A quoi ressemblera l’agence de demain ? Sans prétendre proposer une solution clé en main (ce serait formidable, mais malheureusement cela n’existe pas), je partage douze convictions qui peuvent aider à dessiner le contenu, et, partant, la forme, de cet espace serviciel un peu particulier. Je les développe en deux temps. Six convictions sont donc présentées ici, les six autres ayant été partagées le 26 janvier dernier sur ce même site.
Moins digitale, plus low-tech : promouvoir la « convivialité 2.0 »
Ce serait un truisme d’affirmer que l’agence sera plus digitale. Or il me semble que la gadgétisation de notre monde a atteint un seuil qui rend nécessaire, aujourd’hui, ce que d’aucuns ont appelé le digital « raisonné », voire, dans une vision plus large, le low-tech. Nul besoin d’un écran surpuissant ou d’une tablette de dernière génération : l’effet « waouh » ne réside pas dans la surenchère technologique, mais dans l’expérience proposée autour, entre personnes.
La posture de « coach numérique », qui consiste à créer plus d’intimité avec le client (ou entre eux) à l’occasion, par exemple, d’une courte session ludo-éducative permettant de mieux s’approprier tel ou tel service disponible en ligne, est bien plus essentielle.
Le contact humain est ce que valorise le plus les clients, y compris les plus jeunes : il n’y a donc qu’un paradoxe apparent dans la volonté de renforcer ce lien via des moments d’acculturation au digital. On peut être physiquement loin, tout en se sentant proche : c’est tout l’enjeu du management hybride, et, pour les agences, de l’hybridation de leur relation client. Les équipes devront donc être accompagnées sur ce terrain, car conduire un échange en visio, ne pas perdre en proximité, voire la renforcer, cela n’est pas inné.
L’agence sera plus cool, plus fun, sans tomber dans la caricature
Se prendre moins au sérieux, sans purger totalement le métier de « banquier » de sa nécessaire rigueur, c’est tout l’enjeu ; ne pas céder aux sirènes trop évidentes de la fausse coolitude qui a envahi les espaces tertiaires, de canapés en jeux d’arcade, du babyfoot caricatural à la table de pique-nique, est une évidence. L’entreprise, ce n’est pas une cour de récréation. Mais elle peut admettre une certaine dose de régression et, partant, d’humour. Une affaire de nuance, comme toujours. Mais il y a loin, aujourd’hui, des espaces que nous connaissons en agence, de la posture des équipes, à une ère plus détendue, incarnée par les environnements autant que par les femmes et les hommes.
L’agence tous publics, c’est l’agence tous risques
Le risque, c’est de ne plaire à personne pour avoir cherché à plaire à tout le monde. Cette agence « attrape tout » constitue pourtant l’essentiel des réseaux de retail bancaire. Actifs et inactifs, riches et pauvres, milléniaux et seniors… toutes les clientèles s’y côtoient, comme dans une gare ou un hôpital. Cela a des vertus, mais cela présente aussi des inconvénients, et le souci majeur réside précisément dans l’absence de signature claire, d’un environnement (et de postures) adaptés à des besoins spécifiques. Conçue pour accueillir tous les publics, l’agence ne parle à aucun de façon singulière.
S’il n’est pas évident, à quelques exceptions près (une agence basée sur un campus, s’adressant tout autant à la clientèle des étudiants qu’aux enseignants et personnels administratifs), de mieux segmenter la promesse et les offres associées (et, partant, de thématiser l’agence), il n’en demeure pas moins qu’elle se transformera au gré des actualités : la énième réforme des retraites peut ainsi donner l’occasion d’un événement qui cible les seniors pour leur redonner à voir les offres d’accompagnement de l’enseigne sur ce sujet. De façon humoristique, elle peut s’adresser aussi à des actifs plus jeunes en leur parlant d’anticipation – quand on observe la conscience aigüe des plus jeunes relativement à ce sujet, ce n’est pas anecdotique.
Rassembler les générations, plutôt que de les opposer, pourrait d’ailleurs constituer un beau motif de communication et d’événementialisation de l’agence. Elle tirerait ainsi un vrai parti de sa large base de clientèle.
Plus de transparence, plus de rectitude
L’image du banquier « cachotier », qui a cédé aux sirènes des paradis fiscaux, voire qui a fait l’objet de scandales marquants (l’affaire Kerviel, l’affaire Tapie…), ne doit plus être un angle mort de la communication, un impensé. Sur les engagements pris par la Banque, les tarifs et frais appliqués, sur ce qu’elle a corrigé (et corrige) dans ses pratiques, c’est toute une communication nouvelle qui est à incarner dans les agences.
Le temps des « secrets de famille » est révolu, au regard qui plus est des communications responsables de nombreux acteurs – je pense ici à celle de la Maif en particulier.
Plus expérientielle, plus immersive, plus sensorielle
L’agence disposera d’une large palette en vue de proposer à ses visiteurs une expérience ancrée dans le terroir (découverte et dégustation de produits locaux proposés par des producteurs clients de l’enseigne, soutenus par elle), les arts (des œuvres numériques projetées sur écran durant une Biennale dont l’enseigne est partenaire ; une musique de jazz diffusée durant le festival dont la Banque est sponsor).
Mais ce peut être, plus simplement (et cela se pratique déjà, parfois), des biscuits préparés par une personne de l’équipe, partagés avec les clients se rendant à l’agence ce matin-là, autour d’un café servi par l’équipe. L’on rejoint ici ce qui est dit plus haut sur la convivialité.
Là encore, il s’agit de susciter un nouveau regard sur l’agence et son équipe, d’inviter à de nouvelles formes de conversation génératrices d’une autre forme de relation à « l’agence ». L’immersion, comme la pédagogie, sont deux leviers majeurs de ce qu’il est convenu de nommer « l’économie de l’expérience ». En agence, cela passe notamment par des offres et des métiers complexes qui gagneraient ainsi à être mieux expliqués, par des pédagogies ludiques qui aideraient à créer une autre expérience de l’agence.
Pour finir, le marketing de l’expérience mobilise aussi les effets de la surprise. Dans un univers hyper-codifié, à l’ambiance quasi monacale, être accueilli par un clown, parce que l’enseigne est partenaire d’un festival des arts du cirque, trancherait fortement avec la tonalité usuelle. Mais il y faut du sens, on le voit : ce n’est pas un clown pour un clown, c’est une manière d’entrer en résonance avec un événement qui a lieu sur le territoire, et dont l’enseigne est partenaire.
Bien sûr, d’aucuns répliqueront : « Mais si je me rends dans mon agence à ce moment-là pour une réclamation, je risque de ne pas trouver cela à mon goût ! » A ceux-là je répondrais que lorsqu’il s’est agi de créer un rituel consistant à proposer un café en amont d’un RDV, les conseillers ont pu observer que même lorsque l’objet de la rencontre n’était pas un événement positif, elle s’ouvrait sur une base différente qui facilitait, dans la plupart des cas, les échanges à venir…
Le blurring, ou l’art du brouillage
Enfin, de tout cela ressort un certain degré de brouillage des codes et des repères : en détournant, voire en se détournant, des codes de l’agence bancaire, tout ce qui concourra à transformer l’image de l’enseigne, de ses équipes mais aussi de ses clients, sera intéressant à travailler. Déjà, il devient possible de s’installer confortablement en amont d’un RDV, avec un café, du wifi, comme dans un espace de coworking – et l’on a ici adapté les codes de l’immobilier tertiaire au contexte bancaire. Bien des ambiances viennent également perturber les codes, tenter de rendre plus chaleureuse l’atmosphère.
Mais ces formes de blurring (floutage, brouillage) demeurent assez classiques. Il serait donc intéressant d’aller un cran plus loin, de façon pérenne ou plus éphémère – l’agence « terrasse de café » évoquée plus haut, dans le cadre d’une opération temporaire (ou même plus pérenne, pourquoi pas ?), en donne un aperçu.
Bien sûr, toutes les agences ne peuvent prétendre à tout cela, et toutes les équipes n’y sont peut-être pas prêtes, mais toutes peuvent essayer – proposer, un matin, des parts d’un gâteau préparé par une personne de l’équipe, ou une ambiance musicale douce, entrant en résonance avec un festival local. Ces registres d’action peuvent être travaillés sans forcément être dispendieux, ils peuvent s’adapter à bien des contextes, en mobilisant justement toute l’imagination et les envies d’une équipe, sans la forcer, sans lui imposer quoi que ce soit. Car une autre agence est possible si, et seulement si, elle en a envie, elle en ressent la pertinence – voire l’impertinence. De fait, ici et là, ce sont des initiatives que l’on observe déjà !
L’agence, aujourd’hui, n’est bien souvent que le triple reflet de ses contraintes ontologiques/réglementaires (la sécurisation), d’une culture métier (une certaine discrétion lorsque l’on « parle d’argent » ; le sérieux de celles et ceux à qui je confie mes intérêts) et des politiques Marketing – le mois de l’assurance auto, celui des plans d’épargne retraite, etc., avec leurs merchandisings. En mobilisant ce qui est exposé très brièvement ici, il devient possible à chaque collectif d’inventer une autre agence, une autre culture de l’agence. Et cela passera, notamment, par une hybridation des profils, par un brassage de talents issus du métier comme en provenance d’autres univers.
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