Finance | Les obligations de solvabilité des banques européennes sont supérieures à leurs homologues américaines, créant une concurrence imparfaite dans le secteur.
Par Olivier Levyne, professeur affilié a HEC Paris.
À la suite de la crise financière de 2008, la loi Dodd-Frank, promulguée sous Barack Obama en 2010, avait pour ambition d’imposer, à l’ensemble des établissements bancaires américains, des exigences de ratio de solvabilité quelle que soit la taille de leur bilan. L’esprit de cette loi a été complètement remis en cause par Donald Trump en mai 2018. L’administration Trump a ainsi allégé les contraintes prudentielles pour les banques qui ne sont pas considérées comme systémiques ; ceci visait à favoriser leur développement. Cela a aussi créé une distorsion de concurrence entre les banques américaines et les banques européennes, ces dernières étant soumises aux règles exigeantes de Bâle 3. Mais les faillites de banques régionales américaines du printemps 2023 et la résistance des banques européennes a changé la donne. L’année 2024 sera-t-elle celle de la fin d’une distorsion de concurrence en faveur des banques américaines ?
La réforme de 2018, mise en place sous l’impulsion de Donald Trump permet aux plus petits établissements bancaires qui s’appuient sur un faible levier d’endettement de s’affranchir intégralement des contraintes prudentielles de Bâle 3. Cela concerne un pan très significatif du système bancaire américain. En effet, les établissements dont les actifs consolidés n’excédaient pas $10 milliards, représentaient 97% du système bancaire en nombre d’établissements et 16% en termes de montant des actifs en juin 2019. Par ailleurs, le seuil de désignation des établissements bancaires susceptibles de poser un risque systémique a alors été porté de $50 milliards à $250 milliards de total de bilan pour toute société américaine contrôlant une ou plusieurs banques. En outre, ce seuil a été porté de $50 milliards à $100 milliards pour les filiales de banques étrangères implantées aux Etats-Unis.
Ce cadre ne modifie pas les exigences de fonds propres ou de liquidité imposées aux 8 plus grandes banques américaines ; il réduit toutefois la fréquence de mise à jour de leurs plans de résolution. Et il allège les exigences pour les banques régionales. Ainsi, les banques dont la taille de bilan est au moins égale à $100 milliards sont réparties en 4 catégories selon leur profil de risque. Dans ce contexte, les exigences prudentielles augmentent avec l’exposition, du fait de la banque, à un risque systémique.
Stress test
Les banques dont le bilan est compris entre $100 et $250 milliards relèvent de la catégorie IV. Elles demeurent soumises aux contraintes de ratio de solvabilité par application de la seule méthode standard ; dans ce cas, les coefficients de pondération des risques sont fournis par les règles du Comité de Bâle. De plus, ces banques sont soumises à une norme de levier simple, le levier étant le ratio entre les fonds propres Tier 1 et le total du bilan. Ces banques participent aux stress tests de la Fed tous les deux ans. En outre, si elles ont recours aux financements de marché de court terme pour plus de $50 milliards, elles sont soumises à contraintes de liquidité assouplies ; sinon elles ne sont soumises à aucune contrainte de liquidité.
Les banques dont le bilan est compris entre $250 et $700 milliards relèvent de la catégorie III. Elles se doivent d’appliquer un coussin contracyclique de conservation des fonds propres. En d’autres termes, le niveau du ratio de solvabilité à respecter est augmenté ; cela permet à ces banques de disposer d’un montant de fonds propres plus élevé de nature à absorber, le cas échéant, davantage de pertes. De plus, ces banques ont des exigences de levier dans l’esprit de Bâle 3. Elles sont toutefois dispensées d’appliquer l’approche avancée de Bâle 3 pour le calcul des engagements pondérés ; de plus, les déductions appliquées à leurs fonds propres sont réduites. En outre, elles doivent participer aux stress tests de la Fed tous les ans ; et les résultats de leurs stress tests internes sont publiés seulement tous les deux ans. Enfin, lorsque leur recours aux financements de marché de court terme excède $75 milliards, les contraintes de liquidités qui leur sont appliquées sont assouplies.
Pondération unique
Les banques dont le bilan excède $700 milliards ou dont les expositions transfrontalières excèdent $75 milliards, relèvent de la catégorie II. Les exigences de liquidité leur sont appliquées, quelle que soit le niveau du recours aux financements de marché de court terme.
La Catégorie I constitue un cadre spécifique pour 8 banques d’importance systémique au niveau mondial. Celles-ci sont soumises à des exigences renforcées. Il s’agit de JP Morgan, Citi, Bank of America, Goldman Sachs, Bank of New York Mellon, Morgan Stanlery, State Street, Wells Fargo.
La FED a proposé, le 27 juillet dernier, un texte visant à réglementer la solvabilité des banques dont le bilan est au moins égal à $100 milliards. Il s’agit d’une forme de transposition des règles de Bâle 3 dans le droit bancaire américain.
Pour mémoire, en 2017, le Comité de Bâle a tiré les conséquences de la forte variabilité des engagements calculés par les banques. Celles-ci avaient alors le choix entre 2 approches : la première était l’application de coefficients de pondération relevant de l’approche dite standard ; la seconde était le calcul d’engagements pondérés selon une approche du risque fondée sur une notation interne. L’approche standard manquait alors de granularité, notamment en matière de risque de crédit. Celle-ci appliquait ainsi une pondération unique à tous les crédits hypothécaires. Une même pondération était aussi appliquée à toutes les expositions sur l’immobilier commercial ; c’était également le cas pour toutes les expositions sur les banques qui n’étaient pas notées. De même, les pondérations des expositions aux PME et aux grandes entreprises étaient identiques. Enfin, les actions et les titres représentatifs de dettes subordonnées avaient la même pondération.
Dans ce contexte, un nouvel environnement prudentiel a été introduit en 2017 baptisé Bâle 4. Ce dernier correspond à une évolution de Bâle 3 et non à une refonte de Bâle 3. C’est la raison pour laquelle les textes réglementaires parlent de « Finalisation de Bâle 3 ». Les principales évolutions portent principalement sur 2 points : la revue des coefficients de pondération dans la méthode dite standard et la limitation des possibilités de recours à la notation interne. Cette approche standard révisée est entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Le recours à la notation interne fait également l’objet d’aménagements. Ceux-ci vont dans le sens du durcissement de la réglementation.
Sous-capitalisation
La solvabilité élevée des banques européennes les a aidées à éviter l’effet de contagion des « bank runs » qui ont touché SVB et First Republic Bank. C’est la raison pour laquelle la FED a proposé, le 27 juillet dernier, un texte visant à réglementer la solvabilité des banques dont le total du bilan est au moins égal à $100 milliards. Il s’agit d’une forme de transposition des règles de Bâle 3 dans le droit bancaire américain. Les coefficients de pondération proposés dans l’approche standard sont identiques ou, en général, plus exigeants que ceux applicables aux banques européennes. Par ailleurs, la notation interne est désormais exclue pour le risque de crédit. Une consultation de place a été menée jusqu’au 30 novembre 2023. dernier. Le nouveau texte vise une implémentation progressive du 1er juillet 2025 au 1er juillet 2028.
Les banques américaines sont évidemment défavorables à cette évolution de la réglementation prudentielle qui va leur être appliquée. Le 5 décembre dernier, le DG de JP Morgan, Jamie Dimon mettait en avant des conséquences dommageables pour les ménages à faibles revenus et un accroissement des risques pour le système financier, tout en soulignant l’absence d’analyse économique de la part du régulateur. Doutant de la sous-capitalisation des banques américaines, Dimon pense que le nouvel environnement prudentiel conduira à un accroissement de leurs besoins de fonds propres prudentiels de 20 à 25%.
Dimon devait, avec les DG de Goldman Sachs, Citi et Morgan Stanley, répondre à des questions de sénateurs. Tous se disaient plutôt optimistes sur la possibilité d’une évolution du projet réglementaire dans le sens d’un assouplissement, même si un cadre dirigeant du groupe JP Morgan avançait récemment que cette évolution pourrait ne pas être significative. En tout état de cause, la distorsion de concurrence entre les banques américaines sera, a minima, réduite, en 2024. La disparition totale de cette distorsion de concurrence va dans le sens de l’histoire. La parfaite résistance des banques européennes aux soubresauts du printemps dernier en est le meilleur argument.
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