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BCE : Le Scénario Plausible D’Une Remontée Des Taux D’Intérêt Dès 2018

© Getty Images

Depuis plus de deux ans et demi, la Banque Centrale Européenne (BCE) n’a pas ménagé ses efforts pour soutenir la croissance des pays de la zone euro et exercer une pression à la hausse sur le niveau général des prix. Quelle est la réelle ampleur des annonces faites par Mario Draghi jeudi 26 octobre dernier, au-delà des premières réactions qu’elles ont suscitées ? Pour la France, toute perspective de virage monétaire, avec à la clé, une remontée plus ou moins rapide des taux d’intérêt longs en 2018, doit être scrutée avec une attention particulière compte tenu de son niveau d’endettement privé et public.

Aucune euphorie particulière. Mais aucune défiance spécifique non plus de la part des marchés. Il faut dire que l’annonce jeudi dernier par la BCE de sa décision de prolonger sa politique de soutien à l’économie, assortie d’une réduction du montant de ses achats mensuels d’actifs à compter de janvier 2018, était tout sauf une surprise.

La plupart des experts le prévoyaient depuis plusieurs jours : dans un contexte de reprise de la croissance de la zone euro ne parvenant toujours pas à se traduire par un supplément d’inflation au niveau de l’objectif annuel visé par l’Institut monétaire (+2%), Mario Draghi reste sur ses gardes.

Pour résumer sa décision, le Président de la BCE parle avec pudeur de « stimulation maîtrisée ».

Virage monétaire ou simple ajustement de la politique monétaire européenne ?

Mais les Etats, les entreprises et les investisseurs devront savoir lire entre les lignes : la décision du 26 octobre 2017 risque de faire date. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit bien de la première inflexion significative de l’autorité monétaire européenne à la politique ultra-accommodante qu’elle mène effectivement depuis mars 2015 sous l’appellation de « quantitative easing » (QE).

A compter de janvier prochain et jusqu’en septembre 2018, l’Institution de Francfort réduira ses interventions sous forme de rachats de dette publique et privée, qui passeront de 60 milliards d’euros mensuels actuellement à seulement 30 milliards.

Une division par deux qui ne devrait pas s’accompagner, à court terme du moins, d’une remontée des taux d’intérêt, puisque la BCE indique envisager de ne les orienter de nouveau à la hausse que « bien après » la fin des rachats d’actifs.

On pourrait décider de stopper le commentaire ici et se borner à saluer le concours du QE au redressement économique de la zone euro. Après tout, l’immense mérite de cette politique monétaire « non conventionnelle », inspirée par la pratique de la Banque centrale américaine qui l’avait adoptée dès 2008, n’est-il pas d’avoir su soutenir la croissance assez vite -dès 2015- puis le redémarrage très progressif de l’inflation à compter de 2016 ?[1]

C’est un fait aussi que sans l’intervention de la BCE, l’offre de crédit des banques aux entreprises et in fine leur investissement n’auraient sans doute pas amorcé le redressement actuel, qui laisse même espérer cette année encore une augmentation de l’investissement industriel de + 7% dans notre pays.

Dont acte.

Une position qui ne saurait être durable

Mais la BCE a beau prendre des pincettes, la décision du 26 octobre 2017 ouvre bel et bien une nouvelle ère : celle de la normalisation monétaire. Comprendre : à terme, la fin des taux bas.

Difficile d’ailleurs de ne pas associer cette nouvelle trajectoire qui se dessine au virage monétaire que les Etats-Unis ont entrepris pour leur part depuis plusieurs mois déjà. La « Fed », qui a relevé par deux fois cette année ses taux (en juin et en septembre derniers), prévoit aussi de dégonfler de 1 000 milliards de dollars son bilan, qui est aujourd’hui de 4 200 milliards environ, en attendant une prochaine hausse de taux qui interviendra, en principe, dès fin décembre.

Ce durcissement monétaire pourrait contraindre les conditions du crédit outre-Atlantique et enrayer pour partie une croissance déjà décevante au second trimestre dernier. Avec des effets d’entraînement probables sur notre propre dynamique continentale. Car il ne fait guère de doute que la remontée des taux longs, décidée par Janet Yellen quelques mois après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, entraînera à plus ou moins brève échéance celle des taux longs européens.

Pour l’heure, la BCE laisse certes ses taux directeurs inchangés. Mais la remontée progressive de l’inflation à l’horizon 2018 pourrait l’amener à revoir sa position.

Il y a ainsi fort à parier que dans les mois à venir, peut-être à compter de septembre 2018, date de la fin annoncée de la prolongation du programme de rachats d’actifs, les taux réels (hors inflation) à long terme s’ajusteront vers le haut.

Cette perspective est non seulement de plus en plus probable, mais sa survenue pourrait exposer l’économie française à de réelles secousses.

Exposition importante de l’économie française au durcissement monétaire

La fin du QE et la remontée des taux pourraient d’abord mettre à rude épreuve les finances publiques françaises.

Actuellement, la France emprunte sur les marchés à des conditions incroyablement favorables, c’est-à-dire à des taux proches de zéro voire négatifs, et le projet de loi de finances (PLF) pour 2018 prévoit encore un nouveau léger recul de la charge de la dette, à 41,2 milliards d’euros (contre 41,5 milliards en 2017).

Emmanuel Macron et Edouard Philippe savent bien que cette situation n’est pas durable et ont d’ores et déjà anticipé une première remontée légère de cette charge d’intérêt à hauteur de 41,9 milliards en 2019, puis une forte remontée l’année suivante, à 44,7 milliards.

Ces prévisions sont cohérentes avec un scénario de durcissement très graduel, tel qu’annoncé par Mario Draghi la semaine dernière.

Mais, on peut se demander si elles ne sous-estiment pas l’effet de propagation de la hausse des taux longs aux Etats-Unis vers l’Europe, qui pourrait être moins lente que ce qu’on annonce généralement.

Le gouvernement ne devra pas non plus oublier les conséquences que pourraient avoir sur ses conditions d’emprunt un retrait partiel et légèrement anticipé de la BCE. Celle-ci est en effet devenue le principal détenteur de dette souveraine hexagonale, en acquérant chaque mois environ 8 milliards d’euros d’OAT (obligations assimilables du trésor), les obligations de référence de l’Etat français.

Qu’adviendra-t-il lorsque la BCE va commencer à modérer ses interventions sur le marché ? Les autres investisseurs auront-ils les moyens de prendre le relais de l’institution de Francfort, alors qu’il faut s’attendre à ce que la France émette en 2018 des montants records de dette, autour de 195 milliards ?

De la nécessité à bien se préparer en amont pour la France

Comment la France parviendra-t-elle, enfin, à éviter l’étranglement financier si une hausse de 1 point de tous les taux d’intérêt entrainait, comme l’estime l’Agence France Trésor (AFT), quelque 2,4 milliards de charges d’intérêt supplémentaires pour l’Etat la première année, 5,3 milliards la seconde année et 7,4 milliards la troisième, soit des charges bien supérieures à celles actuellement prises en compte dans la programmation budgétaire publique ?

Des questions qui vont se poser un peu partout non seulement chez nous, mais aussi dans les autres pays occidentaux, surtout quand on sait que la Banque d’Angleterre envisage à son tour un durcissement de sa politique monétaire.

Un durcissement généralisé ou presque, qui fait craindre un scénario de crise financière à l’horizon 2020. Le Fonds Monétaire International (FMI) en fait même une hypothèse privilégiée, en faisant valoir la bombe à retardement que représenterait la rencontre potentiellement explosive entre une hausse des taux d’intérêt rapide et un endettement public et privé excessif des pays du G 20[2].

Regardons la vérité en face : l’addition des emprunts de ces Etats, des entreprises et des ménages auprès des banques et des marchés dépasse les 135 000 milliards de dollars, soit 235% de leur richesse nationale annuelle !

A l’échelle strictement nationale, la survenue d’un tel scénario catastrophe ne doit pas être prise à la légère. Car les entreprises françaises ont précisément profité des taux bas actuels pour stimuler leur investissement.

Faute d’une épargne suffisante (qui ne couvre que 4/5ème du financement de leur investissement), elles ont massivement recouru à l’emprunt. Aujourd’hui, la dette privée (si l’on inclut aussi les ménages dans le calcul) s’élève à 130% du PIB début 2017, contre moins de 90% en Allemagne…

Or, si les emprunts contractés l’ont été par les entreprises dans des conditions d’intérêt particulièrement favorables, une inversion de la courbe des taux les exposerait particulièrement, car une forte majorité des dettes (environ 65% de l’encours total) a été contractée à taux variable.

Une augmentation de 100 points de base des taux accroîtrait, selon la Banque de France, à l’horizon d’un an de 5 milliards d’euros la charge financière des entreprises[3].

Dès aujourd’hui, d’après une note de Natixis publiée le 25 août dernier par Patrick Artus, un niveau élevé du taux d’endettement des entreprises semble avoir conduit à un premier recul de leur taux d’investissement au Royaume-Uni, en Espagne et en Italie.

L’économie française pourrait bien suivre, le désendettement des sociétés françaises apparaissant même comme une mesure de prévention hautement recommandable pour faire face, le moment venu, à la remontée des taux.

Les premières bases d’une normalisation de la politique monétaire ont été jetées la semaine dernière par la Banque Centrale Européenne. Ce signal doit être pris très au sérieux par les Etats et les entreprises, tout particulièrement en France. Car, additionné à la remontée probable de l’inflation dans la zone euro dans les prochains mois et au durcissement de la politique monétaire de la Réserve Fédérale Américaine déjà effectif depuis juin dernier, cette fin annoncée de la politique monétaire ultra-accommodante est susceptible de déboucher sur une remontée des taux longs sans doute plus rapide qu’annoncée aujourd’hui, sans doute dès le second semestre 2018.

L’économie française doit se préparer aux secousses qui en résulteront, alors que son endettement public est attendu à 96,9% du PIB à la fin de l’année et que la dette privée de notre pays (entreprises + ménages) s’élève à près de 130% de notre richesse nationale annuelle.

[1] Etude de la Banque Centrale Européenne, juin 2017, basée sur les seules années 2015 et 2016

[2] FMI, Rapport sur la stabilité financière dans le monde, octobre 2017

[3] Banque de France, jeudi 17 août 2017

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