Nous sommes en pleine semaine et pourtant la porte du show-room parisien de la marque Gemmyo ne cesse de s’ouvrir et de se refermer. Les clients, plutôt jeunes, se bousculent. La marque montante au chat rose progresse à grands pas. En conséquence, « le showroom du 6e arrondissement a dû être agrandi en rachetant l’appartement d’à côté. Et il n’est pas rare certains samedis qu’il y ait jusqu’à 7 conseillers sur le floor ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes avec 90% de croissance en 2016 et 100% attendu pour 2017. Pour ce faire, la créatrice, Pauline Laigneau, nous confie en exclusivité vouloir développer le retail. Aussi, « Lyon accueillera le premier point de vente de la marque dès avril 2017 ».
Pauline Laigneau, quelle est votre stratégie de développement pour 2017 ?
Nous partons du digital pour aller vers le retail…
En 2016 on a testé le centre commercial et on s’est planté. Pourquoi ? Parce que l’on voulait tester notre attractivité et voir si des personnes qui ne nous connaissaient pas aimaient la marque. Le succès n’a pas été au rendez-vous. Du coup, plutôt que de payer des loyers hors de prix et être dans un cadre qui ne nous ressemble pas et pas très qualitatif, il fallait que l’on ouvre davantage de boutiques partout en France en nom propre et peut-être à terme en franchise. Plutôt que d’avoir des corner en centres commerciaux ou en grands magasins. C’est ce que l’on va faire cette année. La ville de Lyon semble être assez évidente en terme de taille et de CA généré. L’idée est d’aller très vite et tester pour voir si, comme pour le show-room, il y aura de l’attraction pour ce prochain lieu. Si tel est le cas, on essaiera assez rapidement d’ouvrir d’autres boutiques en France. L’idée est de tester et de se faire connaitre en province. Cela répond à une observation : énormément de clients viennent de loin (Toulouse, Lyon, Marseille…) spécifiquement pour se rendre au showroom parisien.
« Lyon accueillera le premier point de vente de la marque dès avril 2017. »
Aussi, Lyon est une évidence… une des plus grandes villes françaises. Pour la marque, cette ville est aujourd’hui ultra dynamique sur le plan commercial. Puis, il y a la réalité de la proximité géographique. Lyon est à deux heures de Paris. Dès avril 2017, nous serons à Lyon afin de démarrer la saison. Et puis, nous avons envie de tester et nous sommes motivés à ouvrir rapidement. Ensuite, en septembre 2017 nous voulons ouvrir un deuxième point de vente. Strasbourg, peut-être ? En effet, on a une surpondération en terme de CA sur la zone. L’idée est de dupliquer le modèle en France et à l’international. L’international fait partie de nos ambitions ; l’Europe et potentiellement les USA.
Quel est le profil de vos clients ?
Nous nous sommes concentrés prioritairement sur la France car il est le plus gros marché de la joaillerie après l’Italie. Nous avons peu vocation à aller dans les pays asiatiques. Le cœur de cible est des couples où la décision d’achat se fait à deux. Plutôt des CSP +, même si l’on essaie de rendre la joaillerie plus accessible avec un panier moyen de 1000 à 2000 euros pour les bagues de fiançailles. La moyenne d’âge est plus jeune que dans les autres maisons de joaillerie, minimum 25 ans jusqu’à 45 ans. La génération Y est très représentée. Notre cible est occidentale, haut de gamme mais pas non plus milliardaire ! (rires). Nos clients sont plutôt « éduqués ». Ils sont sensibles à un discours et un produit authentiques. Notre clientèle n’aime pas forcément le logotype pour le logotype. Elle aime l’humour et le second degré. Proposer une marque de joaillerie inspirante pour les millenials et les jeunes, voilà notre objectif. L’idée est de les conseiller et d’être sur un pied d’égalité. De créer de la complicité et de la proximité parce que ce sont des moments de vie importants et joyeux. C’est une fête de se marier, de se fiancer, de célébrer un anniversaire ! (rires).
Par mois, nous avoisinons un taux de ré-achat de l’ordre de 15%. Coexistent donc deux types de clients, les premiers qui achètent la bague de fiançailles et leurs alliances et les seconds qui achètent jusqu’à 3 bijoux par an en moyenne (des cadeaux pour différentes occasions). C’est pourquoi nous avons développé des gammes avec des bijoux « fashion » dont les prix oscillent entre 100 et 400 euros pour un « petit » cadeau. Dans le même temps, nous avons une gamme de joaillerie fine. Il faut signaler d’ailleurs que 30% de nos clientes s’offrent elles-mêmes ce type de bijoux (la collection Beauvoir ou la collection Marquise NLDR).
80% de nos clients passent commande sur internet. Pour cela, il faut apporter une belle expérience client passant par un millier de détails comme avoir de jolies images. Les fiches-produits doivent être proche de la réalité. C’est aussi favoriser l’ergonomie de notre site internet. Nous sommes des commerçants et nous avons appris à livrer les clients et assurer jusqu’au dernier km. Nous essayons de personnaliser au maximum l’ensemble de l’expérience.
Parlez-moi de vos collections et de votre savoir-faire…
Au début, personne ne voulait travailler avec nous. Les quatre premiers mois, je passais jusqu’à 50 coups de fil par jour pour trouver quelqu’un susceptible de fabriquer nos bijoux. Une seule personne a accepté et elle est devenue ensuite notre chef d’atelier. Peu à peu, d’autres ont accepté et maintenant se sont eux qui nous démarchent.
Les diamants viennent d’Anvers et nous avons des partenariats avec des diamantaires locaux. Les saphirs viennent de Madagascar, les aigues-marines du Brésil… Les pierres sont taillées à Jaipur ou au Brésil. Pour certaines, elles sont taillées en Allemagne à Idar-Oberstein (lieu important en Europe). 95% de notre fabrication est faite en France. Nous avons nos ateliers dans les Vosges et aussi à Besançon (historiquement un bassin de fabrication NDLR).
Certaines collections dont Wanderlust ou GEMmiaou sont plutôt destinées à la génération X. La collection GEMmiaou est un carton, un succès fulgurant. Nous avons été en rupture de stock dès le début du mois de décembre. A titre de comparaison avec nos best-sellers, nous sommes généralement à 60/80 pièces vendues en un mois. Or là, nous étions à 400/500 pièces vendues (limitées par le stock). Lors du réassort, nous avons été dévalisé et nous avons vendu 10 pièces en une matinée. Cet engouement particulier pour cette collection s’explique parce que le produit est bien conçu. Ça répond à une envie d’assumer un côté un peu kitsch, et en rire en prenant du recul. C’est assez français ! Notre clientèle se reconnait assez là-dedans. Acheter une bague en forme de chat, il faut l’assumer. C’est drôle et ridicule, et c’est ça qui plait ! Nous sommes à contre-courant de la joaillerie dite classique. Gemmyo est à l’image de notre couple et de notre vision de la vie et de l’amour : avec beaucoup d’humour et de complicité.
Qui vous entoure, qui sont vos collaborateurs ?
Avec le développement de la marque nous envisageons d’embaucher. Nous recrutons actuellement un photographe retoucheur et un développeur. Avec l’ouverture en province, nous allons avoir 3 embauches supplémentaires. Nous allons terminer l’année à 30/33 personnes. La moyenne d’âge est de 27 ans. Nous sommes structurés en trois pôles : technique (site internet et CRM), joaillerie (choix des pierres, achat de métal, contrôle qualité…) et le marketing/communication/commercial.
2 personnes sont dédiées au design et j’ai un rôle de Directrice de Création. Il m’arrive parfois de dessiner des pièces et nos ateliers valident la technique. Nos produits doivent être faciles à porter et donc bien conçus. Le processus créatif est assez long, parfois presque 9 mois pour des collections techniques. Généralement, nous mettons 6 mois en moyenne.
Envisagez-vous, à nouveau, de faire des levées de fonds ?
On a levé des fonds plusieurs fois. Depuis 2011, l’objectif était de nous faire connaitre, pas d’être rentable. Notre objectif pour 2016 était la rentabilité. Ce fut une année d’assainissement. Nous sommes rentables depuis 3 mois et l’idée est de solidifier cela. Du coup, même si on recrute, on le fait de manière mesurée. Aujourd’hui, nous nous développons en fonds propres. Nous souhaitons avoir des bases financières saines et solides. Peut-être pour, par la suite, lever des fonds… ? Créer une marque de joaillerie est long, et pour continuer il faut que l’on soit solide. Nous avons inventé un business model et nous devons prouver que nous avons la capacité à être rentable sur le long terme.
Cela veut dire quoi être une « femme entrepreneur » ?
Je suis un cas particulier. J’ai rarement souffert d’être une femme. Je suis une femme et cela a été un grand atout. Dans le secteur des ateliers, cela a été une force, par rapport à la presse, par rapport au client aussi. C’est un milieu éminemment masculin alors même que les maisons vendent à des femmes. J’en ai largement profité. De plus, j’ai un soutien indéfectible de la part de mon mari avec qui j’ai créé Gemmyo.
Ensuite, le milieu de la « tech féminine » est petit, aussi, nous nous côtoyons beaucoup. Pas mal de réseaux se sont construits, entre autres, le réseau « Start Her » crée par Roxane Varza que j’admire beaucoup. Malheureusement, beaucoup de femmes se mettent des barrières mentales. Alors que des femmes (mêmes timides) peuvent faire preuve de leadership. Il faut donner plus confiance aux femmes qui doivent se positionner comme leader alors même qu’elles n’ont pas des profils de carnassières (rires).
Quel atout faut-il pour être entrepreneur en France ?
Je trouve que ce n’est pas si difficile. En réalité, créer sa boite n’est pas compliqué. Il y a beaucoup d’aide, de soutien, de réseaux… Il faut aimer le risque ! Ce qui est plus difficile, c’est de développer l’entreprise (finance, RH,…). La partie de développement et de croissance est plus compliquée. Faire croitre une entreprise est plus dure…
Il faut savoir changer et s’adapter ; parce que mon métier n’est pas le même qu’à mes débuts. Il faut savoir faire grandir l’entreprise, et cela nécessite de passer d’un rôle d’entrepreneur à développeur, et ce n’est pas le même métier !
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