Bien que les indépendantes aient droit à un congé maternité, dans les faits, elles sont peu nombreuses à s’octroyer un véritable arrêt de travail à la naissance de leur enfant. Comment expliquer ce phénomène et quelles pourraient être les solutions pour leur permettre de prendre un “vrai” congé maternité ?
Une contribution de Solène Pignet, fondatrice de Grossesses d’Entrepreneuses
Lorsqu’une entrepreneure découvre sa grossesse, il n’est pas rare que son ressenti soit ambivalent, partagé entre la joie de donner la vie et une forte inquiétude professionnelle. Le droit à bénéficier d’un congé maternité n’est pas toujours clair, et les témoignages sur des indemnités très faibles sont pour le moins anxiogènes. Sans compter la réaction des clients : “Vont-ils accepter de m’attendre 4 mois durant ?”, “Vais-je devoir tout reprendre à zéro après mon congé maternité ?”.
Chaque année, plus de 150 000 cheffes d’entreprises sont confrontées aux mêmes interrogations. Dans une étude publiée en juin 2023, l’IFOP a mesuré que 72 % des entrepreneures reprennent le travail avant la fin de leur congé maternité, et pour 34 % d’entre elles, une semaine à peine après avoir accouché.
Les entrepreneures ont bel et bien droit à un congé maternité
Contrairement à certaines idées reçues, les indépendantes ont toujours eu droit à un congé maternité, et ce depuis la création de ce dernier en France — à savoir 1909. Depuis, sa durée s’est allongée et la rémunération a été améliorée, même si les entrepreneures ont longtemps été moins bien loties que les salariées.
Depuis 2019, avec la fin du régime social des indépendants et le rattachement de ces derniers au régime général, les droits des entrepreneures ont été alignés avec ceux des salariés.
La durée du congé maternité est strictement la même pour l’ensemble des statuts : à savoir 16 semaines pour un 1er ou un 2e enfant, 26 semaines pour un 3e ou plus. Le montant des indemnités résulte de deux modes de calcul différents (basés sur les derniers salaires pour les salariées, et sur le revenu de l’activité pour les indépendantes), mais in fine, les montants sont quasi identiques (plafonnés à environ 2 800 € par mois).
En théorie donc, les indépendantes ont les mêmes droits que les salariées en matière de congé maternité.
Le droit du travail ne protège pas les indépendantes
Première différence : alors que les salariées ne peuvent pas être licenciées à partir de l’annonce de leur grossesse et jusqu’à 8 semaines après leur retour de congé maternité, il n’en est rien pour les indépendantes.
Leurs clients, mais aussi leurs partenaires ou autres investisseurs, peuvent tout à fait tourner les talons à l’annonce d’une grossesse.
Les indépendantes appréhendent donc à juste titre de partager la nouvelle. Certaines profitent du télétravail pour ne pas montrer leur ventre et annoncent leur départ en congé maternité le plus tard possible. D’autres encore cachent leur état pendant leur levée de fonds.
Il n’est pas rare que les entrepreneures perdent des contrats pendant la grossesse. Ou à minima qu’elles soient écartées des projets à venir, sachant qu’elles vont partir en congé maternité à court terme. Les témoignages en ce sens sont nombreux dans le podcast Grossesses d’Entrepreneuses, qui partage des retours d’expérience depuis octobre 2023.
Outre cette forme de discrimination, les entrepreneuses elles-mêmes ont tendance à arrêter de prendre de nouveaux clients en amont de leur congé, se concentrant sur le bouclage de leurs dossiers en cours avant de s’arrêter. Ainsi, il n’est pas rare d’observer entre 1 et 3 mois de baisse de chiffre d’affaires avant la prise effective du congé maternité.
Un impact économique au-delà du congé maternité
La deuxième grande différence réside ici : si les indemnités de congé maternité ont été pensées pour remplacer le salaire, en miroir des droits des salariées, elles ne compensent en rien la baisse effective de chiffre d’affaires des entrepreneures.
L’impact financier n’a pour l’instant jamais été étudié en France. Au Canada, une récente étude a mesuré que les entreprises perdent en moyenne 21 % de profits l’année où la cheffe d’entreprise donne naissance. Ce qui n’est pas le cas pour les hommes entrepreneurs.
Comme l’ont démontré les travaux de la Prix Nobel d’Économie 2023 Claudia Goldin, l’entrée dans la parentalité est le facteur qui aggrave le plus les inégalités femmes-hommes. Il semblerait que ce phénomène soit d’autant plus vrai pour les entrepreneures.
Certaines femmes voient leur activité ralentir pendant 6 mois avant et après leur congé. D’autres, au contraire, réussissent à compenser ce ralentissement grâce à différentes stratégies, et peuvent même générer autant, voire plus de chiffre d’affaires cette année-là. C’est d’ailleurs pour faciliter cela que Grossesses d’Entrepreneuses propose un accompagnement dédié pour soutenir les indépendantes à bien se préparer.
Des solutions existent
Les principales stratégies pour éviter à l’activité de ralentir à cause du congé maternité de la dirigeante sont : l’évolution du modèle économique pour gagner en rentabilité (l’idée étant de découpler le temps de travail des revenus générés), la délégation ou encore l’automatisation.
Notamment lorsque celles-ci permettent le maintien d’une présence marketing pendant le congé maternité de la dirigeante.
Parmi les 150+ retours d’expérience analysés par Grossesses d’Entrepreneuses, il y a une différence claire entre celles qui automatisent et/ou délèguent leur marketing pendant leur congé, et celles qui ne le font pas. Ces dernières mettent souvent plusieurs mois à retrouver un niveau de chiffre d’affaires équivalent à celui d’avant congé. Alors que celles qui anticipent et organisent un maintien de leur effort marketing pendant leur arrêt de travail ont une reprise plus confortable, avec un carnet de commandes en bonne partie rempli.
Ce n’est pas du luxe en plein post-partum, alors que la fatigue est intense et la perte de confiance en soi monnaie courante.
Un arrêt de travail important pour la santé
Avant la naissance, le congé maternité permet au corps de se préparer, notamment pour sécréter suffisamment d’ocytocine pendant l’accouchement. Les femmes qui travaillent jusqu’à leur terme, voire “jusqu’à la salle de naissance”, témoignent souvent d’un accouchement long et douloureux, faute du bon cocktail hormonal.
Quant à celles qui reprennent rapidement après la naissance, elles sont nombreuses à expérimenter un épisode d’épuisement quelques mois plus tard, sous forme de burn-out ou de dépression post-partum.
À Hong Kong par exemple, en allongeant le congé maternité (de 10 à 14 semaines), le pays a vu son taux de dépressions post-partum chuter de 22 %.
En France, les entrepreneures sont peu informées sur leurs droits en matière de congé maternité. Il faut dire qu’il n’est pas toujours facile d’appréhender cette charge administrative en tant qu’indépendante.
Par peur des conséquences économiques sur leur activité, elles sont une majorité à ne pas s’arrêter pleinement de travailler, encourant ainsi des risques physiques et psychiques dont elles n’ont pas toujours conscience. Sans parler des conséquences à moyen terme sur leur business, si elles tombent effectivement en dépression ou en burn-out.
La question centrale étant : “Comment faire en sorte que mon activité continue à se développer alors que je vais m’octroyer plusieurs mois de pause pour accueillir mon enfant et préserver ma santé ?”
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