Première avocate française sourde de naissance, Virginie Delalande a été révélée aux yeux du grand public dans un documentaire sur Arte et lors du « Grand oral » l’émission d’éloquence de France 2. Désormais, avec son activité de conférencière et de coach, elle aide des personnes à se révéler et s’épanouir. Et à défaire les préjugées sur le handicap.
Virginie Delalande ne connaît pas sa voix. Elle ne connaîtra jamais la mienne non plus. Du vacarme provoqué par la machine à café du bistrot où je la rencontre, elle n’en a cure, elle lit sur mes lèvres. Sourde de naissance, ses parents se sont rendu compte du handicap de leur fille quand elle avait neuf mois : assise dans l’herbe avec son père et sa mère, tous deux chirurgiens-dentistes, le bébé ne bronche pas alors qu’un tracteur perd sa lourde herse sur le bitume de la route voisine dans un fracas à réveiller un mort.
Les médecins sont formels : la petite Virginie, en plus d’être sourde au dernier degré pour toujours, ne parlera jamais. Aucun espoir, rien. Les parents, portés par leur jeunesse – monsieur avait 22 ans, madame, 21 – et on ne sait quelle fougue parentale, décident que l’impossible n’est pas inenvisageable et soutiennent leur fille dans ce chemin a priori sans issue : parler sans jamais avoir entendu. A force de trois séances hebdomadaires d’orthophoniste par semaine pendant vingt ans, voilà le miracle. Virginie Delalande, 39 ans, sait discuter, pratiquement comme vous et moi, avec une locution quelque peu singulière.
Apprendre comme un robot
Mme Delalande compare cet apprentissage à celui du « perroquet ». A l’heure où on nous bassine avec l’intelligence artificielle et autres « machine learning », la prouesse tient plus de l’ordre de la robotique. A partir de supports visuels, de figures, de dessins, Virginie Delalande a appris comment reproduire des ouvertures de la bouche, le positionnement de la langue, les vibrations de la gorge. « On est parti de mes babillages pour construire mon langage, explique-t-elle. Car tout bébé, même un bébé sourd, babille. »
Un documentaire diffusé sur Arte en 2018, a retracé le parcours de Virginie Delalande. Elle est repérée pour participer au « Grand oral », l’émission d’éloquence de France 2 où elle prend tout le monde de court avec « cette voix qui peut-être vous dérange, vous met mal à l’aise ». Ces deux expositions médiatiques lui créent une forte notoriété. Elle décide en parallèle de se lancer dans une carrière de coach et de conférencière.
De son expérience du handicap, Virginie Delalande veut faire un argument d’autorité pour affirmer que « rien n’est jamais écrit par avance », pour reprendre ses mots. « Quand on a des difficultés dans la vie, il ne faut pas s’arrêter au premier obstacle. Il faut sortir de sa zone de confort, savoir prendre d’autres chemins pour arriver au résultat souhaité. » Avec sa structure Handicapower, elle accompagne des chefs d’entreprise, des manageurs, hommes ou femmes, handicapés ou non, pour leur apprendre « à dépasser leurs limites, leur donner les moyens de réaliser leurs rêves », notamment dans un cadre professionnel.
Dans un monde qui raffole du story telling et des récits « inspirants », Virginie Delalande a de la narration à revendre. A 27 ans, après une scolarité à Assas, elle devient la première personne sourde de naissance a obtenir le diplôme d’avocate. Elle avait passé le barreau tout en ayant eu ses enfants pendant ses études : « J’aime ajouter de la difficulté à la difficulté » plaisante-t-elle. Finalement, elle ne portera que très peu la robe noire. Ne voulant pas élever son fils et sa fille à Paris, elle part à Genève avec son mari – malentendant lui aussi -, et y découvre que le diplôme d’avocat français n’y est pas reconnu. Elle ne pourra pas exercer en Suisse, alors que deux cabinets étaient prêts à l’embaucher à Paris. Qu’à cela ne tienne, elle se lance dans une carrière de juriste. Avant de connaître la réussite que l’on sait.
Une étiquette
Est-ce qu’elle voit son succès comme une revanche ? « Au départ, oui, répond-elle. Quand tout le monde me disait que je ne pourrais jamais passer le barreau, j’avais l’objectif de leur montrer qu’ils se trompaient. Mais finalement, je ne le vis pas comme une revanche, plus comme le résultat d’une logique après tout le travail effectué. »
Toute sa vie, Virginie Delalande a entendu dire qu’elle « ne pourrait pas ». Toute sa vie, comme tout handicapé, elle a « encaissé ». Enfant, évidemment, on s’est moqué d’elle. Pendant ses études, ses profs de fac refusaient de lui donner des supports de cours écrits. Adulte, dans la vie privée comme au travail, les gens ont douté de ses facultés intellectuelles à cause de son élocution atypique : « On m’a souvent collé une étiquette. Certains pensaient que je ne comprenais pas ce qu’on me disait, que j’allais passer mon temps à me plaindre. »
Une capacité d’adaptation
Alpha et oméga de la résilience, elle a « fait de cette faiblesse, une force ». Et c’est à partir de ce mantra qu’elle désire améliorer la place des handicapés dans les entreprises par le biais de formations et de conférences qu’elle dispense. D’abord, en s’attaquant aux préjugés : « Les gens pensent que parce qu’on est handicapé, on travaille moins bien, qu’on sera toujours absent, moins productif, qu’on aura toujours un problème. » Au contraire, le handicap est, selon elle, gage de performance : « On doit vivre dans un monde qui n’est pas fait pour nous. Cela nous confère une capacité d’adaptation sans pareil. » Pour la coach, le handicap permet aux personnes qui en souffrent de développer des compétences, notamment humaines et d’efficacité organisationnelle sans commune mesure.
Pour l’intégration des handicapés dans l’entreprise, cette mère de deux enfants, sourds eux aussi – et qui parlent, eux aussi -, fait un parallèle avec les orientations sexuelles, la couleur, la croyance : en somme, le handicap s’inscrit comme d’autres problématiques dans une gestion de la diversité. « Le pire que l’on peut demander pour un handicapé est de rentrer dans la normalité. Cela les force à avoir des comportements très inconfortables ou à les mettre dans des positions de faiblesse. Soit on parvient à compenser le handicap avec des moyens techniques, soit on le prend comme il est, avec ses compétences particulières. »
Dernier défi de Virginie Delalande : délier les langues des handicapés sur leur propre handicap. « Je recherche des gens qui sont devenus handicapés par la force des choses, une maladie, un accident, mais qui aujourd’hui disent qu’ils préfèrent leur vie avec que sans leur handicap. » On lui demande si elle n’a pas peur de pousser à une sorte de glorification un peu saugrenue de l’invalidité. Elle rétorque : « On a tellement de points de vue négatifs là-dessus, qu’il faut bien un contre-pied très positif. »
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