Politique| La gauche et la droite ont voté à l’unissons contre le texte (243 pour, 26 contre) remis à l’agenda de la chambre haute par le groupe communiste lors de sa niche parlementaire.
Comme un air déjà-vu. Avec cette fois-ci, une issue différente. La ratification du Ceta (Comprehensive Economic and Trade Agreement), le traité de libre-échange signé entre l’Union européenne et le Canada vient d’être rejeté par les sénateurs ce jeudi 21 mars. Fait assez rare pour être souligné, la gauche et la droite ont voté à l’unisson contre ce très controversé accord commercial, (243 pour, 26 contre) remis à l’agenda de la chambre haute par le groupe communiste lors de sa niche parlementaire. « On a pris le risque que le vote final ne corresponde pas à nos idées, expose auprès de Forbes France, Fabien Gay, sénateur communiste à l’origine de l’initiative de son groupe. Mais l’enjeu était trop important, cela fait plus de sept ans que ce traité climaticide est en vigueur sans que le gouvernement ne daigne le soumettre au vote du Parlement. »
Ayant pour objectif de développer les échanges et les investissements entre l’UE et le Canada, les négociations avaient engendré un accord préalable en 2014. Celui-ci avait ensuite été entériné par Bruxelles en 2017 après avoir reçu le feu vert des chefs d’Etat et des députés européens, malgré l’opposition d’une majorité d’élus français. Depuis, l’essentiel des mesures a été adopté. Les droits de douane entre les deux parties ont été drastiquement réduits, de nombreux produits en sont totalement exemptés. Les normes et les réglementations ont également été harmonisées, les mesures protectionnistes élaguées. Les entreprises européennes peuvent désormais avoir accès aux marchés publics canadiens et inversement.
Reste que le Ceta est un traité qualifier de « mixte ». Chaque Etat membre doit ratifier le texte avant que celui-ci ne soit adopté de manière définitive et complète, permettant ainsi l’activation de son chapitre le plus sulfureux : « La protection des investissements ». En clair, les entreprises étrangères auraient la possibilité de contester devant une juridiction ad hoc des points de législation adoptés dans l’UE ou au Canada, allant à l’encontre de leurs intérêts.
A ce jour, 17 Parlements sur 27 se sont prononcés favorablement sur le sujet. La chambre des représentants de Chypre l’a rejeté en juillet 2020. Côté français, l’Assemblée nationale a approuvé l’accord en juillet 2019 (266 pour, 213 contre). Depuis, l’exécutif rechigne à envoyer le projet de loi au Sénat, conscient que la défaite était l’issue la plus probable. En effet, les oppositions de tous bords dénoncent depuis sa mise en œuvre provisoire, une concurrence déloyale pour les producteurs français ainsi que des conséquences néfastes pour l’environnement. C’était sans compter sur l’initiative communiste donc.
Un bilan à nuancer
Ces derniers jours, le gouvernement avait pourtant tenté de « convaincre les sénateurs de la pertinence de cet accord », selon les mots de Franck Riester, ministre délégué au Commerce extérieur. Elus macronistes s’étaient succédé pour vanter son bilan. « On a un excédent commercial avec le CETA, soutenait mardi 19 mars, sur CNews, Valérie Hayer, tête de liste Renaissance aux élections européennes. Les agriculteurs ont besoin d’exporter […] donc c’est cette réalité-là qu’il faut aussi rappeler. » « Le CETA est un bon traité, abondait le député de Haute-Savoie Antoine Armand auprès du Monde. Il faut qu’on tienne là-dessus face aux nouveaux populistes et que l’on assume qu’on est pour les accords de libre-échange qui sont bénéfiques à tout le monde. »
A première vue, les chiffres sont là pour donner raison au gouvernement. La direction générale du trésor explique que « la France a enregistré cinq années d’excédent commercial avec le Canada, d’une valeur moyenne de 243 millions d’euros », depuis l’entrée en vigueur de l’accord. Les exportations françaises de fromage ont, par exemple, bondi de 57% entre 2016 et 2022. Le secteur viticole a lui aussi réussi à tirer son épingle du jeu (+24%).
Pour autant, l’économiste Sylvain Bersinger nuance ce bilan dans une récente étude du cabinet Asterès. « La progression peut sembler importante, mais elle est assez similaire à l’évolution de l’ensemble du commerce extérieur français (hausse de 35 % des exportations et de 42 % des importations totales sur la période) », signale-t-il. « Nous continuerons à vendre nos vins et nos fromages sans cet accord, assure Fabien Gay. On essaie de nous faire croire que le commerce va s’arrêter alors que nous commerçons avec le Canada depuis des siècles. »
« Déni démocratique »
D’aucuns craignent que ce « coup de tonnerre politique » soit avant tout symbolique. Le texte reste en effet à la main du gouvernement, qui risque de ne pas le transmettre de nouveau à l’Assemblée, faute de majorité absolue. Si les députés communistes n’excluent pas de soumettre le CETA au vote lors de leur prochaine niche à la chambre basse, rien n’assure que cela puisse avoir un quelconque effet.
En théorie, un rejet du texte par le Parlement français pourrait contraindre la Commission à suspendre la période d’entrée en vigueur provisoire du Ceta. Mais pour cela, il faudrait que le gouvernement le notifie officiellement auprès de Bruxelles. Sauf que rien ne l’y oblige. Dans ce cas-là, la non-ratification de l’accord n’empêcherait pas l’application des mesures commerciales, du ressort de l’UE. En clair, il n’y aurait aucun changement par rapport à la période actuelle. « On assisterait à un véritable déni démocratique de la part du gouvernement », s’emporte Fabien Gay.
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