Les signaux se multiplient qui confirment le lancement prochain de la crypto-monnaie d’Etat annoncée par la Chine. Plusieurs autres pays devraient suivre, dont la Turquie. Petit état des lieux sur les crypto-monnaies d’Etat.
Ronald Reagan reste perçu comme l’un des présidents américains les plus atypiques. Il est vrai que sa carrière d’acteur de cinéma ne faisait pas de lui le candidat idéal pour diriger les État-Unis (entre 1981 et 1989), et maîtriser les intrications politico-socio-économiques d’un monde alors en pleine transition (sortie de la « guerre froide »). On lui attribue lors d’un discours donné en 1986 cette maxime redoutable sur l’attitude du gouvernement face à ce qui émane du secteur économique et financier : « Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue de bouger, régulez-le. Et lorsque ça ne bouge plus, divisez-le. »
La sphère politique considère majoritairement depuis leur apparition les crypto-monnaies comme une ignominie, et pour cause : elles ont été conçues sur le concept de la décentralisation échappant par définition à tout pouvoir central, de la transparence totale grâce à la Blockchain, et ont pour ambition de remplir pour tout ou partie le rôle de la monnaie, fluide vital du paradigme capitaliste. On assiste ainsi logiquement depuis maintenant 10 ans et les débuts du Bitcoin aux tentatives plus ou moins gesticulatoires des pouvoirs d’Etat pour tenter de reprendre le contrôle par tous les moyens sur ce qui n’est rien d’autre que l’évolution logique, par la technologie et le digital, de la monnaie traditionnelle.
Du déni à la colère…
Après avoir considéré que les crypto-monnaies « ne valaient rien et ne servaient à rien », comme le répète à l’envi Nouriel Roubini (économiste américain se revendiquant de « la nouvelle économie keynésienne » et qui tente de maintenir sa notoriété sur la base d’une posture anti-crypto-monnaies « de principe »), la plupart des puissances du G20 se sont attachés à tenter de taxer et réguler le phénomène. Mais le sujet s’est avéré plus complexe que prévu, car tous les crypto-actifs ne sont pas directement comparables à une monnaie ou une valeur mobilière, et il n’est dans l’intérêt de personne de rester sur une régulation trop différente pour chaque pays. Voir apparaître un cadre législatif solide pour les crypto-actifs risque donc de prendre encore un certain temps.
S’en est suivi une phase de mise en exergue médiatique systématique de tout événement lié aux crypto-monnaies qui permettait d’en souligner le caractère volatile et potentiellement « dangereux »: hack de plateformes d’échange ou de « wallet » de particulier, baisse des cours, refus de la SEC américaine concernant un dossier d’application pour un ETF crypto, etc.
Personne ne saura jamais si l’objectif, comme le défendent les « crypto-complotistes » était en fait ici de faire baisser les cours pour que les institutionnels puissent prendre avantageusement position avant le grand « Bull rallye » de 2020…
Venezuela et… Iles Marshall
Puis en février 2018, il y eu le Petro, projet de « stablecoin » (crypto-monnaie dite « stable » car sécurisée par une contrepartie reconnue par les marchés financiers et dont la valeur peut fluctuer mais présente une faible corrélation avec les crypto-monnaies) adossé au pétrole vénézuélien, et présenté par le président du pays, Nicolás Maduro en personne, qui reprenait en fait une idée défendue par Chavez dès mars 2009. L’annonce fut l’effet d’un mini double tremblement de terre : d’une part car elle constituait la première proposition à grande échelle d’une crypto-monnaie d’Etat, et d’autre part car elle fut immédiatement reçue comme une déclaration de guerre économique du Venezuela contre les États-Unis, ou plus précisément le dollar américain.
À peine un mois plus tard, re-belotte avec l’annonce officielle par la présidente des Îles Marshall, confetti de 180 km2 situé en Océanie mais à l’indépendance reconnue depuis 1990, de la sortie du SOV (Sovereign), crypto-monnaie d’Etat censée remplacer le dollar américain comme première monnaie du pays. Pas de statut « stablecoin » cette fois, mais un background technique qui semble solide, notamment dans la gestion du volume de coins et le contrôle de l’inflation/déflation de la monnaie. L’annonce déclenchera les cris d’orfraie du FMI qui argumentera sur le refus d’autoriser la convertibilité de la crypto face au dollar et appuiera pour une censure du projet par le parlement du pays face à sa présidente, Hilda Heine.
Une année et demi plus tard, le stablecoin vénézuelien a viré à la mascarade, et le Sovereign vient d’entrer en phase de « pré-vente » mais n’est pas encore lancé.
Qu’importe, l’idée d’une CBDC (Central Bank Digital Currency) est désormais devenue suffisamment tangible pour que plusieurs pays « majeurs » comme le Royaume-Uni, le Canada, Singapour, la Turquie, l’Iran, mais aussi et surtout la Chine, tous désireux d’abaisser leur dépendance face au dollar américain, aient structuré chacun une étude approfondie sur le sujet.
Le revirement à peu près total du FMI et 3 projets majeurs
Toujours soucieux de rester dans le coup avec un train de retard, le FMI a suivi la tendance, passant d’une posture résolument anti-crypto (« “Bitcoin et les innovations associées” pourraient à l’avenir “perturber la politique monétaire” et faire peser une “menace importante sur la stabilité financière » – Christine Lagarde, Davos 2016), à l’annonce en avril de cette année du lancement de son « Learning Coin » en partenariat avec la Banque Mondiale, pour permettre aux équipes de se familiariser avec le concept de crypto-monnaie et de la Blockchain. Lagarde déclarait ainsi à ce propos : » « Les “perturbateurs”, tout ce qui utilise les technologies de registre distribué (DLT), que vous les appeliez “crypto”, “actifs”, “monnaies” ou ce que vous voulez – et on est loin du bitcoin dont nous parlions il y a un an – secouent clairement le système. »
Il était temps de sortir du déni, car ce ne sont rien de moins que trois projets majeurs qui sont apparus sur la scène depuis lors :
- Le Libra, le projet de crypto-monnaie initié par Facebook
- Le Digital Yuan, crypto-monnaie d’Etat annoncée par le gouvernement chinois et dont la sortie est programmée d’ici la fin de l’année
- Et un « Digital Euro », crypto-monnaie appuyée sur l’Euro et directement gérée par les banques centrales des pays membres de l’Union Européenne, proposé par les partis allemand CDU et CSU depuis juillet
La crypto-monnaie chinoise qui n’en est pas une…
Le Libra ne verra sans doute jamais le jour, tant la levée de boucliers s’est montrée unanime, tous pays confondus (le soutien de la Russie pour le projet n’est qu’une posture), à l’idée d’une crypto-monnaie d’envergure mondiale dont les tenants idéologiques et déontologiques seraient alimentés par Facebook Group. On se demande encore ce qui leur est passé par la tête, alors qu’une décennie sera nécessaire, au minimum, pour apaiser les craintes liées au scandale Cambridge Analytica…
Concernant le Digital Yuan, l’histoire est différente. Sous couvert d’une CBDC visant à donner à la crypto-monnaie chinoise une capacité à prendre sa place sur les circuits financiers internationaux (comme le conjecture le CEO de Circle, Jeremy Allaire dans une interview du 10 septembre,) il faut lire entre les lignes que l’objectif réel du gouvernement est de pousser à la disparition de la monnaie fiduciaire, dernier îlot d’anonymat pour le peuple chinois dans son usage de la monnaie.
Avec le Yuan Digital et sa blockchain spécifique, contrôlée par la banque centrale (la People’s Bank of China -PBOC), tout sera inscrit, vérifié, et pourra être contrôlé par la gouvernement. Il sera ainsi sans doute également possible pour une autorité financière nationale de « saisir » des coins à partir des adresses de « wallets ». On est loin de la définition d’une crypto-monnaie « à la Satoshi Nakamoto »…
On notera au passage que le gouvernement a préventivement interdit toute autre crypto-monnaie sur son territoire, et qu’il a toujours indiqué, contrairement aux déclarations des médias reprenant les propos de Jeremy Allaire, que le Digital Yuan n’avait pas vertu à pouvoir sortir d’un strict usage domestique.
Il faut se méfier de l’information, et tout re-vérifier auprès de plusieurs médias différents, comme le montre la sortie récente dans nombre de médias sur la sortie imminente d’un « Dinar digital » Tunisien, avant que la banque centrale du pays ne présente un démenti officiel.
La CBDC chinoise n’est pas une crypto-monnaie mais une monnaie digitale, et son périmètre « local » ne devrait pas vraiment impacter l’adoption massive attendue par les analystes pour voir les cours des crypto-monnaies actuelles flamber. Elle va en revanche permettre au public chinois de se familiariser avec l’usage d’une monnaie exclusivement digitale, et contribuer par effet de confusion avec le terme de « crypto-monnaie » à faire croître la popularité du concept.
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