Ex-président du directoire de Neuflize OBC, Philippe Vaysettes préside aux destinées de Milleis Banque depuis le 1er septembre 2017 avec pour objectif principal d’accompagner la mutation de l’ex-Barclays France vers une banque patrimoniale. Pour Forbes, le dirigeant décline les grandes lignes de cette transition avec, en ligne de mire, la volonté de doubler sa base de clientèle à 200 000 personnes à l’horizon 2024.
Au moment de prendre les commandes, en septembre 2017, de ce qui était encore Barclays France, quelle feuille de route vous a été assignée et, surtout, comment a germé la réflexion de faire également évoluer le « projet de marque » vers l’appellation Milleis ?
Philippe Vaysettes : Pour revenir sur l’historique, Barclays France SA, ce n’est un secret pour personne, était une entité que la maison mère Barclays a longtemps cherché à céder, comme d’ailleurs l’ensemble de ses franchises de banques privées et de banques de détail en Europe de l’Ouest. Si l’Espagne, l’Italie ou encore le Portugal ont rapidement trouvé preneur, les choses ont pris davantage de temps concernant plus spécifiquement Barclays France qui est donc resté un certain temps sur le marché. Finalement, un fonds de private-equity baptisé AnaCap a mis la main sur la franchise française en septembre 2017 avec une feuille de route somme toute assez limpide : redresser cette banque qui, dans le laps de temps de mise sur le marché évoqué en préambule, a malheureusement engendré un niveau de perte important. Notre principal objectif est donc de relancer la dynamique commerciale, diminuer les coûts et ainsi poser les jalons d’un des leaders de la banque patrimoniale en France et plus largement en Europe.
D’un certain point de vue, nous pouvons parler d’une opération de «retournement». Y compris dans le projet de marque, pour répondre à la seconde partie de votre question. Barclays ayant cédé 100%du capital à AnaCap, nous disposions d’une année (jusqu’au 31 août 2017, ndlr) pour faire totalement disparaître l’appellation Barclays France à la fois de la documentation, de la publicité, ou des enseignes. Dans ces conditions, il aurait été évidemment incongru de maintenir la marque Barclays alors que cette dernière ne possédait plus aucune part dans le capital de la nouvelle entité Milleis, symbole de notre stratégie de redéploiement et de développement.
Ce changement de nom constitue, comme vous l’évoquez, une première étape vers la transition d’une banque privée vers une banque patrimoniale. Comment comptez-vous, hormis cela, accélérer cette mutation ?
P.V. : Nous devons, dans un premier temps, nous appuyer sur nos forces. Le marché de la banque privée jouit incontestablement d’un énorme potentiel dans l’Hexagone et nous pouvons tirer notre épingle du jeu en ce qui concerne la clientèle aisée. Ce qui ne signifie pas pour autant que nous négligeons la clientèle fortunée (plus d’un million d’euros d’actifs financiers à mettre à disposition d’une banque, ndlr) car notre modèle peut justement attirer cette cible. Mais je pense toutefois que nous ne disposons pas de la puissance de feu pour nous focaliser exclusivement sur ce créneau sur lequel se spécialisent de plus en plus de grandes banques privées en France, comme Neuflize OBC ou encore Rothschild Martin Maurel. De facto, ces établissements ‘font partir’ leurs clients qui disposent de moins d’une centaine de milliers d’euros. En revanche, nous avons pour ambition de séduire en priorité les particuliers jouissant de 100 000 à 500 000 euros de patrimoine. De ce point de vue, nous voulons consolider notre ‘relation réinventée’ avec un tropisme digital plus affirmé encore.
A ce sujet, la longévité moyenne, au sein de votre réseau, d’une relation entre un banquier et son client est de 7 ans, contre 2 ans dans la plupart des autres établissements. Comment renforcer encore ce ‘lien de confiance’ ?
P.V. : Il est primordial, pour nous, qu’une relation entre les deux parties concernées s’inscrive dans la durée. C’est la clé de la confiance réciproque. Tant qu’aucun événement type retraite, démission, promotion ne vient entraver cette relation, le banquier privé maintient le lien avec son client. L’une des réclamations des clients qui revient d’ailleurs le plus souvent au sein des différents réseaux concerne le turn-over, trop important à leurs yeux, des banquiers privés et l’incapacité qu’ont ces réseaux à transmettre correctement les informations d’un banquier à l’autre. Donc nous ne voyons aucune raison objective de ‘mettre à mal’, si j’ose dire, cette relation, sauf si, bien entendu, le client est mécontent de son conseiller. Dans ce cas de figure, faisant un métier de commerce, nous nous empresserons de trouver une solution et proposer un autre banquier aux clients désireux de changer d’interlocuteur.
Quid du digital au sein de cette relation longue durée que vous appelez de vos vœux ?
P.V. Le digital est désormais une donnée consubstantielle de nos métiers. La transformation digitale, je ne vous apprends rien, touche absolument tous les secteurs. La banque est, à ce sens, concernée au premier chef puisque la matière première est l’information. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous fûmes l’un des premiers métiers informatisés au début des années 1970. La plupart des clients d’ailleurs, tous types de banques confondus, exigent qu’une grande partie des interactions avec leur banque soit digitale. Cela doit s’inscrire dans cette réinvention de cette relation que j’évoquais précédemment. En revanche, nous devons rester agiles et disponibles en ce qui concerne notre fonction de conseil. Le banquier privé devient ainsi le chef d’orchestre de l’ensemble des compétences internes ou externes à disposition directe du client. Compte tenu de notre clientèle, les banquiers se doivent d’être disponibles au bon moment avec une capacité à accéder le plus rapidement possible aux doléances de nos clients aisés y compris via des téléconférences.
Vous avez pour objectif de doubler, d’ici à 2024, votre nombre de clients, à 200 000, et avoir 23 milliards d’euros d’actifs sous gestion contre 9 milliards actuellement. Comment comptez-vous y parvenir ?
P.V. Je pense que nous avons le potentiel pour doubler notre base de clientèle mais qu’il nous faudra un peu de temps pour y parvenir. Voilà pourquoi nous avons ‘coché’ l’année 2024. Mais nous disposons déjà de certains atouts. Ainsi, 45% de notre clientèle existante de 100 000 clients est déjà dans notre cible ce qui pour une start- up, car c’est finalement ce que nous sommes, est déjà une base dont beaucoup d’entrepreneurs aimeraient pouvoir disposer. Avec notre approche nous disposons déjà de certains atouts. Avec notre approche spécifique décrite précédemment, je pense que nous pouvons aisément multiplier par deux notre clientèle. Mais il faudra également que l’autre partie de notre clientèle, issue de l’ancienne banque de détail Barclays France, accepte d’avoir une relation totalement automatisée. Et nous comptons, dans le même temps, conquérir une partie des 2,5 millions de Français dans notre cible. C’est pourquoi nous avons élargi et simplifié notre gamme de produits avec de nouveaux partenaires en assurance vie (Cardif Luxembourg), en sociétés de gestion (JP Morgan, Carmignac, Lazard), en pierre-papier Amundi, BNP Paribas), en gestion profilée (Rothschild Asset Management) ou même en crédit (Crédit Logement et Cafpi).
Ces objectifs hautement ambitieux impliquent- ils une réduction de votre réseau physique qui compte un peu plus de 70 agences ?
P.V. Nous avons, effectivement, 72 points de vente – terme que je préfère à agence – qui sont le résultat d’une sédimentation de Barclays France tout au long de son histoire. L’idée directrice est que notre clientèle cible puisse jouir d’un lieu de vie à quelques kilomètres de leur domicile ou de leur lieu de travail afin de venir rencontrer nos équipes. Outre le digital, nous sommes en train d’œuvrer à la nomadisation de nos banquiers afin qu’ils puissent se rendre chez les clients pour leur offrir des services similaires à ceux qu’ils pourraient trouver au sein de la « banque physique ». Mais cela ne remettra aucunement en cause l’implantation historique de Milleis dans le tissu sociologique français car, paradoxalement, nous allons ouvrir une ou deux agences supplémentaires pour être encore plus proches de notre gisement de clientèle. Mais nous allons néanmoins diminuer significativement le réseau de points de vente par soucis d’homogénéisation afin d’atteindre une masse critique qui permet à une banque de vivre et de servir correctement ses clients.
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