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L’IA au cœur des débats réglementaires mondiaux : entretien avec Lee Tiedrich

L'IA au cœur des débats réglementaires mondiaux : entretien avec Lee Tiedrich
L'IA au cœur des débats réglementaires mondiaux : entretien avec Lee Tiedrich

Spécialiste reconnue du droit et de la gouvernance de l’intelligence artificielle, Lee Tiedrich est à Paris pour le Sommet pour l’action sur l’IA. Conseillère principale en IA au National Institute of Standards and Technology (NIST) aux États-Unis et experte auprès de l’OCDE, elle cumule plus de trente ans d’expérience juridique et une formation en génie électrique. Une double compétence qui lui permet d’aborder avec finesse les défis éthiques et réglementaires liés à l’IA. Invitée de la 7ᵉ édition de la World Policy Conference à Abou Dabi en décembre, cette dernière avait accepté de nous éclairer sur les enjeux de la régulation et son impact sur des secteurs stratégiques comme la santé ou l’emploi.

 

Désirée de Lamarzelle: Quels sont les principaux défis pour un cadre réglementaire éthique de l’IA ?

Lee Tiedrich : L’un des principaux obstacles est que l’IA regroupe une grande variété de technologies et d’usages. La régulation doit donc être suffisamment souple pour suivre l’évolution rapide des outils tout en restant efficace. Un autre point crucial est que ces politiques doivent s’appuyer sur des bases scientifiques solides. L’utilisation de normes et de cadres de gestion des risques est essentielle pour structurer cette approche. Au final, nous verrons probablement une combinaison entre une réglementation stricte et des régulations plus adaptatives, comme c’est déjà le cas avec la loi européenne sur l’IA, qui s’appuie sur des normes et codes de bonne pratique en constante évolution.


Une autre approche consiste à associer incitations et sanctions. Bien sûr, il faut des mécanismes pour lutter contre les dérives, mais la plupart des entreprises cherchent à faire les choses correctement. Il est donc crucial de mettre en place des incitations pour les aider à respecter les bonnes pratiques.

 

Quels sont les usages les plus prometteurs de l’IA en santé, et quels risques cela implique-t-il ?

L. T. : L’IA ouvre des perspectives immenses en médecine. Dans la recherche de nouveaux traitements, elle peut accélérer la découverte de médicaments et améliorer leur efficacité. Aux États-Unis, où le système de santé est très coûteux et en tension, l’IA pourrait automatiser certaines tâches administratives pour libérer du temps aux professionnels de santé et améliorer leur efficacité. Mais son utilisation en milieu clinique pose aussi des risques. C’est pourquoi nous développons des cadres de gouvernance spécifiques, comme à Duke University, où nous avons conçu un modèle destiné à encadrer l’application de l’IA en milieu hospitalier. Nous collaborons aussi avec la Coalition for Health AI pour élaborer de bonnes pratiques. L’enjeu est d’utiliser ces technologies de manière responsable, en associant les professionnels de santé et en instaurant des phases de tests rigoureuses.

 

L’IA peut-elle rendre les soins plus accessibles et abordables ? 

L. T. : Absolument. En Afrique, en Inde et dans d’autres régions du Sud global, des millions de personnes n’ont pas accès aux soins de base. L’IA pourrait jouer un rôle majeur en facilitant l’accès à des diagnostics à distance ou en automatisant certaines tâches médicales. Mais encore une fois, dans un secteur aussi critique que la santé, l’encadrement est primordial.

 

Comment réglementer une technologie en constante évolution ?

L. T. : C’est un véritable défi. Les décideurs politiques ne sont pas toujours des experts en technologie, et pourtant, ils doivent légiférer sur des sujets complexes. Mais nous observons une dynamique intéressante : avant d’adopter sa loi sur l’IA, l’Union européenne a mené de vastes consultations. Aux États-Unis, le NIST a élaboré un cadre de gestion des risques après avoir recueilli de nombreux avis. Ce qui compte, c’est d’impliquer toutes les parties prenantes, y compris la société civile, et d’adopter une approche multidisciplinaire.

 

Quels secteurs sont les plus touchés par l’impact de l’IA sur l’emploi ?

L. T. : Tous les secteurs sont concernés. L’automatisation a déjà remplacé des emplois manuels et commence à impacter le tertiaire. Par exemple, l’IA permet aujourd’hui d’automatiser certaines tâches juridiques. Elle ne remplacera pas les avocats, mais réduira le besoin en main-d’œuvre. L’industrie du divertissement, avec la récente grève de la SAG-AFTRA, s’interroge aussi sur son avenir face à l’IA. Mais l’IA crée aussi de nouveaux métiers. Nous aurons besoin d’experts en gouvernance des données et en éthique numérique. L’éducation sera clé pour former les jeunes à ces nouvelles compétences.

 

Avons-nous le temps de réguler l’IA efficacement ?

L. T. : Nous progressons, mais le chemin est encore long. L’OCDE, le G7 et l’ONU travaillent à harmoniser les normes. Il y aura des ajustements en cours de route, mais je reste optimiste. Si nous collaborons au niveau mondial et interdisciplinaire, nous trouverons des solutions équilibrées.

 


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