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Comment BlackRock s’est détourné de l’engagement social et environnemental

BlackRock
Le logo BlackRock, affiché au siège de la société, le 14 novembre 2022, à New York. Getty Images

En août, BlackRock, la plus grande société d’investissement au monde, a annoncé avoir considérablement réduit son soutien aux propositions d’actionnaires liées aux questions environnementales et sociales. Entre juillet 2023 et juin de cette année, la firme n’a soutenu que 4 % des 493 propositions soumises. À titre de comparaison, en 2021, BlackRock avait approuvé 47 % de ces initiatives soutenues par des activistes actionnaires.

Une contribution de Michael Posner pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

 

Joud Abdel Majeid, responsable mondiale de la gestion des investissements chez BlackRock, a justifié ce retrait en expliquant que de nombreuses propositions étaient « trop normatives, dépourvues de fondement économique ou demandaient aux entreprises de gérer des risques matériels déjà pris en compte ». Toutefois, cette explication occulte une tendance plus profonde. Le recul de BlackRock s’inscrit dans un mouvement plus vaste des grandes firmes d’investissement qui se détournent des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Ce changement est, en partie, une réponse aux critiques de politiciens républicains tels que Ron DeSantis, gouverneur de Floride. Encouragés par des groupes conservateurs comme la Heritage Foundation, ces responsables politiques accusent les sociétés d’investissement de promouvoir un « capitalisme woke ». À ce jour, au moins 20 États ont adopté des lois locales interdisant aux fonds de pension publics sous leur contrôle d’investir dans des fonds ESG. Nous avons contacté BlackRock, qui n’a pas répondu à notre requête.

Le recul de BlackRock sur des questions telles que la durabilité environnementale est particulièrement notable, compte tenu de la taille et de l’influence de l’entreprise, qui gère plus de 10 000 milliards de dollars d’actifs. Avant ce revirement, Larry Fink, PDG de BlackRock, était un fervent défenseur de la durabilité environnementale, la présentant comme une mesure essentielle pour lutter contre le réchauffement climatique. Dans une lettre adressée aux PDG en 2020, Fink avait déclaré : « Nous serons de plus en plus enclins à voter contre la direction et les administrateurs lorsque les entreprises n’auront pas accompli suffisamment de progrès en matière de divulgations sur la durabilité, ainsi que sur les pratiques et plans d’affaires qui les soutiennent ». Cinq ans plus tard, l’entreprise a radicalement changé de position, s’opposant désormais à presque toutes les résolutions portant sur des questions environnementales et sociales.

La majorité des grandes sociétés d’investissement américaines, ainsi que de nombreuses entreprises dans lesquelles elles investissent, ont suivi l’exemple de BlackRock en cédant à la pression politique conservatrice, tout en minimisant les enjeux environnementaux et sociaux urgents. Plutôt que de reculer, elles devraient reconnaître l’importance de s’attaquer sérieusement à ces défis croissants, qui représentent des risques concrets pour les populations et la planète.

La chaleur extrême, les tempêtes violentes et les incendies ravageurs deviennent de plus en plus fréquents. Les pratiques commerciales de nombreuses entreprises aggravent cette crise climatique. Pourtant, bon nombre de ces entreprises possèdent les ressources et l’expertise nécessaires pour participer activement à la résolution de ces problèmes. Cela souligne l’urgence d’adopter un nouveau modèle économique qui intègre sérieusement la lutte contre le changement climatique et investit dans des actions concrètes visant à atténuer ces risques.

Sur un autre plan, un argument solide plaide en faveur de la diversification des équipes dirigeantes et des conseils d’administration des entreprises. Des études, notamment celles menées par McKinsey, ont démontré les avantages économiques des environnements de travail plus diversifiés. La plus récente étude de McKinsey, publiée fin 2023, révèle que « les entreprises dotées de directions diversifiées continuent d’afficher des rendements financiers supérieurs ».

Un défi plus complexe, mais tout aussi crucial, réside dans la nécessité pour les entreprises mondiales de porter une attention accrue au bien-être des travailleurs externalisés. Les gouvernements, en particulier au sein de l’Union européenne, commencent à encadrer la manière dont les entreprises traitent les travailleurs tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement internationales. Les investisseurs et dirigeants d’entreprises avisés devraient anticiper cette réglementation en pleine évolution. En cas de non-conformité, ils s’exposent à des sanctions importantes, telles que des amendes substantielles ou des restrictions d’accès aux marchés européens.

Le mois dernier, le Center for Business and Human Rights de l’Université de New York, que je dirige, a publié un rapport appelant à un programme plus ambitieux pour les activistes actionnaires. Rédigé par mon collègue Michael Goldhaber, ce rapport, intitulé Reimagining Shareholder Advocacy on Environmental and Social Issues, propose des pistes concrètes pour renforcer l’engagement actionnarial sur ces enjeux cruciaux.

Le rapport propose des recommandations pratiques aux activistes actionnaires pour améliorer la performance des entreprises sur ces enjeux. Il encourage notamment les activistes à soumettre des résolutions axées sur la mesure des résultats concrets, plutôt que de demander aux entreprises de publier des rapports de transparence à leur avantage. Le rapport suggère également que la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis favorise l’activisme actionnarial au lieu de le freiner. Trop souvent, la SEC permet aux entreprises de retirer les résolutions des actionnaires des bulletins de vote sans fournir de justification valable. Par ailleurs, le rapport recommande que les activistes accordent une plus grande attention à la protection des droits des travailleurs dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, renforçant ainsi le cadre réglementaire en pleine expansion en Europe.

Ces propositions répondent à des défis environnementaux et sociaux majeurs, tout en offrant une feuille de route aux investisseurs socialement responsables et aux dirigeants d’entreprises. Bien que cette approche plus ambitieuse soit attendue depuis longtemps, elle n’a pas encore suscité une adhésion massive aux États-Unis. À l’inverse, les gouvernements européens progressent, encouragés par la pression publique en faveur d’une réglementation mondiale des normes environnementales et sociales. La communauté des investisseurs américains doit soit s’impliquer activement en adoptant cet agenda crucial et opportun, soit céder la place aux régulateurs européens, qui finiront par imposer leurs normes aux grandes entreprises américaines opérant en Europe.


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