Année faste pour Citroën qui fête son centenaire en 2019. Entre héritage et course à l’innovation, ce fleuron français n’entend pas se laisser distancer. Notamment sur la question de l’inclusion des femmes. L’industrie automobile véhicule toujours l’idée d’un secteur qui serait la chasse gardée des hommes… Un préjugé auquel s’attaque Linda Jackson, patronne emblématique de la marque aux chevrons. Seule femme à diriger un constructeur dans l’Hexagone, la directrice générale de Citroën aborde sans détour la question. Entretien.
Vous avez commencé dans le monde automobile « par hasard », et quarante ans après vous êtes toujours là… Comment expliquez-vous une telle longévité ?
Linda Jackson : Parce que le monde automobile est passionnant ! L’automobile n’est pas un produit comme les autres. C’est un objet de liberté, qui mêle design et technologie, un objet qu’on ‘habite’, qui dit quelque chose de nous, et où l’image de marque est très importante. C’est véritablement un produit d’émotion, de passion.
Côté coulisses, c’est une aventure industrielle incroyable avec une très grande variété de métiers, entre ingénierie, stylisme, commerce, marketing, communication, etc. Des métiers qui sont autant d’opportunités d’évolution. On ne s’ennuie jamais ! C’est pourquoi on peut y faire carrière.
Quelle est votre journée type de dirigeante ?
J’arrive au bureau très tôt. Ma journée est le plus souvent une succession de réunions. Ceci étant, nous avons mis en place des « Feel good rules » : pas de rendez-vous avant 8 heures ni après 18 heures ! Les sujets sont divers : points avec le Comité Exécutif, le Style, le Marketing, la Communication. C’est un poste extrêmement riche qui m’amène également à faire de nombreux déplacements à travers le monde, à la rencontre de nos filiales et importateurs notamment.
Vous êtes la première femme en France à diriger un constructeur automobile ; n’est-ce pas antagonique et archaïque pour un secteur prônant la course à l’innovation, de brider l’inclusion des femmes ? Notamment aux postes de direction ?
Bien qu’il y ait encore une majorité d’hommes, je ne crois pas que l’inclusion des femmes soit aujourd’hui bridée dans ce secteur. Les mentalités évoluent. J’en suis la preuve vivante ! Plus généralement, il y a un véritable engagement en faveur de la mixité au sein du Groupe PSA. Il s’agit d’ailleurs de la première entreprise à avoir obtenu le label « Egalité professionnelle » depuis 2005 en France. Aujourd’hui, il y a 21% de femmes parmi les cadres du groupe, ce qui est supérieur au taux de féminisation global dans l’entreprise (19%). C’est un taux en constante augmentation, et si l’on regarde les cadres de moins de 30 ans, ce taux atteint 37% ! C’est bien la preuve que les choses évoluent positivement. Chez Citroën, nous sommes, par ailleurs, parfaitement conscients qu’un automobiliste sur deux est une femme, et qu’à ce titre, les femmes ont largement autant à apporter à la marque que les hommes !
Il faut aussi agir sur la perception du monde automobile auprès des jeunes femmes, de manière à ce qu’elles ne se mettent pas elles-mêmes des barrières ! J’y contribue d’ailleurs à ma manière en participant au forum « Elle Active » ou à la conférence « Mondial Women », qui s’est tenue au dernier Mondial de Paris.
Vous avez effectué des visites mystères chez des concessionnaires et, dès lors que l’on abordait la question du prix et que l’on entrait dans la “hard negociation”, le vendeur s’adressait directement à l’homme. Vous pointez un problème bien plus profond et culturel, les stéréotypes ont décidément la vie dure… La cause est-elle perdue ?
Non, je crois qu’il n’y a jamais de fatalité ! Cela passe par de la formation, mais aussi via l’intégration de femmes aux postes de vendeur. Il y a d’ailleurs de plus en plus de vendeuses dans nos showrooms, même s’il reste du chemin à faire. Sur nos stands, dans les salons, nous veillons depuis plusieurs années à avoir autant d’hôtes que d’hôtesses pour conseiller les visiteurs.
« Name and Shame », la Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa, s’appuie depuis 2017 sur cette campagne de médiatisation des mauvaises élèves en matière de promotion des femmes dans leurs entreprises. Que vous inspire ce procédé importé de la culture anglo-saxone ?
Globalement, je crois que la société a besoin de plus de transparence, c’est légitime. Et toute forme de discrimination, dès lors qu’elle est avérée, doit être sanctionnée. Pour autant, je crois que la question de la parité est un sujet suffisamment compliqué pour éviter des solutions radicales. Par exemple, je ne crois pas que cela serait servir la cause des femmes que d’imposer une politique de quotas. Bien au contraire, cela mettrait en doute la légitimité de toutes les femmes nommées à des postes à responsabilité ! Toute la difficulté est donc de trouver un juste équilibre.
2019, c’est aussi l’année du centenaire de la marque aux chevrons. Quel est l’héritage de ce fleuron de l’automobile française ?
L’héritage de Citroën est incroyable ! C’est une des marques les plus collectionnées au monde grâce à ses nombreux modèles iconiques : Traction, Type H, 2 CV, DS, Méhari, etc. Citroën a toujours été une marque populaire au sens noble, autrement dit une marque inspirée par les gens et leurs modes de vie, une marque en phase avec les attentes de chaque époque. C’est d’ailleurs la carte que nous jouons au travers de notre signature « Inspired by You ». L’héritage Citroën, c’est aussi, depuis toujours, un design unique et un confort de référence, deux valeurs que nous réinvestissons pleinement avec notre nouvelle gamme.
L’épopée Citroën prend également racine dans les premières lueurs de l’émergence de la publicité dans les années 20. Un siècle après, alors que la pub s’est démocratisée et qu’elle est, par ailleurs, décriée, concurrencée par les nouveaux formats numériques, comment entretenez-vous le récit avant-gardiste de la marque ?
Fidèle à notre signature ‘Inspired by You’, nous veillons à mettre une dimension humaine, proche des gens, au cœur de toutes nos communications. C’est précisément ce que nous faisons avec notre campagne de marque mettant en scène un auto-stoppeur, ou encore avec nos dernières publicités : ‘Lucas, le Judoka’ pour illustrer le confort de Nouvelle C3, etc. L’objectif est d’impacter avec un ton qui nous est propre dans l’univers des marques automobiles.
Etre proche des gens en 2019, c’est aussi utiliser massivement les réseaux sociaux, avec le développement de contenus exclusifs pour nos fans, en les impliquant régulièrement et en les associant à tous les rendez-vous clés de la marque (Facebook Live lors des conférences de presse sur les salons, reveal de nouveaux modèles, etc.).
Vous allez fêter en grandes pompes le centenaire de Citroën en juillet prochain, quels temps forts prévoyez-vous ?
En réalité, c’est toute l’année que nous célébrons le centenaire, avec des rendez-vous réguliers, comme tout récemment avec notre stand ‘Spécial 100 ans à Rétromobile’ ! Du 19 au 21 juillet, nous aurons effectivement un événement phare des festivités à l’initiative des collectionneurs de la marque : ‘Le Rassemblement du Siècle’. Ce rassemblement international de collectionneurs investira notre site de la Ferté-Vidame (site secret historique de la marque où fut notamment mise au point la 2CV), avec à la clé : 11 000 collectionneurs réunis, près de 5 000 voitures exposées et jusqu’à 50 000 personnes attendues sur le site durant les trois jours.
Voiture autonome, car-sharing, problématiques environnementales, nombreux sont les défis qui se posent à votre industrie. Quelle est votre feuille de route pour maintenir Citroën dans la course ?
Notre feuille de route est claire : nous lancerons la version hybride rechargeable (PHEV) de notre nouveau SUV C5 Aircross dès l’an prochain. Ainsi, chaque nouveau modèle Citroën que nous lancerons disposera d’une version ‘électrifiée’, c’est-à-dire soit une version 100% électrique, soit une version PHEV. Concrètement, en 2025, 100% de notre gamme sera disponible en version électrifiée !
En ce qui concerne la voiture autonome, notre SUV Citroën C5 Aircross embarque déjà des dispositifs de conduite autonome de niveau 2 (« hands-off » / conduite automatisée sous surveillance du conducteur), et le Groupe PSA, qui travaille activement sur ce sujet, nous permettra, à terme, de proposer des véhicules entièrement autonomes. Enfin, en réponse à la problématique de déplacements dans les centres-villes, nous dévoilerons au salon de Genève un concept qui invente une nouvelle expérience de mobilité urbaine.
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