Vanessa Bruno façonne depuis plus de 20 ans des collections à la féminité moderne dans un esprit chic bohème qui est devenue sa « marque de fabrique ». Rencontre avec cette femme inspirante et inspirée dans son atelier parisien de la rue de La Pierre-Levée.
Son style désinvolte chic avec une touche de poésie donne de la force, une plus grande affirmation de soi et souligne par petites touches – jusque dans les détails d’une dentelle légère provençale – notre état d’esprit du moment. Depuis l’ouverture de sa première boutique à Paris en 1998, la styliste parisienne dit s’inspirer du quotidien. Son style qui cultive une élégance intemporelle dite « parisienne » rencontre un succès immédiat. Ses créations séduisent les célébrités, comme Charlotte Gainsbourg ou Vanessa Paradis, et ses collaborations avec La Redoute et 3 Suisses la font connaître du grand public. Sans oublier son cabas à paillettes copié dans le monde entier et « panthéonisé » au musée des Arts décoratifs de Paris (2004). Figure incontournable du paysage de la mode française avec une croissance à 23% ( 10 boutiques et 6 corners en France, 370 clients multi marques dans le monde ), Vanessa Bruno continue d’innover, mais toujours dans le même esprit et surtout fidèle à elle-même.
Désirée de Lamarzelle : Comment vous positionnez-vous par rapport à la nouvelle vague de marques françaises comme Sézane, des Petits Hauts… ?
Vanessa Bruno : Notre philosophie a toujours été de proposer un luxe abordable avec un positionnement qui offre une sophistication, une approche « créateur » : tant dans la précision, la structure et la coupe que les finitions. Des pièces faites à partir de nouvelles matières, avec des constructions nouvelles ou des incrustations de dentelles made in France. J’accorde une énorme importance au détail, car il permet de trouver dans la collection ce qu’on ne trouvera pas ailleurs.
La marque défie les lois de longévité de la mode, quel est le secret ?
Pour définir mon style je dirai que je réponds à l’attente de femmes qui cherchent des vêtements qui subliment leur quotidien à la fois intime et personnel, et où elles n’ont pas l’impression de rentrer dans une figure de caricature de mode. J’aime l’idée que mes clientes s’attachent à certains modèles avec qui elles tissent une histoire. Elles me disent parfois qu’elles « ne quittent plus » certains modèles qu’elles mixent ensuite avec d’autres pièces, c’est une façon d’être dans le quotidien et de savoir le sublimer. Tout cela contribue à la longévité de la marque.
Vingt années de collections… Qu’est-ce qui amuse encore la créatrice et la femme d’entreprise ?
Cela tient en un mot, l’émulation. Le travail d’équipe, entourée de personnes qui me font évoluer avec des visions différentes ou auxquelles je n’avais pas pensé, pour régler parfois une trentaine de sujets dans la journée. Je veux continuer à apprendre, à être étonnée, à réfléchir à des solutions, et, à faire en sorte qu’un produit existe. Une réflexion qui est plus large que le sujet de la mode elle-même qui m’ennuie un peu. J’aime ma liberté d’entrepreneuse même si l’autonomie peut coûter cher.
Avec les injonctions permanentes de créativité de la mode, comment puisez-vous votre inspiration ?
Il y a les mécaniques d’inspiration. Elles sont très importantes et consistent à s’ouvrir sur le monde, et nourrir mes deux passions : le sud de la France, en y rencontrant un artisan de poterie, un sculpteur de bois, ou encore un atelier de broderie artisanale façon provençale… et l’art contemporain. En tant que présidente du MoCo (Montpellier Contemporain), j’essaie d’apporter à ce musée ma sensibilité et un regard différent qui est aussi celui d’une femme d’entreprise travaillant dans la mode.
Quel autre métier auriez-vous envie de faire en dehors de créatrice de mode ?
La réalisation et la mise en scène. J’ai participé aux côtés de la réalisatrice Stéphanie Di Giusto à l’aventure de plusieurs courts métrages pour accompagner mes collections. J’ai adoré ces semaines passées à filmer, à monter ce que j’appelle les « poèmes visuels » (incarnés par les comédiennes Lou Doillon et Kate Bosworth). Ils étaient pensés comme des messages visuels qui livrent à la fois la poésie d’un vêtement, la beauté d’un mouvement et la liberté d’un geste.
Qu’évoque pour vous le mot « féminisme » en 2020 ?
Je savoure le bonheur d’être une femme d’entreprise, un statut qui correspond à mon besoin de liberté. Une envie d’autonomie que j’avais déjà très jeune, nourrie par l’exemple autour de moi de femmes combatives. A commencer par ma mère, et ma grand-mère qui a élevé seule sa fille pendant la guerre en donnant des cours de pianos et qui cousait en même temps des robes pour ses clientes. Et aujourd’hui, ma fille de 24 ans force mon admiration par son engagement que je n’avais pas au même âge : j’étais engagée dans ma propre vie mais pas militante, alors que ma fille est sans concession dans ses rapports d’égalité femme-homme.
Reconnue internationalement, vous continuez de cultiver une certaine discrétion…
Oui c’est ça la clé du bonheur. Peut-être que mon attitude par rapport à la création est de conserver une forme de simplicité. Ce marché (prêt-à-porter) très « marketé » dans un monde consumériste qui doit tout le temps cracher de la nouveauté oublie qu’il y a plein de femmes qui n’ont pas du tout besoin de cette boulimie. Et puis la discrétion correspond aussi au fait que je ne me considère pas comme une créatrice mais simplement comme une styliste qui se nourrit de nombreux univers pour se réinventer.
Que dire de votre cabas, une pièce iconique qui traverse les décennies ?
Sa plus belle réussite est d’être transgénérationnel et assez démocratique parce qu’il va à tout type de femmes. Nos sacs sont réinventés chaque saison (zébrés, en paille ou en toile de lin…) car c’est important de rester dans l’ère du temps, mais avec des codes qui sont toujours les mêmes : je les traîne depuis des années puisque je les aime (rires).
Quels sont ces codes ?
J’ai toujours parlé de poésie urbaine, une forme d’expression qui passe par les détails et se définirait par ce « je ne sais quoi » en plus de la Parisienne chic et sophistiquée mais assez nonchalante, voire avec une pointe de désinvolture. Des détails que je puise dans l’artisanat ou encore le mélange heureux féminin-masculin des coupes des vestes d’homme. Je dis souvent que je fais des vêtements faciles pour des femmes difficiles et où la marque fait partie du quotidien de leur armoire.
Vous parlez d’artisanat. Qu’en est-il de la démarche de la marque en matière de développement durable ?
Ma démarche a toujours été de savoir comment sont faits mes vêtements, avec un « sourcing » très précis. Je m’adresse à des femmes intelligentes qui n’ont pas besoin que je leur raconte une histoire juste parce que c’est dans l’ère du temps, mais nous tentons au maximum d’être dans une démarche éco-responsable. Par exemple en ce moment à Madagascar pour la fabrication entièrement fait-main du cabas en raphia, on compte du tissage au montage, en passant par le crochetage, un millier de personnes. Un sac représente 5 jours de travail.
Quelle expérience en tant que femme d’entreprise avez-vous fait du confinement ?
Ce fut une expérience très enrichissante car j’ai pu voir à quel point nous avions une capacité d’adaptation même si cela a été générateur de grand stress au début : je devais être sur tous les fronts et en même temps une boussole pour mes équipes. La Mode n’attend pas, nous devions travailler sur la prochaine collection donc cela s’est fait en télétravail et en vidéo conférence. Je suis restée seule à mon studio pour les choix de matière, de couleur et développer les modèles pour la nouvelle saison. Mais j’ai très vite compris qu’il fallait utiliser ce ralentissement comme un bienfait pour prendre le temps de la réflexion et ne pas stresser les équipes. « Faisons ce qu’on peut mais faisons bien ».
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