Au langage guerrier qui a été l’apanage de la prise de parole des gouvernements masculins pendant la crise sanitaire, ce sont des mots emprunts de sollicitude des femmes politiques (Sanna Marin en Finlande, Katrín Jakobsdóttir en Islande, Jacinda Ardern en Nouvelle-Zélande, Mette Frederiksen au Danemark, …) qui ont réussi à « montrer l’exemple dans une crise qui a été aussi celle du ‘care’ », explique Marie-Laure Hubert Nasser, directrice de la communication de Bordeaux. Elle publie « Petit guide à l’usage des femmes qui s’engagent en politique ». Rencontre.
Désirée de Lamarzelle : Peut-on parler de qualité féminine en politique ?
Marie-Laure Hubert Nasser : Les femmes dirigeantes en politique ont développé des qualités particulières qui sont liées à leur parcours, à leur apprentissage, à l’observation des référents masculins. Rien n’a été facilité aux femmes dans l’accession et l’exercice du pouvoir, en dehors de la loi sur la parité. Mais les têtes de listes sont toujours aussi rares. De même que l’absence de modèles féminins. En réalité, les femmes politiques ont dû déployer leurs solutions… qui ont fait leur preuve dans cette crise.
Quelles qualités en particulier ?
L’adaptabilité est certainement la première de ces qualités. Au même titre que l’écoute, la proximité, l’efficacité, et la fameuse polyvalence ramenée de façon caricaturale à la gestion simultanée des enfants et de la carrière. Quand Valérie Pécresse rappelle que quand une femme dit une bêtise c’est une gourde, tandis que pour un homme on parle de bourde, c’est pour mieux souligner que nous avons besoin de ces qualités et de cette capacité de travail pour échapper à tous ces pièges. Mais attention, rien n’est inné dans cette approche du pouvoir. Et en politique comme dans toutes les zones de pouvoir, j’ai toujours en tête la fameuse citation de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ».
Peut-on néanmoins parler d’une crise révélatrice des femmes politiques ?
C’est une crise inédite qui a sanctuarisé les citoyens dans leurs foyers, les coupant de toute, ou presque, possibilité d’autonomie, et qui laissé à une poignée de dirigeants les rênes de la société. Tous ces mois passés dans ce confinement ont donné au pouvoir – à l’échelle mondiale – une puissance rarement égalée, a révélé les comportements des différents dirigeants et permis la comparaison : entre Angela Merkel, qui se met en quarantaine et annonce ses décisions avec sincérité, et Donald Trump, qui se jette dans la quête d’un ennemi à abattre, s’opposent la compassion et la violence. Les femmes dirigeantes avec leur approche plus « maternante » de leur peuple et surtout efficace ont été saluées par les citoyens qui attendaient des actes et une plus grande protection. La crise que nous traversons a laissé une place à une plus grande proximité, a fait renaître la solidarité, des registres dans lesquels les femmes dirigeantes s’expriment plus volontiers.
La communication est-elle le nerf de la guerre dans la gestion de cette crise ?
La crise est un révélateur notamment dans sa communication qui a opposé les femmes et les hommes en politique. Les hommes utilisent un langage plus guerrier avec certains qui ont montré leurs muscles : Donald Trump, Boris Johnson, Jair Bolsonaro ; tous en guerre. Et même notre président, Emmanuel Macron, qui répétera, à six reprises, lors de sa première allocution « nous sommes en guerre ». Il semble que les femmes dans leur apprentissage du pouvoir ont voulu convaincre, expliquer, montrer l’exemple dans une crise qui est aussi celle du « care », du partage, des décisions collectives.
Les femmes brident-elles moins leurs émotions en politique ?
Les femmes ont appris à s’en servir. Prenons l’exemple d’Elisabeth II qui s’est adressée aux Britanniques pour les inciter à la « résilience collective et leur insuffler un message d’espoir », Erna Solberg en Norvège qui a organisé une conférence de presse à destination des enfants du pays, ou Jacinda Arden en Nouvelle-Zélande qui a baissé son salaire de 20% par solidarité… Cette communication entraîne l’adhésion, car à l’heure où les habitants de tous les pays se meurent, il y a urgence à protéger plus qu’à promettre. Mais attention, la communication ne joue un rôle essentiel qu’à la condition d’être collée à l’action.
Que dire des femmes majoritaires dans les métiers du « care » devenues visibles avec la crise sanitaire ?
L’expression de Christiane Taubira « bande de femmes qui fait tenir la société » a marqué les esprits. Equipes soignantes dans les hôpitaux et les Ehpad, caissières, aides ménagères, assistantes maternelles, c’était en effet une vraie « bande » qui a aidé à traverser la crise, car depuis toujours les femmes sont majoritaires dans les métiers de soin : 80% du personnel soignant est féminin. Pour paraphraser la sociologue Dominique Méda, « aujourd’hui les femmes sont en première ligne. Elles forment les gros bataillons des métiers du care et de la vente… ». Or, on constate que cette surreprésentation des femmes dans ces métiers va de pair avec leur précarisation car ils sont très mal rémunérés, en particulier dans des situations de famille monoparentale, alors qu’elles sont indispensables. Le confinement a aggravé la polyvalence des femmes : télétravail, garde des enfants, suivi scolaire, soins… Il nous reste des combats à mener, certains l’appelleront féminisme, d’autres humanisme. Je pourrai aussi dire modernisme.
« Petit Guide à l’usage des femmes qui s’engagent en politique », Marie-Laure Hubert Nasser éditions Payot / Collection Documents
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