Le Conseil d’Etat a jugé le 25 octobre 2017 que constitue un abus de droit le fait pour un contribuable de se substituer une société holding luxembourgeoise, pour réaliser une acquisition suivie un an plus tard d’une vente immobilière en franchise totale d’impôt en France comme au Luxembourg, conformément aux dispositions alors applicables de la convention fiscale franco-luxembourgeoise.
Cette décision est importante, non seulement parce qu’elle a été rendue en formation plénière, mais aussi parce qu’elle reconnaît le principe de l’application de l’abus de droit énoncé à l’article L. 64 du LPF à une stipulation d’une convention internationale de portée générale.
La confirmation par le Conseil d’Etat de la décision rendue par la cour d’appel de Versailles s’appuie sur chacun des deux critères cumulatifs sur lesquels repose la qualification d’abus de droit, tels qu’énoncés par la jurisprudence puis consacrés depuis par la loi. A savoir, le critère subjectif tiré de ce que les opérations n’ont pu être inspirées par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que le contribuable, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, et le critère objectif tiré de la recherche d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs.
Même si cette décision a été rendue sous l’empire de l’ancienne version du texte, ses fondements tirés de l’abus de droit par fraude à la loi constituent le droit positif en la matière.
La recherche du but exclusivement fiscal a été reconnue dans l’interposition, sans justification, de la société luxembourgeoise au sein de l’opération immobilière en litige. Le fait que la société luxembourgeoise n’ait pas, par elle-même, manqué de substance n’importait pas, compte tenu de l’absence de motif autre que fiscal dans l’interposition de cette entité dans une opération immobilière dont le juge relevait qu’il s’agissait d’une activité qui lui était étrangère jusqu’au changement de son objet social, d’ailleurs postérieur à l’acquisition litigieuse.
Plus délicat était de déterminer si le contribuable avait recherché «le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs». Le Conseil d’Etat avait déjà appliqué le principe de fraude à la loi dans le contexte de l’utilisation d’une convention fiscale dans sa décision Bank of Scotland du 24 décembre 2016, mais jamais l’article L. 64 directement, même si rien ne semblait l’interdire. Il l’indiquait d’ailleurs dans un avis en date du 31 mars 2009 de sa Section des finances, considérant qu’il est possible de faire application des règles de droit interne relatives à la lutte contre la fraude à la loi et les abus de droit en matière fiscale dans le cadre de l’interprétation des conventions fiscales.
Une situation paradoxale née d’un flou juridique
Au demeurant, les règles d’interprétation des conventions fiscales, telles que consacrées par la jurisprudence administrative, sont fondées sur une interprétation littérale des dispositions conventionnelles claires tout en recherchant, autant que cela est possible, l’intention de leurs rédacteurs. Or, la difficulté d’une telle approche est l’absence de disponibilité de travaux préparatoires, contrairement à ce qui existe pour les textes législatifs. D’autant que dans la convention franco-luxembourgeoise alors en vigueur, la double exonération d’impôts dont bénéficiait le contribuable reposait essentiellement sur l’absence de stipulations régissant spécifiquement les revenus des entreprises industrielles et commerciales tirés de l’aliénation de leurs biens immobiliers. Il semble donc paradoxal pour l’administration de reprocher au contribuable d’avoir recherché le bénéfice d’une application littérale des textes sans qu’aucune stipulation expresse ne régisse la situation en litige.
Le juge suprême a estimé que même sans aucun document préparatoire permettant de déterminer l’intention initiale des Etats (les modifications des termes de la convention postérieures au fait générateur du litige ne pouvant qu’exprimer une intention certes manifeste mais tardive), ceux-ci «ne sauraient être regardés comme ayant entendu, pour répartir le pouvoir d’imposer, appliquer ses stipulations à des situations procédant de montages artificiels dépourvus de toute substance économique».
En d’autres termes, les auteurs d’un texte fiscal ne peuvent jamais avoir eu pour intention d’en faire bénéficier un montage artificiel. Cette approche déjà énoncée par certains rapporteurs publics, n’avait jamais jusqu’à présent été consacrée explicitement par le Conseil d’Etat. Elle conduit nécessairement à court-circuiter la recherche de l’intention des auteurs du texte lorsque l’opération est artificielle puisqu’alors, même si celle-ci ne vise pas explicitement l’hypothèse de la fraude à la loi, le juge considère désormais que si le but exclusivement fiscal est prouvé par l’administration fiscale, l’abus est constitué.
Cette décision nous semble introduire une nouvelle hiérarchie des paramètres déterminant l’existence d’un abus de droit en donnant à l’artificialité, à l’instar de la jurisprudence de la Cour de justice, un caractère prépondérant qui ne figure pourtant pas dans la loi elle-même.
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