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Activisme Actionnarial En France : Des Attentes De Nature Moralisatrices

Gouvernance d’Etat et d’Entreprise : à la recherche d’une respiration

Alors que les Présidentielles ont montré la  demande grandissante de moralisation de la politique par les citoyens et tandis que la saison 2017 des Assemblées Générales déploie une revendication pour  plus de démocratie actionnariale, émergente depuis 2010 et qui s’est accélérée dès 2015. Les problématiques Etat/ Corporate sont proches et le besoin d’oxygéner les codes et règles du jeu pressant. Les mécanismes de gouvernance relèvent d’une conception culturelle et socio-économico-politique spécifique et se font écho du domaine public au privé.

La manière dont s’organise la gouvernance publique dépend  de la maturité du système dans son rapport à la société civile (acceptation d’éléments de démocratie participative) ; la manière dont s’organise le gouvernement d’entreprise reflète l’idée du pays que se fait de la place et de la responsabilité de l’entreprise dans la communauté. Dans les deux cas,  des principes et des mécanismes interviennent pour organiser et réguler les relations entre acteurs : un Etat démocratique doit intégrer des contre-pouvoirs, appliquer le principe de transparence et celui de responsabilité des élus ; un gouvernement d’entreprise pérenne repose sur des dispositifs créateurs de transparence et de responsabilisation des dirigeants , ainsi que des mécanismes protecteurs des actionnaires minoritaires et des intérêts de catégories spécifiques dont les salariés.  Ainsi, les logiques de deux mondes apparemment distincts se rapprochent : de l’économique au politique avec la RSE pour l’entreprise, du politique à économique dans la sphère publique, du fait de l’impératif d’une gestion saine des finances publiques.

Les bons mécanismes de gouvernance seront donc ceux aptes à  intégrer les dimensions de concertation et à préserver la capacité ultime à décider en faisant en sorte que celui qui décide assume la responsabilité de la décision. En pleine saison des Assemblées Générales 2017, forte de travaux  menés au Centre Européen en Droit et Economie (www.CEDE-ESSEC) sur la gouvernance pérenne  et l’évolution des AG,  je questionne ici le DEVOIR d’engagement des actionnaires …

Engagement actionnarial – Le pouls des AG est faible

Il est faible, mais il bat notamment du fait de quelques acteurs, parfois moralisateurs ! Des signaux faibles émergent attestant d’un bouleversement de la culture actionnariale, donc des équilibres de gouvernance entre la direction, le Conseil d’Administration (ou CS) et l’Assemblée Générale. Passons en revue quelques-uns de ceux-ci :

Des Résolutions  rejetées :  en 2016, 56 résolutions émanant de 27 sociétés du CAC40 ont été rejetées. Elles portaient à 57% sur les augmentations de capital, à 12% sur la rémunération des dirigeants, etc. 48 résolutions supplémentaires n’auraient pas été approuvées sans le droit de vote double désormais légal – sauf résolution contraire, contre 21 en 2015 et 32 en 2014. Des résolutions externes car désormais quelques actionnaires osent : 45 résolutions externes ont été déposées en 2016, dont  33 par des actionnaires et 12 par des  actionnaires salariés. Ces Résolutions sont encore peu adoptées: sur les 45 déposées en 2016, 8 l’ont été soit 17.8%, c’est un chiffre en progression puisqu’en 2014, nous étions à 8%. C’est  essentiellement au travers des questions que l’on constate une certaine détermination des actionnaires à comprendre, obtenir les informations voire influencer la direction. Si le nombre moyen de questions reste assez stable : 18 par AG  en 2015 et 20 en 2016, un travail de  répartition par thèmes établit  que les actionnaires s’intéressent essentiellement à l’activité de l’entreprise: 49%.

Soyons francs, en termes d’activisme, on est très loin des méthodes américaines, cependant  quelques coups de feu s’échangent ! Des actionnaires minoritaires usant des dispositifs légaux à leur disposition, peuvent parfois  gagner un pouvoir d’influence disproportionné aux titres qu’ils possèdent : le  “shareholder activism“ connait une montée en puissance en France. Au-delà d’intérêts différents, des alliances stratégiques interviennent parfois entre :

  • investisseurs institutionnels qui cherchent à s’assurer une progression de la qualité de la gouvernance et commence de plus en plus à appliquer des critères ESG et préfèrent dialoguer avec les dirigeants (« the voice ») ou désinvestir (« the exit »).
  • fonds spéculatifs  (« hedge funds ») de plus en plus puissants, avec 200 milliards d’actifs sous gestions en 2017, dont une soixantaine investis en Europe. Eux prennent des participations minoritaires  au sein d’une entreprise pour pouvoir restructurer ses actifs, changer la structure de gouvernance, ou la politique de distribution de flux financiers, réduire ses coûts, l’idée étant de récupérer un bénéfice maximisé à court terme. Les hedge funds font pression en utilisant la  course aux procurations pour obtenir un vote conforme à leur position sur tel ou tel sujet.  Un débat académique de fonds concerne leur activité et leurs manières de faire : il est reproché aux hedge funds de fragiliser l’entreprise tandis que d’autres auteurs disent que cet activisme permet de secouer  l’entreprise.
  • Les autres catégories d’actionnaires minoritaires très diverses ont comme point commun  leur position d’actionnaire minoritaire et le fait que leur influence est  essentiellement fondée sur la menace du  droit agir en justice. Parfois, l’intervention est de type sociétal. Ainsi sur la mixité, l’Association Française des Femmes Juristes détentrice d’une action dans les entreprises du CAC 40, pour ce faire, a organisé un questionnement dans les AG en 2015 sur le sujet qui a fait grand bruit. Et les ONG commencent  à intervenir:  l’ONG, Les Amis de la Terre a pris une action dans certaines entreprises du CAC (Engie, BNP, etc) pour être en mesure de questionner en matière de réchauffement climatique

Ainsi, par le biais de questions écrites et orales en assemblée générale, les actionnaires interpellent, s’informent sur la stratégie (près de la moitié des questions consacrée au sujet entre 2012 et 2016) utilisent désormais le vote négatif de résolutions (38 sur les say in pay en 2016, 31 sur les augmentations de capital) et commencent à déposer  des résolutions  externes :   lors de l’AG Vivendi, la proposition déposée par PhiTrust  et soutenue par 9 actionnaires afin de ne pas conférer de droit de vote double a obtenu 50.06%. D’autres armes commencent à être utilisées : la contestation d’élections des mandataires sociaux ; la dénonciation auprès de l’AMF[1]. D’autres méthodes encore rares en France, font appel à l’alerte du marché, voire de l’opinion publique. Alors des AG à pouls faible ? 

L’activisme en France comparé à la situation en Europe est plutôt plus agité. Selon l’European Voting Results Report  2015 qui a analysé les AG des sociétés cotées de 17 pays européens dont le  SBF 120 en France – soit 12 662 résolutions pour 788 sociétés.  On note une montée de la participation avec 67,2% de vote en 2015 contre 61,5% en 2010, la France championne avec le RU (70,2%) ; des Résolutions de minoritaires en hausse : 14,9 en 2015 contre 12 en 2008, la France étant là encore en tête avec l’Espagne avec  21,7 en moyenne ; enfin, des résolutions rejetées en hausse et  la France championne avec l’Italie: 37 sur 62 au total sur l’échantillon et 20 résolutions rejetées.

L’AG deviendrait-elle progressivement un exercice de démocratie actionnariale ? Avec 49 minutes  en moyenne de temps de débat sur une durée moyenne de 2h47, des dirigeants  présents, entourés des administrateurs et des haut-cadre exécutifs du groupe, une prise de parole précise et pédagogique sur chaque thématique et même parfois des engagements (tel a été le cas sur la progression de la mixité après une action d’activisme de l’AFFJ  mettant au cœur du débat un sujet peu traité en AG), il est un fait que l’activisme a un mérite: mettre  le projecteur sur des sujets sensibles.

« The topics » en débat

Parmi les divers sujets de gouvernance, on en relèvera «  qui semblent cet-an ci devoir faire débat et l’on s’interrogera sur le thème de la RSE

  • Le « say on pay »  avec l’actualité des Résolutions loi Sapin2 

Un nombre de résolutions stable:  78 en 2015/ 75 en 2016 et un taux d’approbation important 89,31%, mais un signal en 2016 qui se développe cette année :  5.9%  des résolutions ont été approuvées avec un taux inférieur à 70%. Et le rejet de 2 résolutions  concernant les rémunérations de Carlos Ghosn (Renault) et de Patrick Kron (Alstom) ont fait en 2016 du bruit et généré  le dispositif  de vote contraignant du Say on Pay de la loi Sapin 2. Ce sujet est donc à suivre tout particulièrement cette année, car les entreprises traduisent de manière diverse l’obligation et les actionnaires sont extrêmement vigilants. Dans certaines des AG 2017 tenues, des votes à la majorité très courte, voire des désaveux sont intervenus. La France a la particularité de moraliser le débat sur la rémunération : il ne s’agit guère d’identifier si la rémunération du dirigeant dans tous ses éléments est proportionnelle à sa rentabilité ou son efficience, mais si elle est soutenable, voie décente à l’égard des autres salaires de l’entreprise. 

  • Les dispositifs anti-OPA sont également à l’honneur et font débat

Depuis 2013, le contexte économique inquiète les entreprises françaises qui se vivent comme cibles potentielles de prises de contrôle hostiles. La loi Florange ayant modifié la donne avec l’abandon du principe de neutralité de la direction en cas d’OPA hostile (principe prévu par  la Directive sur les OPA de 2004) font que des Résolutions en nombre sont proposées. Il est intéressant d’identifier une réaction des actionnaires mitigée avec une interrogation philosophique là encore sur le pouvoir nécessaire ou trop important  confié aux dirigeants du fait de ces mécanismes. Les Résolutions sont donc mal votées.

  • Enfin, des sujets plus sociétaux liés, pour une part à l’effet d’entrainement de nouveaux textes en matière de RSE, mais également  à l’intérêt du public.  La RSE préoccupation émergée des entreprises, devient prioritaire avec la directive du  15 avril 2014 dite   « Directive RSE » relative à la publication d’un reporting extra-financier (qui emboite tardivement le pas à la France : loi NRE du 15 mai  2001, loi Grenelle 2).  La récente loi Sapin 2  va plus loin encore sur les questions de corruption, et en mars 2017 la loi relative au devoir de vigilance[2]  impose désormais aux sociétés mères et aux entreprises donneuses d’ordre qui emploient, à la clôture de deux exercices nets au moins 5.000 salariés en leur sein et dans leurs filiales en France et au moins 10.000 salariés en leur sein et dans leurs filiales en France ou à l’étranger, d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance pour contrer la possibilité de drames humains et environnementaux . Enfin une étude de PricewaterCoopers[3], publiée le 19 mai 2017 qui analyse les renouvellements de dirigeants dans les 2 500 plus grandes entreprises cotées en Bourse à travers le monde, établit que le nombre de départs consécutifs à des scandales ou à des affaires ayant trait à l’éthique a augmenté de 36 % en 5 ans. Enfin que l’opinion publique avertie avec le web est vigilante aux scandales….Les conseils d’administration sont donc très attentifs  à ce sujets.
  • Or, les enjeux relatifs à la RSE ne semblent pas intéresser la majorité des actionnaires. Les travaux du CEDE sur la montée de l’Activisme actionnarial en France, menés de 2012 à aujourd’hui permettent d’établir que lors des Assemblées Générales du CAC 40, sur une durée moyenne d’AG de 2h47, seulement 8,5 minutes ont été consacrées au Développement durable. Quelques acteurs spécifiques se dégagent du lot dont des ONG et les fonds ISR. Ainsi, Mercredi 26 avril dernier, Les Amis de la Terre[4] questionnait AXA sur son soutien à la construction de nouvelles centrales à charbon en Pologne. En 2014, l’ONG avait déjà interpellé le PDG de Total sur les investissements du groupe, dans une aire naturelle protégée en Patagonie. Ils ont par ailleurs édité un guide sur les banques responsables.

Démocratie actionnariale et responsable ?

C’est sans doute, le développement de l’Investissement Socialement Responsable avec des gérants de fonds prenant en compte des critères  « extra-financiers » qui peut changer la donne. Une étude d’EY  établit que la génération Y est sensible aux critères ESG, ces  jeunes investisseurs sont les  potentiels actionnaires individuels de demain (pour le moment fâchés avec la bourse – voir à ce sujet l’appel de l’Institut du Capitalisme Responsable), les critères ESG pourraient bien passer de minoritaires à majeurs. L’engagement du CEDE autour de la gouvernance pérenne  nous incite à soutenir les initiatives de sensibilisation aux enjeux de RSE auprès des actionnaires, et à promouvoir le rapport intégré porté par l’Institut du Capitalisme Responsable[5]  et M. Peuch Lestrade[6]. Alors actionnaires, si l’on vous dit que la RSE loin d’être un coût stérile est une condition de la pérennité de l’entreprises dont vous posséder du capital, qu’en dites-vous?

Notre système de gouvernance d’entreprise plutôt caractérisé par l’exercice d’un  pouvoir vertical du dirigeant semble ainsi  évoluer vers plus de démocratie actionnariale où certains actionnaires s’engagent. L’enjeu est important, à l’heure où l’actionnariat individuel diminue en France (6,5 M en 2008 et 3 M en 2016). Le CEDE en tant que partenaire académique reprend  l’appel de l’OAA[7]  sous l’égide de l’Institut du Capitalisme responsable.

 

Par Viviane de Beaufort, professeure à l’ESSEC BS

 

 

[1] Dans le cadre de la  tentative d’Opa sur Hermès, le 25 juin 2013 la Commission des sanctions a infligé à LVMH une sanction de 8 millions d’euros. L’AMF a relevé que le « contournement de l’ensemble des règles destinées à garantir la transparence indispensable au bon fonctionnement du marché doit être sanctionné à la hauteur des perturbations qu’il a provoquées ».

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2017/3/27/2017-399/jo/texte

[3] http://www.pwc.fr/fr/publications/developpement-durable/responsible-investment.html

[4] http://www.amisdelaterre.org/Choisis-ta-banque-Le-guide-eco-citoyen-des-Amis-de-la-Terre-2716.html

[5] http://www.capitalisme-responsable.com/

[6] http://www.capitalisme-responsable.com/la-conference-annuelle-sur-lintegrated-thinking/

 

[7] http://www.capitalisme-responsable.com/wp-content/uploads/2016/12/2017-03-28-OAA-Argumentaire.pdf

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