De Jackie Kennedy à Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, en passant par Larry Page et Serguei Brin, architectes de Google, ou plus récemment le prince George, beaucoup de personnalités ont été pensionnaires d’écoles Montessori. Cette pédagogie inspire nombre d’initiatives aussi bien dans l’Education nationale que dans la sphère privée, avec des fortunes diverses. Après 15 ans chez General Electric, Simone Hammer, instigatrice de Montessori 21, mène un combat « social et solidaire » pour introduire plus de mixité sociale grâce à son réseau Fem 21 et à un business model rentable. Aujourd’hui, ses établissements essaiment et accueillent des familles modestes qui parviennent à accéder à cette méthode, malgré leurs ressources limitées. Entretien avec une entrepreneure engagée.
Comment a germé votre entreprise de démocratisation de la pédagogie Montessori ?
En sortant de GE, j’étais galvanisée ! Mon état d’esprit tranchait avec la morosité ambiante liée à la crise économique et entretenue par le discours médiatique. Profondément optimiste, j’avais (et j’ai toujours) la conviction que dans tout défi, il y a des opportunités à partir desquelles des solutions peuvent émerger. A condition de s’appuyer sur les jeunes générations et requérir l’énergie des enfants. Pourquoi ? Parce qu’ils se distinguent par leur audace, leur créativité et ont cette propension naturelle à questionner le monde. Le système scolaire classique que j’ai connu à travers le quotidien de mes propres enfants me semblait adapté à une éducation de masse, fondée sur la conception que tout le monde est identique et doit arriver au même résultat. Pourtant, nous sommes tous différents ! Nos possibilités et nos intérêts varient et, à mon sens, cela est vecteur de richesse pour notre société.
Pendant ma première année à HEC, j’ai beaucoup voyagé. J’ai rencontré des personnes dans l’éducation afin de me renseigner sur le sujet. Et j’ai découvert la pédagogie Montessori qui – de prime abord – me paraissait relativement simple, car basée sur l’observation scientifique…avant d’en percevoir toute la complexité en raison d’une multitude d’approches, aussi novatrices les unes des autres. J’ai donc décidé de passer de la recherche à la pratique en créant une école Montessori à Sèvres. Associée à Laure Foullon, actuelle directrice de l’établissement et experte dans le domaine de l’économie sociale et solidaire, nous avons posé les bases de notre projet érigé sur une volonté d’accessibilité au plus grand nombre. Comment ? En baissant les deux principales barrières d’entrée qui sont financière et géographique.
Montessori 21 est co-gérée par trois associés : Laure Foullon, que j’ai mentionnée plus haut, Sébastien Leplaideur, directeur de l’école de Paris-Jaurès, et moi-même à la présidence de la fédération. A la rentrée 2017, nous avons inauguré deux nouvelles écoles à Nanterre et Châtenay-Malabry.
Pour l’heure, Montessori 21 est principalement implantée dans les Hauts-de-Seine où l’on y dénombre trois établissements, pourquoi n’êtes-vous pas encore présents dans le département de Seine-Saint-Denis qui concentre énormément de difficultés sociales et économiques ?
Nous nous développons pour l’instant avec opportunisme. Je m’explique : il est important d’attirer les bons profils de porteurs de projet – assez entrepreneur et habité par une forte envie de partager, de créer de l’impact social, et adhérents, bien sûr, à nos valeurs. Conséquemment, nous ciblons prioritairement ces personnes qui déterminent de facto les lieux d’implantation de nos écoles. Il est important que le futur directeur réside à proximité de l’établissement Montessori afin de garantir un équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle. Pour pouvoir bien couvrir le territoire français et implanter des écoles dans des lieux stratégiques, nous prévoyons également de monter d’autres écoles en propre avec des directeurs salariés.
Notre objectif est de couvrir le territoire pour offrir cette merveilleuse pédagogie à tous ceux qui le souhaitent. Des villes comme Nanterre ou Châtenay-Malabry ou encore le 19ème arrondissement parisien, nous paraissent très pertinentes au regard de la mixité sociale existante.
Aujourd’hui, les initiatives pour populariser la méthode Montessori se multiplient, même l’Education nationale est touchée par ce phénomène à travers l’action de certains enseignants ; quels sont vos marqueurs de différentiation dans l’offre actuelle ?
Oui, c’est vrai. Il y a du Montessori partout. D’un côté, cela a du bon car ces démarches réveillent l’intérêt des parents qui s’interrogent davantage sur la manière dont ils souhaitent éduquer leurs enfants. De l’autre, il y a une confusion, voire une cacophonie, puisque beaucoup de personnes ont du mal à s’y retrouver !
Je salue certaines initiatives conduites dans le public par des enseignants s’évertuant à faire du vrai Montessori. Je les appelle « lonely warriors » puisqu’il est extrêmement difficile dans le contexte actuel de s’engager dans cette voie, seul, au sein d’un établissement. Effectivement, pour recourir à cette méthode, il faut des classes d’âge mélangés : 3-6 ans, 6-12 ans. En dehors de certaines structures à la campagne, cela n’est pas normatif dans l’Education Nationale. Cela veut dire qu’il faut une équipe qui travaille main en main dans plusieurs classes, et un directeur qui soutient cette initiative. De plus, le matériel pédagogique s’avère assez onéreux, et surtout, il faut que les adultes soient formés.
La formation dans un centre dédié de l’Association Montessori Internationale (AMI) dure un an minimum et nécessite des coûts conséquents. C’est un pré-requis pour ouvrir une classe Montessori. De même que nous sommes comptables vis-à-vis du ministère de l’Education Nationale, lequel demeure notre interlocuteur pour toutes déclarations d’ouverture et qui, aussi, a autorité pour conduire des inspections en amont et tout au long du cycle scolaire.
Notre différentiation réside dans le fait que les écoles de notre réseau fonctionnent hors contrat. Nous souhaitons demeurer libres dans la mise en oeuvre de la pédagogie, notamment au niveau du recrutement d’éducateurs formés à la méthode stricto sensu et dans le respect de la charte de l’Association Montessori de France (AMF). Sur ce point, je suis assez suspicieuse au sujet des modes d’apprentissage d’éducateurs Montessori planifiés sur quelques jours ou quelques semaines… Il est important d’internaliser la philosophie, la pédagogie et la posture, ce travail prend du temps, de même qu’il requiert de la réflexion et de la pratique. Nous avons l’intention de créer un centre de formation qui permettra de former des éducateurs en ligne, ce dispositif sera enrichi par beaucoup de pratique, d’échange et de stages. Conscients de la responsabilité que nous portons, il est prépondérant que ces futurs professionnels disposent de solides connaissances et d’un réel savoir-faire pour interagir avec les enfants de la meilleure façon.
D’inspiration solidaire et participative, sur quels ressorts financiers s’appuient votre concept d’écoles ? Parvenez-vous à rentabiliser votre start-up ?
Une entreprise ESS (économie sociale et solidaire) aborde la question de rentabilité financière à partir d’un positionnement spécifique. Etant donné que nous ouvrons notre marché à 70% de la population en rendant éligibles toutes les typologies de familles dont les revenus sont ventilés à moins de 15 000 euros annuels et jusqu’à plus de 129 000 euros, nous pouvons ainsi lancer des écoles plus vite, avec plus d’enfants. Concrètement, un foyer qui dispose de ressources inférieures à 15 000 euros s’acquittera de frais de scolarité de 90 euros mensuels (tarif 1), alors qu’un ménage générant des revenus supérieurs à 99 000 euros, déboursera 650 euros par mois (tarif 5). De fait, la participation de chacun est indexée à son quotient familial, ce qui fait que notre modèle n’est pas bâti sur le même effort financier.
Il serait impossible d’atteindre le volume de 70% en nous basant uniquement sur les familles aisées. Nous nous appuyons donc sur la volonté des parents d’intégrer une école Montessori qualitative avec une mixité sociale et témoignant d’une certaine solidarité. Des aides supplémentaires, ponctuelles ou annuelles, peuvent être mises en place sous forme de bourses : chaque famille paye tous les mois 30€ pour constituer le « fonds de solidarité” qui a vocation à être redistribué sous forme de bourses. De plus, nous avons construit notre business model sur un fonctionnement indépendant de toute intervention extérieure, à l’instar des appels aux dons, au mécénat ou de demandes de subventions publiques, qui n’offrent aucune garantie pérenne. Une telle « sujétion » pourrait en effet précariser la longévité de nos écoles. En revanche, des dons et subventions peuvent financer des projets spécifiques.
Après trois années d’exercice au plus tard, nos écoles deviennent rentables.
En ce qui concerne la FEM 21, la fédération a contracté un prêt pour subvenir à ses besoins pendant la phase de structuration. Elle n’a pas l’objectif (les écoles non plus d’ailleurs) de générer beaucoup de bénéfices, mais d’être simplement rentable. D’ailleurs, nous avons statutairement fixé dans le cadre de l’ESS que 50 % des bénéfices générés par nos structures seront automatiquement réinvestis dans la structure. L’école de Sèvres et la FEM 21 ont aujourd’hui déjà obtenu le label ESUS (entreprise solidaire d’utilité sociale). Les autres écoles en feront la demande dès l’obtention de leur premier bilan.
Montessori 21, est-elle votre première aventure entrepreneuriale ?
Oui, tout à fait. Montessori 21 est aussi une grande première pour mes associés. Précédemment, nous avions géré des projets d’innovation en entreprise, mais prendre toutefois la tête d’une entreprise, se révèle évidemment nettement différent et nous fait entrer dans une autre dimension !
Que prévoyez-vous pour 2018 ?
Nous sommes en train de finaliser notre levée de fonds pour lancer de nouveaux projets ou les professionnaliser :
- Un centre de formation pour parents, formation continue des éducateurs et une formation initiale d’éducateurs Montessori
- Une plateforme numérique pour alléger encore plus la charge de travail des directeurs d’école
- Une centrale d’achat pour rendre plus accessible le matériel pédagogique aux écoles du réseau
- Le déploiement d’écoles en propre, collège inclus, qui verra le jour en 2019 à la Villette.
Tous ces projets ont comme objectifs de soutenir les directeurs des écoles Montessori 21 dans leur travail quotidien et de rendre encore plus accessible la pédagogie.
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