparaisons entre pays (même si, là encore, la pertinence de ces comparaisons est largement discutable en raison des différences du rôle de la puissance publique au sein de chaque économie). Ils ont surtout l’avantage de présenter une vision simplifiée de problématiques parfois complexes, ce qui peut parfois conduire à des impasses.

… qui ne sauraient pourtant constituer un objectif de politique publique

La réduction des dépenses publiques ne peut être un objectif en soi tant il existe de multiples raisons de vouloir les réduire ou les adapter, allant par exemple de la volonté de supprimer certains services publics, de diminuer le rôle joué par l’Etat dans certains secteurs, ou encore de diminuer la pression fiscale (et donc les recettes attendues) tout en maintenant un déficit relativement constant.

Ainsi, aborder le débat sous la forme de la diminution d’un chiffre, notamment celui du déficit, soulève au moins deux problèmes importants. Et ce d’autant plus que la portée de ce chiffre est, nous l’avons vu, relativement limitée.

Le premier problème réside dans la présentation adoptée. Il est toujours dangereux de ne vouloir présenter qu’une face de la médaille et les finances publiques ne dérogent pas à la règle. Ainsi, la diminution des dépenses publiques aura nécessairement des impacts sur les recettes publiques, à court ou à moyen terme (par exemple, la fermeture d’un hôpital ou d’une caserne a de larges impacts sur l’économie locale, la suppression d’une taxe peut relancer la consommation ou l’investissement, etc.). Si les modèles permettent d’obtenir une estimation macroéconomique et une vision d’ensemble des évolutions (avec des marges de certitude variable), les impacts microéconomiques sont souvent difficiles à évaluer et impossibles à replacer dans le débat public, en raison de la multiplicité des situations. Il est donc illusoire de vouloir évoquer, en termes absolus, la baisse de la dépense publique sans, dans le même temps, articuler une réflexion sur les recettes publiques.

Le second problème est affaire de transparence sur les objectifs de politique publique. Le niveau de la dépense publique est un outil au service d’un consensus social, tant sur la place de l’Etat et du secteur public dans l’économie que sur les services publics qui doivent être assurés. Articuler la question autour de la baisse de la dépense publique, ex nihilo, c’est donc préempter le débat et ne pas permettre l’émergence de ce consensus. In fine, ce mécanisme paralyse toute action réelle et pérenne de la puissance publique. C’est une des raisons pour lesquelles la réduction du nombre de niches fiscales et sociales est, par exemple, complexe. La simplification des régimes d’imposition ainsi que des dépenses fiscales rencontre aujourd’hui un large assentiment dans la société. Pour autant, la plupart de ces niches sont la traduction fiscale d’enjeux de politiques publiques et n’en sont pas détachables. Commencer par poser la question des outils (le déficit public) avant celle des politiques publiques conduit donc à une simplification apparente, mais illusoire, des termes du débat tout en ne permettant pas la prise de décision. Cela participe à l’affaiblissement des institutions démocratiques.

La mécanique du Grand Débat de ces derniers mois a permis de mettre à jour de nombreuses problématiques qui relèvent pleinement des objectifs de politiques publiques, en particulier à moyen et long termes. Qu’il s’agisse d’inégalités, d’écologie et de réchauffement climatique, de répartition des fruits de la croissance économique ou de financement des services publics, les sujets n’ont pas manqué et des attentes fortes ont été exprimées. Pareille mobilisation générale et de telles contributions démontrent un intérêt profond pour la chose publique. Il importe désormais de les faire vivre concrètement, dans le temps, en se concentrant sur les objectifs économiques et non sur les outils techniques. Une fois ces objectifs déterminés, il sera alors temps de s’atteler au choix de l’outil le plus efficient, en s’appuyant notamment sur une généralisation et un suivi de l’évaluation de la dépense publique. Au-delà des enjeux d’acceptabilité sociale, il s’agit de permettre les réformes structurelles nécessaires à l’équilibre économique de la France sur le long terme : il ne s’agit plus là d’une simple question de chiffres, mais d’une question d’avenir.

Article rédigé par Adrien Tenne, BSI Economics

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