Directeur général de BNP Paribas Asset Management, Frédéric Janbon mène, avec ses équipes, un plan stratégique et de transformation d’envergure pour positionner cette filiale du groupe bancaire français parmi les leaders européens de la gestion d’actifs. Pour Forbes France, il détaille les ambitions de BNPP AM alors que les investissements doivent répondre aux nouveaux défis mondiaux tels que le réchauffement climatique, l’accroissement des inégalités sociales, l’épuisement des ressources naturelles.
En deux mots, pouvez-vous nous décrire ce qu’est BNP Paribas Asset Management ?
Frédéric Janbon : BNP Paribas Asset Management est le métier de gestion d’actifs du groupe BNP Paribas. Faire partie d’un grand groupe global de services financiers, leader en Europe, nous permet d’accéder à une large base de clientèle internationale, à des distributeurs globaux et d’avoir des relations privilégiées avec les réseaux de distribution de BNP Paribas. Nous sommes une société internationale avec plus de 70 % de clients en Europe, dont une grande majorité en dehors de la France et avec une large présence dans la zone Asie-Pacifique (environ 20 % de nos actifs sous gestion et 25 % de nos collaborateurs). L’Asie et l’Europe sont des zones de croissance pour nous. Nous gérons des encours de plus de 420 milliards d’euros dans un large éventail de classes d’actifs pour le compte de clients particuliers, de corporates et d’investisseurs institutionnels.
Vous êtes à la tête de BNP Paribas Asset Management depuis trois ans. Qu’avez-vous mis en place depuis votre arrivée ?
F.J. : Nous avons fondamentalement transformé l’entreprise pour dynamiser l’activité et pour atteindre notre objectif qui est d’émerger comme l’un des leaders de l’asset management en Europe.
Pour cela, nous avons mis en place, dès 2017, un plan stratégique afin de définir une stratégie claire pour toutes nos parties prenantes, à la fois pour nos clients, nos collaborateurs et nos actionnaires. Cette stratégie se décline en cinq leviers. D’abord, nous avons simplifié notre organisation, une étape complexe mais nécessaire afin de renforcer notre gouvernance et notre modèle opérationnel, notamment avec le regroupement de nos expertises en quatre pôles de gestion.
Ensuite, nous avons rationalisé de nombreux dispositifs afin de mieux maîtriser les coûts, d’acquérir plus d’agilité dans les méthodes de travail et de gagner en efficacité opérationnelle.
En même temps, nous avons développé une plateforme informatique globale et intégrée pour moderniser nos systèmes, créer les conditions de l’échelle et accompagner notre croissance. Parallèlement, nous avons créé une plateforme de gestion distinctive et homogène avec des processus harmonisés, adaptée aux besoins actuels et futurs de nos clients. Enfin, et c’est primordial, nous avons développé une stratégie clients plus segmentée, appuyée sur des parcours clients fluides, des méthodes de vente efficaces et des reportings détaillés.
Aujourd’hui, nous avons quasiment terminé la mise en place de ce plan stratégique qui commence à porter ses fruits et les équipes peuvent être fières du travail accompli.
Comment avez-vous réussi à implémenter cette transformation ?
F.J. : Nous avons travaillé collectivement sur notre culture d’entreprise, sous une nouvelle marque, BNP Paribas Asset Management. Cette culture se traduit dans notre philosophie de gestion ; notre priorité est de délivrer, sur le long terme, des retours sur investissement durables à nos clients en leur offrant des solutions d’investissement de qualité, répondant à leurs besoins, voire même les anticipant.
Nous avons ainsi renforcé notre culture commune axée autour de l’expérience que nous voulons offrir à nos clients, aussi bien dans le niveau de nos performances de gestion que dans l’excellence de la qualité de nos services.
Ce changement culturel se ressent dans toute la société et a permis d’accompagner notre transformation et d’attirer de nombreux nouveaux talents. Nous sommes à présent bien positionnés pour accélérer notre développement.
Tout cela intervient à un moment critique pour l’industrie de l’asset management. Quels sont les grands défis auxquels vous devez faire face ?
F.J. : Vous avez raison. L’industrie de la gestion d’actifs est à un moment critique, elle fait face à des défis provenant de tendances lourdes de long terme comme de mouvements plus conjoncturels. Après de longues années de croissance, elle traverse une profonde mutation.
Même si les encours continuent de croître, on observe une forte pression sur les prix et les marges due à une concurrence accrue entre les gérants d’actifs.
La polarisation de la demande se poursuit. Les clients recherchent soit des solutions à forte valeur ajoutée pour lesquelles ils sont prêts à payer des commissions élevées, ou bien des produits à faible commission et dont la performance suit celle des indices.
La pression réglementaire s’accentue aussi, notamment avec le renforcement de la protection des intérêts des clients, la demande de reporting et de plus de transparence, y compris sur les commissions de gestion.
La loi Pacte est un autre développement législatif important qui encourage les ménages français à épargner davantage pour préparer leur retraite à travers des solutions d’investissement adaptées à chacun. Elle offrira la possibilité d’investir au sein de plans individuels, complémentaires des dispositifs collectifs fournis par leurs employeurs.
Il sera très important d’offrir à chacun des produits d’investissement qui correspondent à leurs choix personnels, mais surtout dont le profil de risque est bien adapté à leur stade dans le cycle de vie. BNP Paribas dispose d’une grande expertise dans ce domaine et nous avons, grâce à nos gestions multi-actifs, une palette de produits profilés qui est probablement l’une des meilleures en Europe.
Enfin, les conditions de marché au cours de l’année 2018-2019 ont été très complexes et impactées notamment par les tensions de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, et par la persistance de la faiblesse des taux d’intérêt. Cette situation a fortement pénalisé un grand nombre de sociétés de gestion. L’industrie va devoir continuer de faire face à ces tendances lourdes. Pour BNPP AM et avec le plan stratégique que nous avons mis en place, nous sommes prêts à relever ces défis.
Vous affirmez que l’investissement durable est au cœur de votre stratégie d’entreprise. Qu’est-ce que cela signifie ?
F.J. : Le réchauffement climatique et la progressive prise de conscience de la fragilité de notre planète vont entraîner des bouleversements profonds, probablement aussi importants que ceux que l’on regroupe dans la « révolution digitale ». Il s’agit de changements de mode de production d’énergie, évidemment, mais aussi de modifications des business modèles des entreprises et de réorientations profondes du comportement des consommateurs, qui sont aussi citoyens. Personne ne peut prévoir la vitesse à laquelle ces événements se produiront mais l’expérience montre que le futur est souvent plus proche que nous le pensons. BNPP AM est une société de gestion active qui gère l’épargne de ses clients sur le long terme. Il est donc très logique que nous tenions compte, le mieux possible, de ces évolutions dans les décisions d’investissement que nous prenons aujourd’hui.
Il s’agit de favoriser l’investissement dans les sociétés qui ont déjà un impact positif mais aussi dans celles qui s’adaptent le plus rapidement, et ce, en les accompagnant de façon active.
Certaines entreprises sortiront les grandes gagnantes du nouveau monde, d’autres devront faire face à des situations plus difficiles.
Je suis convaincu qu’au-delà de l’analyse financière, la prise en compte des critères ESG1, que ce soit sur l’environnement, le climat, la gouvernance ou les politiques sociales des entreprises, permet de générer des retours sur investissement supérieurs sur le long terme, et d’apporter plus de valeur à nos clients. Les collaborateurs de BNPP AM sont persuadés qu’un mode de croissance économique bas carbone et inclusif sera aussi bénéfique pour le futur de nos clients, tout en protégeant la valeur de leur épargne à long terme. C’est pourquoi nous y sommes si attachés.
Ce sont des choix lourds, décisifs, n’est-ce pas ?
F.J. : Pour une partie de ces choix, nous travaillons à partir de filtres négatifs qui correspondent à nos politiques sectorielles et politiques d’exclusion ; nous avons décidé de ne plus investir dans certaines sociétés qui ne pourront pas se transformer.
Notre politique charbon, par exemple, consiste à arrêter d’investir dans les sociétés qui génèrent plus de 10 % de leur revenu dans l’extraction du charbon thermique et/ou qui représentent 1 % ou plus de la production mondiale. Les producteurs d’électricité ayant une intensité carbone supérieure à la moyenne mondiale de 2017, soit 491 g CO2/kWh, seront également exclus, en ligne avec la trajectoire proposée par l’Agence internationale de l’énergie pour aligner l’intensité carbone de ces sociétés avec l’Accord de Paris de la COP21. Mais notre stratégie globale Sustainability est davantage articulée autour de l’intégration, ce qui rend notre stratégie impactante et différenciante. Ainsi, notre ambition est l’application de filtres ESG à l’ensemble de nos processus d’investissement d’ici 2020. Tous nos gérants disposeront donc de critères financiers et extra-financiers pour décider ou non d’investir dans une société.
Par ailleurs, BNPP AM est un actionnaire actif. Nous exerçons pleinement notre droit de vote dans les assemblées générales d’actionnaires des sociétés que nous détenons dans nos portefeuilles, ce qui nous permet d’avoir une influence sur toute une série de mesures que peuvent prendre les entreprises, en particulier pour faire évoluer leur modèle économique et les aider dans leur transition énergétique.
Cette politique d’engagement, de dialogue et d’influence est une partie importante de notre stratégie globale Sustainability – on constate d’ailleurs que les fonds qui s’efforcent à réduire leur empreinte carbone génèrent des retours sur investissement supérieurs à ceux qui étaient totalement passifs. Si un client souhaite aller un cran plus loin, nous proposons aussi des fonds thématiques pour donner du sens à leur épargne.
Avez-vous des exemples concrets de ces réalisations ?
F.J. : L’investissement durable est depuis longtemps ancré dans nos valeurs. En lançant son premier fonds ISR (Investissement socialement responsable) en 2002, BNPP AM s’est positionnée comme pionnière du secteur.
En 2015, nous nous sommes engagés à ce que l’ensemble de nos investissements soient en ligne avec les objectifs de la COP21 d’ici 2025. Nous encourageons les entreprises à faire évoluer leurs pratiques par nous-mêmes mais aussi de façon collective. Ainsi, nous faisons partie de plus de 40 coalitions d’investisseurs sur toutes les problématiques ESG pour mieux encourager ensemble les entreprises à changer. Nous faisons par exemple partie de l’initiative « Climate Action 100+ », une initiative sur cinq ans, conduite par des investisseurs s’engageant à accompagner systématiquement les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre de l’économie mondiale, qui ont par conséquent un rôle décisif à jouer dans la transition énergétique et l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris. Grâce à cette initiative, nous avons réussi à convaincre l’entreprise Shell de faire évoluer sa stratégie.
Nous sommes par ailleurs membre fondateur des PRI² et faisons partie de TCFD3, IIGCC4, ou encore du TEG5 de la Commission européenne autour de la récente taxonomie. Et, en juillet, nous nous sommes rendus à l’Élysée pour lancer les travaux d’accompagnement de grands fonds souverains à l’origine de la charte « One Planet Sovereign Wealth Fund Framework » sur l’intégration du risque climatique dans la gestion de leurs actifs, dans le cadre de la « One Planet Asset Managers Initiative ».
Comment avance votre transformation digitale ?
F.J. : C’est un chantier très important. Il s’agit de moderniser notre entreprise, notamment en intégrant plus de techniques de mathématiques avancées et de l’intelligence artificielle au niveau de nos processus d’investissement et en développant des outils et des parcours digitaux à destination de nos clients. L’influence du big data va nous permettre d’enrichir et d’améliorer tous nos processus de gestion, y compris les processus de gestion active qui constituent l’essentiel de notre activité d’asset manager. Nous sommes convaincus que combiner techniques quantitatives et intervention humaine va nous permettre d’améliorer nos performances de gestion, d’où notre concept de gestion « quantamentale » qui progresse rapidement.
Notre transformation digitale vise également à fournir des services à valeur ajoutée à nos clients. L’acquisition d’une participation majoritaire dans Gambit, une société de « robo-advisory » qui fournit aux distributeurs toute une série de parcours digitalisés pour les aider à améliorer leurs processus de conseil auprès de leurs propres clients, en est une excellente illustration. C’est un enjeu essentiel – renforcé dans le cadre de la loi Pacte – pour faciliter et fluidifier le parcours des épargnants et renforcer leur confiance dans l’épargne financière.
Où voyez-vous BNPP AM dans cinq ans ?
F.J. : Clairement positionnée parmi les leaders européens de la gestion d’actifs et reconnue pour son engagement en matière d’investissement durable. Je vois une entreprise où tous les processus d’investissement sont équipés d’un filtre ESG efficace et où l’impact sur le monde extérieur de la totalité des investissements est compatible avec l’Accord de Paris. Une franchise où la satisfaction de nos clients continue de s’améliorer et où ils nous recommandent à d’autres.
J’aspire à une entreprise où nos collaborateurs pourront regarder en arrière et être fiers de voir toute la transformation qu’ils auront accomplie et d’appartenir à une société de gestion dynamique œuvrant pour un avenir meilleur.
Bio express
Nommé en octobre 2015 Directeur général de BNP Paribas Asset Management, cet ingénieur « agro » de formation a effectué la quasi-totalité de sa carrière chez BNP Paribas. Frédéric Janbon a notamment passé plus de vingt années au sein de la banque de financement et d’investissement. « J’ai gardé un sens de la vitesse, de la compétition internationale et l’importance d’une équipe soudée » confie-t-il à Forbes France, alors qu’il mène tambour battant les transformations pour positionner BNpp aM dans le peloton de tête des leaders européens de la gestion d’actifs. Loin du tumulte, c’est en altitude qu’il aime se ressourcer : « Le sport m’aide beaucoup, j’aime bien le vélo. Je pratique un peu le ski de haute montagne quand je trouve le temps. C’est une façon de se lancer des petits défis, de sortir de sa zone de confort pour vivre un peu plus intensément. Et de profiter de la magie des grands espaces, encore préservés. »
Entretien par Sébastien Larbaud.
1 Environnement, Social, Gouvernance.
2 Principles for Responsible Investment.
3 Task Force on Climate-related Financial Disclosures, https://www.fsb-tcfd.org/
4 The Institutional Investors Group on Climate Change, https://www.iigcc.org/
5 Technical Expert Group on Sustainable Finance, https://ec.europa.eu/info/publications/sustainable-financetechnical-expert-group_fr
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