Les fonds de capital-investissement sont les plus grands bâtisseurs de richesse jamais inventés à Wall Street. Alors pourquoi les versions grand public de ces fonds, commercialisées par Merrill Lynch et d’autres courtiers, ont-elles enregistré des résultats aussi médiocres ?
Kurt Stein, ancien courtier chez Merrill Lynch, se souvient très bien du jour où, au printemps 2011, les portes du monde exclusif du capital-investissement se sont ouvertes en grand. Dans une salle de bal ornée de l’hôtel Waldorf Astoria de Manhattan, M. Stein et des centaines de ses collègues ont été conviés à un dîner par Blackstone, la plus grande société de rachat au monde. L’argumentaire : La machine à transactions de Blackstone était invincible, produisant des rendements nets de plus de 15 % par an avec une capacité étonnante à éviter les pertes.
Voici comment le cofondateur et PDG milliardaire de Blackstone, Steven Schwarzman, a expliqué sa proposition aux courtiers en 2013 : « Nous sommes une paire de mains sûres. Pourquoi n’investiriez-vous pas dans les même produits mais chez nous ? Vous pourriez gagner deux à trois fois plus et satisfaire davantage vos clients. »
Aujourd’hui, M. Stein, qui a depuis démissionné de Merrill Lynch et soumis des documents à la SEC en tant que dénonciateur, aurait souhaité que ces portes restent fermées. Dix ans plus tard, la plupart des clients que M. Stein a placés dans des fonds de capital-investissement se retrouvent avec des rendements annuels, tous frais compris, de 10 % ou moins, bien en deçà des 15 % annuels du S&P 500.Kurt Stein pense maintenant que ces fonds ont été mal présentés par les sociétés de gestion de patrimoine et leurs partenaires de capital-investissement. (La SEC a refusé de commenter).
Avec la croissance rapide des ménages aisés, les conseillers financiers contrôlent désormais 8 000 milliards de dollars. La vente au détail est le principal moteur de la croissance, avec 684 milliards de dollars (actifs) Blackstone aujourd’hui, attirant près de 4 milliards de dollars de nouveaux actifs par mois. Ce canal pourrait presque tripler d’ici 2028.
Dès qu’il est revenu dans le New Jersey, M. Stein a surtout placé des clients dans un fonds immobilier phare, Blackstone Real Estate Partners. Les premiers retours sont impressionnants, et Kurt Stein est aux anges. En trois ans, les deux fonds affichaient des « taux de rendement interne » d’environ 20 %. Il n’a pas tardé à investir non seulement avec Blackstone mais aussi avec d’autres sociétés de capital-investissement comme KKR, Carlyle Group et Lone Star. Il n’était pas le seul. Une ancienne pointure de Merrill affirme avoir placé plus d’un milliard de dollars d’actifs de clients dans des fonds de capital-investissement. « C’est une arnaque », dit-il. « Je n’achète plus aucun de ces fonds. »
Les rendements ont été médiocres. Prenez l’expérience de Stein avec l’offre diversifiée de Blackstone, Total Alternatives Solution, connue sous le nom de BTAS 2014. Il a commencé de manière respectable, générant un rendement de 10,82%, après tous les frais, à la fin de 2017 ; deux ans plus tard, les rendements étaient de 6,78 %. Aujourd’hui, le rendement net est de 5,18 %, et la plus grande participation du fonds est le groupe de médecins en difficulté Team Health.
Selon l’ancien courtier de chez Merrill Lynch, il y a deux gros problèmes, à commencer par les frais. Blackstone prélève sa commission de gestion habituelle de 1,5 % sur le capital total engagé par l’investisseur et une commission de performance de 20 % sur les rendements supérieurs à 6 %. Ensuite, les courtiers de détail comme M. Stein peuvent prélever 1 % supplémentaire par an sur leur capital engagé, bien qu’ils n’aient rien à voir avec la conclusion des transactions. Ensuite, il y a les « commissions de placement » qui peuvent atteindre 2,5 % du placement d’un investisseur.
Selon un porte-parole de la société mère de Merrill, Bank of America, « nous détaillons clairement les commissions liées à ces investissements pour assurer la transparence ».
Le deuxième problème est l’alchimie financière qui se cache derrière les taux de rendement interne. Pendant l’endoctrinement de Kurt Stein dans le monde raréfié des rachats, il a été initié à un concept connu sous le nom de « courbe en J ». Cette théorie à consonance savante postule que les rendements des fonds de capital-investissement sont déprimés les premières années parce que les investisseurs doivent payer des frais sur leur engagement en capital, qui n’est normalement pas entièrement investi avant la quatrième année d’un fonds de 10 ans. Ensuite, comme un J, les rendements sont censés remonter. Mais le courtier affirme que les rendements réels de ses clients ressemblaient davantage à un J inversé.
Prenons l’exemple du fonds immobilier Blackstone BREP, lancé en 2012. Il a atteint un TRI net de 20 % en décembre 2015, frais de courtage compris. En mai 2021, les rendements n’étaient que de 10,3 %. Ou encore le fonds GSO Mezzanine Trust lancé par Blackstone en 2012 : ce fonds de crédit a atteint un pic de 23,3 % en mars 2015, mais à partir de février 2021, son TRI tourne autour de 6 %. Le fonds U.S. Equity Opportunity II de Carlyle a un TRI net de 2,62 %. D’autres fonds de Lone Star et KKR sont pires. « Il n’y a pas de courbe en J », grogne Kurt Stein.
Une raison importante de ce J inversé ? L’effet de levier. Ces fonds empruntent au cours des premières années, reportant les appels de capitaux et augmentant ainsi les taux de rendement, en particulier lorsqu’un investissement initial est rapidement transformé en profit. C’est comme acheter une maison avec 1 % d’apport personnel et calculer le rendement avant de débourser les 19 % restants.
Qu’ils soient gagnants ou perdants, ces TRI précoces élevés sont un excellent outil de marketing. La stratégie qui sous-tend la Total Alternatives Solution VIII de Blackstone a été présentée en juin comme ayant un TRI net de 13,4 %, bien plus que ce que M. Stein affirme que ses clients ont gagné. Pour arriver à ce rendement, Blackstone fait référence à sept fonds BTAS avec 7,8 milliards de dollars d’actifs totaux. Deux de ces fonds datent de 2019 et 2020, avec des TRI nets de 42 % et 100 %, respectivement. Aucun de ces fonds n’a distribué de capital aux investisseurs. (En juillet, le programme BTAS de Blackstone était marqué par des TRI de 14,9 % pour les fonds maîtres, et BTAS 2014 avait un TRI de 7,9 %. Les fonds sont toujours actifs.)
« Le TRI est élevé au début parce qu’ils le manipulent pour qu’il le soit », explique Brad Case, un économiste qui étudie le capital-investissement. « Pourquoi le taux diminue-t-il avec le temps ? Parce qu’ils manquent d’opportunités pour continuer à le manipuler. »
Dans une déclaration faisant état de ses 35 ans de performances supérieures aux indices de référence, Blackstone insiste : « Toute suggestion selon laquelle nous aurions surévalué nos performances ou induit les investisseurs en erreur est totalement fausse. » Maintenant, Blackstone et d’autres sociétés de rachat lorgnent sur les investisseurs ayant moins d’argent. À la mi-2020, après avoir fait pression sur le gouvernement Trump, le secrétaire au travail Eugene Scalia, fils de feu le juge de la Cour suprême Antonin Scalia, a approuvé l’inclusion du capital-investissement dans les régimes à cotisations définies. En d’autres termes, Blackstone et ses amis du private equity arrivent dans un plan 401(k) près de chez vous.
Article traduit de Forbes US – Auteurs : Antoine Gara et Jason Bisnoff
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