Sophia Loren ou Brigitte Bardot ? Meghan Markle ou Kate Middleton ? Steffi Graf ou Monica Seles ? Dans le show business, la littérature, les palais princiers, les arènes sportives ou les open spaces, de tout temps et partout, la rivalité entre femmes a imprégné les esprits. Et si l’ennemi de la femme était la femme elle-même ? Enquête.
On adore les opposer, leur prêter les pires intentions et bassesses en tous genres. On dit même que tous les coups sont permis. Plus il y a de larmes, de crêpages de chignon et de drames, plus l’audience est grande et les débats enflammés, car la question est impérieuse : qui est la plus sournoise ? Qui est la pâle copie de ? Qui a été la tentatrice à l’origine d’une tromperie ? Ou encore, qui porte le mieux la robe à sequins ? C’est un inventaire à la Prévert ! Il y a urgence à arbitrer afin de mettre au ban de la société l’indélicate, au nom de la survie de notre belle humanité et de ses nobles principes. Depuis que le monde est monde, le ressort usé jusqu’à la corde de la rivalité féminine supposément innée existe, prospère.
La chose est convenue depuis l’Antiquité, en témoignent les assertions d’illustres personnages. Pour Aristophane, « Il n’est rien de pire dans le monde qu’une femme, si ce n’est une autre femme » ; Pythagore surenchérit par cette profession de foi : « Il y a un principe bon qui crée l’ordre, la lumière et l’homme. Il y a un principe mauvais qui crée le chaos, les ténèbres et la femme » ; et pour que la coupe soit pleine, citons Carcinos : « À quoi bon dire du mal des femmes ? N’est-il pas suffisant de dire : c’est une femme ? » De la misogynie dans son ultime expression, certes, mais doit-on hâtivement blâmer le fameux « mâle blanc de plus de 50 ans » ? C’est un pas que n’a pas voulu franchir Racha Belmehdi, auteure du livre à succès Rivalité, nom féminin (éditions Favre).
L’ancienne éditorialiste dans la presse féminine formée à ses débuts dans des maisons de luxe, a pris la plume sur ce sujet à la manière d’une thérapie : « L’idée d’écrire ce livre est partie de plusieurs expériences que j’ai subies, de plusieurs schémas qui se répétaient dans ma carrière professionnelle et dans ma vie de tous les jours. J’ai été amenée à évoluer dans des milieux considérés comme très féminins, il m’a régulièrement fallu montrer que non, je ne souhaitais pas prendre la place de mes paires, ni même de mes supérieures. Féministe depuis mon plus jeune âge, j’ai souhaité investiguer la question », introduit cette âme malmenée.
Son ouvrage s’appréhende comme une lecture féministe du mythe qui éclaire bien des comportements aujourd’hui, plus particulièrement appliqués au monde des affaires. Dans cet environnement qu’elle décortique, la collègue qui réussit a « les dents qui rayent le parquet », « fait sa diva, sa matrone », « dirige comme un homme »… Racha Belmehdi a interrogé des centaines de femmes – issues de tous les milieux sociaux et sphères professionnelles – pour mesurer le phénomène. Les témoignages ont été nombreux à accréditer son postulat.
Insidieusement, ouvertement ou instinctivement, nous serions nombreuses à perpétuer ces schémas de mise en concurrence entre femmes tant en amitié, en amour, qu’au travail, car nous sommes en permanence exposées à l’image de femmes en compétition, à cette idée qu’il faut trancher dès lors qu’il y en a plus d’une dans la pièce. À savoir, qui est la meilleure, qui est la plus désirable, qui est la plus intéressante ?
Racha Belmehdi : « Il est important de s’exposer, autant que l’on peut, à des œuvres où les femmes existent pleinement côte à côte, de cultiver ses amitiés et relations féminines, de lire des autrices, de regarder le travail des réalisatrices, etc …Trop souvent, dans les fictions au cinéma, les femmes sont d’office présentées avec une gentille et une méchante ! »
Miroir, mon gentil miroir, qui est la plus belle du royaume ? Les contes et légendes ont biberonné des générations successives de petites filles, modelant une vision étriquée de la femme et de ses aspirations les plus profondes.
« J’ai été adolescente dans les années 90-2000 et j’ai beaucoup regardé de teen movies de mon époque. Généralement, les films mettaient en scène un triangle amoureux ou une rivalité entre filles avec une gentille et une méchante ; ces fictions prenaient donc le relais sur nos fables enfantines. En clair, dès qu’il y a deux filles, l’une d’elles ne peut qu’être malveillante vis-à-vis de l’autre ! Si l’on ne prend pas conscience de ces ressorts culturels, cela peut nous transformer et faire de nous la somme de tout ce qu’on a regardé, lu et entendu. Il est important de s’exposer, autant que l’on peut, à des œuvres où les femmes existent pleinement côte à côte, de cultiver ses amitiés et relations féminines, de lire des autrices, de regarder le travail des réalisatrices, etc. Ainsi, nous pouvons mieux accepter l’idée que nous avons une place à prendre et, surtout, qu’il y en a pour toutes », estime la jeune quadra.
« C’est à nous de travailler sur nous-mêmes »
Dans nos sociétés nous inculquant que Pandore et Ève sont des fautrices de trouble originelles, la tâche n’est pas aisée pour s’extirper de cette théorie érigée en vérité. Face à cette fatalité, l’essayiste nous invite en toute modestie à cheminer par étape vers la conscientisation. Une introspection qui passe par la nécessité d’admettre, qu’en tant que femme, nous avons très probablement nous-mêmes déjà eu un comportement problématique envers une semblable. Il convient donc de réfléchir aux raisons qui nous ont poussées à agir de la sorte : s’agissait-il d’une réaction légitime à une agression, réelle ou symbolique, ou nous sommes-nous simplement senties en insécurité face à une femme que nous identifions comme meilleure que nous ?
Ouvrir la boîte de Pandore pour déconstruire la rivalité féminine. Racha Belmehdi reconnait avoir reçu des critiques de la part d’autres femmes au début de son entreprise. Parmi les reproches, on l’invectivait sur le fait que son livre ferait le jeu du patriarcat. À ces attaques et raccourcis, la téméraire répondait qu’il était doublement opportun pour les femmes de s’emparer de ce sujet plutôt que de laisser « les misogynes et masculinistes aborder ce thème. Déconstruire en connaissance de cause cette querelle perpétuelle, cela nous appartient, cela nous concerne en premier lieu. C’est à nous de travailler sur nous-mêmes ».
L’enjeu de cette auto-critique est de taille puisqu’elle aiderait à faire émerger une meilleure sororité. Derrière ce concept, il ne s’agit pas juste d’appeler à plus de représentation du beau sexe dans les conseils d’administration, mais bien d’améliorer le quotidien de toutes les femmes, en permanence. La sororité étant un « outil » au service du collectif. « Les hommes aussi sont en rivalité, mais pour eux, c’est dans le désir de s’affirmer. Quant aux femmes, force est de constater que c’est pour en déprécier l’une par rapport à l’autre », poursuit l’écrivaine.
Pour le sociologue Pierre Bourdieu, la domination masculine a été au fil des millénaires profondément intériorisée par les femmes au point qu’elles se perçoivent comme un genre inférieur, ayant plus de défauts et donc plus à prouver. L’unique moyen d’échapper à cette assimilation à un genre communément considéré comme mineur a souvent été de se dénigrer les unes les autres. Critiquer les autres femmes, c’est se différencier de ce groupe méprisé et trouver sa planche de salut…
Assumant la sévérité de ses propos dans certains chapitres, le livre de Racha Belmehdi est avant tout une belle déclaration d’amour au genre féminin. « Voyez-la comme la dureté d’une amie, d’une grande sœur, d’une mère, d’une collègue… N’importe quelle femme de votre entourage qui souhaite le meilleur pour vous, vous dira toujours honnêtement les choses. », plaide l’auteure Franco-algérienne, qui se réjouit d’avoir fait changer d’avis nombre de ses interlocutrices au fil de l’écriture de son œuvre. Elle partage volontiers l’une de ses découvertes en explorant le sujet, celle des dessous du cliché en couverture de son livre.
Sacrée photo rentrée dans les annales qui met en scène deux des sex-symbols des années 60, les sculpturales Sophia Loren et Jane Mansfield, immortalisées à une soirée hollywoodienne. La bombe italienne est prise en flagrant délit, les yeux scrutant le décolleté plongeant de l’Américaine, encore plus plantureuse au niveau du tour de poitrine ! Les tabloïds, les espiègles, les esprits faciles y ont vu la jalousie d’une femme envers une autre femme. Mais, en réalité, la légende aux deux Oscars s’inquiétait de voir « jaillir les seins de Jane Mansfeld » hors de sa robe et craignait l’humiliation publique pour sa consœur. Quand les médias jouent le match perpétuel de la rivalité, la réalité est à nuancer.
La pseudo-guerre intrasexe n’incorpore pas dans son bataillon toutes les femmes, d’un seul bloc, comme on a aimé le prêcher dans le récit historique. Lorsqu’on décide de s’en prendre à une femme par pure jalousie, on alimente l’idée que nous sommes faites pour nous entre-déchirer et que ce fait serait inhérent à la « nature » féminine. Et elles sont nombreuses à s’élever contre cette allégation.
« Les femmes ont aujourd’hui conscience de leur pouvoir collectif »
Pour Lily et Sophie Gruber, deux sœurs à la tête du centre esthétique French Touch Montaigne à Paris, elles ressentent davantage une bienveillance que de l’animosité basique. Au quotidien, ces deux blondes au physique très avantageux interagissent avec des femmes, anonymes comme célèbres, et se réjouissent de « recevoir des encouragements, de la solidarité » ; cette énergie positive participe indéniablement à leur épanouissement professionnel.
« Lorsque nous nous sommes lancées dans l’entrepreneuriat sans faire appel à des investisseurs, ce sont les femmes qui ont été à l’origine de notre succès et notre renommée. Elles nous ont soutenues et nous disaient apprécier de voir que nous étions indépendantes. Souvent, dans notre secteur d’activité, il y a un homme, un fonds d’investissement dominé par des hommes. Rares sont les établissements esthétiques ayant pignon sur rue qui sont exclusivement contrôlés par des femmes. De plus en plus affirmées, les femmes ont aujourd’hui conscience de leur pouvoir collectif », confi e le tandem.
Même son de cloche pour la légende vivante, Jane fonda, qui s’est prêtée au jeu des questions pour Forbes. Première de cordée dans les luttes en faveur des droits humains, qu’elles soient féministes, écologiques ou géopolitiques, la pasionaria américaine francophile est un modèle pour de nombreuses générations. L’ennemi de la femme serait-il la femme ?
La star réfute complètement cette hypothèse : « C’est un cliché vieux comme le monde que de parler des femmes uniquement par le prisme de la rivalité. La grande Simone de Beauvoir a mis en lumière les différentes formes de solidarité entre congénères. Seules de petites poches de la société – certaines industries de la mode et du show business – tentent encore de propager de telles notions. Mais même dans ces univers, elles deviennent minoritaires. Arrêtons-nous sur Maria Grazia Chiuri, première femme directrice artistique de la maison Dior, féministe et fière de l’être, elle travaille avec des femmes, cite des féministes quant à ses inspirations créatives, finance des causes féministes et chérit ses amies – tout comme moi. », fait valoir Jane Fonda.
Esprit de sororité, es-tu là ? Il est rassurant de voir que même dans le monde des affaires où l’entreprise appelle culture du résultat et défis, les collaboratrices, leaders, s’organisent en réseaux pour promouvoir la figure de rôles modèles et coopter les profils à potentiel. De partout, ces cercles féminins essaiment. #MeToo, la pandémie et ses crises multiples amènent les femmes à s’émanciper toujours plus du regard masculin, un regard qui les définit trop. En termes d’apparence, les femmes ne sont jamais en paix. Qu’elles soient apprêtées, trop féminines ou pas assez, passant donc pour négligées, elles seront toujours apostrophées sur leur physique. C’est un sujet à part entière que de nombreuses femmes interrogées ont aussi souhaité aborder.
Au final, beaucoup se retrouvent dans cette devise biblique : Aime ta prochaine.
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