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Le crypto-art et sa révolution en France

crypto art interview Lucie-Éléonore Riveron
portrait de Lucie-Éléonore Riveron

Les NFT défraient la chronique. A Londres ou à New-York les non fungible token qui authentifient sur la blockchain la création numérique battent des records lors des ventes aux enchères. Mais qu’en est-il en France ? Le marché de l’art va-t-il manquer la révolution du crypto-art. Quels sont les principaux freins ? Rencontre avec Lucie-Éléonore Riveron co-fondatrice de la maison de ventes aux enchères Fauve Paris.

 

Désirée de Lamarzelle : Quelle est votre définition d’un NFT ?

Lucie-Éléonore Riveron : Le NFT est l’acronyme de ‘’non fungible token’’, c’est à dire un jeton non fongible inséré sur la blockchain. Il faut se représenter la blockchain comme un grand cahier sur lequel on écrit les choses et où on ne peut pas revenir en arrière :  tout ce qui est inscrit est définitif. Là-dessus un jeton non fongible est un actif qui ne peut pas s’échanger contre quelque chose d’équivalent, c’est ce qui en fait sa valeur unique et par conséquent un élément très intéressant pour la création. Cela fait de nombreuses années qu’il y a des artistes qui créent de manière numérique (images en 3D, vidéos… ) mais dans la mesure où cela est reproductible à l’infini, c’était difficile à monétiser. Prenez Beeple, un artiste américain qui publie chaque année depuis 13 ans une image 3D sur Instagram, souvent en rapport avec l’actualité… la technologie du NFT donne de l’unicité au fichier numérique qui va rendre le jpeg de Beeple unique, et lui donner une valeur. En fait le NFT est le « pass monétaire » de la création numérique.

Une manne financière pour les artistes numériques ?

L.-E. R. : La monétisation permet enfin aux artistes de vendre leurs œuvres numériques, mais il y a un second point très intéressant lié au NFT qui est la possibilité d’une forme de droit d’auteur avec le « smart contract » : le contrat qui s’appuie sur la technologie Blockchain pour rendre infalsifiables leurs termes et les conditions de leur exécution. Là où L’ADAGP (société française d’auteurs des arts visuels) doit collecter chaque vente pour reverser les droits d’auteur aux artistes, c’est automatique avec le NFT car tout est transparent sur la blockchain. C’est une vraie révolution qui permet aux artistes de gagner leur vie avec leurs créations numériques. Beeple a fait en une vente record de 69 millions de dollars chez Christie’s en mars dernier avec un NFT qui rassemblait ses 5000 premières images publiées. Tout cela n’empêche pas la reproductibilité car le « jpeg » reste un fichier qui par exemple peut s’envoyer, mais le NFT devient l’acte de propriété. La blockchain remplace le notaire en quelque sorte.

 

La propriété d’un produit virtuel n’est-ce pas un peu compliqué sur un plan juridique ?

L.-E. R. : Cela va forcément ouvrir la voie à de nouvelles juridictions, mais on fait bien la différence entre avoir un fichier jpeg et en détenir sa propriété. C’est la même différence par exemple entre une photo originale numérotée de Nan Goldin et son poster… D’ailleurs quand vous achetez un NFT vous faites l’acquisition de son certificat d’authenticité sur la blockchain, mais vous n’êtes pas forcément sûr de la validité du serveur. Il y des projets en cours de NFT qui s’appuient sur de l’intelligence artificielle pour inclure dans la blockchain, l’algorithme qui génère le fichier. On assiste à un pan tout à fait passionnant de la création : on arrive à programmer quelque part l’œuvre d’art pour que tout soit inclus dans le contrat !

 

Il y a une forme d’euphorie autour des NFT, mais qu’en est-il vraiment du marché ?

L.-E. R. : Nous sommes aux balbutiements du Crypto Art. Il y a aujourd’hui peu de vente aux enchères de NFT notamment pour des raisons juridiques. En revanche les NFT se vendent sur des plateformes en ligne comme OpenSea plutôt généraliste ou d’autres plus curatées comme SuperRare ou Foundation où il y a un commissariat artistique. Quelques chiffres peuvent vous donner une idée du potentiel des NFT : au premier semestre 2020 les ventes atteignaient 13,7 millions  et 2,5 milliards de dollars en 2021. On dénombre sur la plateforme OpenSea plus d’un milliard de transactions pour le mois d’aout dernier. Petit aparté sur la définition des NFT, il y a plein d’autres choses qui peuvent être « tokenisés » en dehors du domaine de l’art, comme des token de tweets, de carte Sorare (jeu de fantasy football) et plein d’autres choses qui se vendent et s’échangent mais c’est forcément virtuel.

 

Et le marché français, où se situe-t-il ?

L.-E. R. : Il y a d’un côté les artistes, et de l’autre le marché français de l’art. La scène créative française en création numérique virtuelle est de grande qualité mais ce n’est pas encore le raz de marée. Les crypto-artistes sont issus majoritairement d’Asie et en particulier des États-Unis. Pour ce qui concerne le marché français c’est pour l’instant un échec avec seulement une dizaine de galeries sérieusement dédiées aux NFT.


Les ventes aux enchères ont un vrai rôle à jouer dans l’institutionnalisation du NFT


 

Comment expliquez-vous ce retard ?

L.-E. R. : Parce que personne ne comprend rien, voire, se méfie d’une technologie presque sulfureuse dans l’inconscient collectif : la virtualité, la bulle spéculative qui va retomber, tout cela fait peur. Pour ma part je suis convaincue que c’est un nouveau chapitre de l’histoire de l’art qui est en train de s’ouvrir devant nous. C’est comme si lorsqu’on avait découvert la photographie nous avions décrété que cela allait passer de mode et qu’il fallait se cantonner à la peinture.

Sotheby’s a annoncé la création d’un espace digital réservé aux NFT, votre maison de vente également ?

L.-E. R. : En France les ventes aux enchères sont une profession restée sous la tutelle du conseil des ventes volontaires qui donne son interprétation du code de commerce. Aujourd’hui comme le code de commerce par défaut ne règlemente pas les ventes de biens incorporels, cela nous est interdit. Nous sommes les seuls au monde, alors qu’on assiste chez Christie’s ou Sotheby’s à des ventes qui atteignent des millions. Je suis allée avec une avocate spécialisée dans le droit immatériel à la rencontre du responsable d’un rapport sur le sujet, sans résultat. C’est pour cela que je tente de mobiliser l’attention sur ce qui se passe en France pourtant considérée comme une startup nation : le monde entier s’empare des NFT et nous on étudie des rapports…

Cela peut donc prendre du temps avant que cela soit possible en France…
L.-E. R. : Rien ne m’interdit d’en organiser de manière privée c’est-à-dire sur invitation par e-mail… ce qui est un petit subterfuge. Et la Maison Fauve acceptera les paiements en crypto monnaie, y compris pour les œuvres physiques, car il faut désacraliser aussi cette crypto monnaie. J’ai vraiment envie de vendre du NFT au milieu de tableaux d’artistes majeurs ou de mobilier de Charlotte Perriand et ce, pourquoi pas dans la même vente. Il faut vraiment accompagner les transformations en cours.

En quoi consiste le rôle des ventes aux enchères dans le crypto-art ?

L.-E. R. : Les ventes aux enchères ont un vrai rôle à jouer dans l’institutionnalisation du NFT. Je ne suis pas galeriste donc mon objectif n’est pas forcément de voir des oeuvres d’artistes de premier marché mais plutôt de vendre des œuvres qui ont déjà été commissionnées, c’est-à-dire de valider le choix des crypto collectionneurs, d’inscrire le crypto-art dans la durée : une vente publique crée une côte et donc intègre les artistes crypto-art dans l’histoire de l’art en général. Ce n’est plus un mouvement parallèle spéculatif.

Même numérique, on reproche à cette technologie d’être peu écologique…

L.-E. R. : Oui, sur les plateformes historiques c’est la technologie « proof of work » très énergivore qui est utilisée, mais aujourd’hui des layer (une couche supplémentaire construite et apposée au-dessus de la blockchain) travaillent sur cette problématique NFT plus « green ». La marketplace de Tezos est à ce titre très écologique.

Votre maison de vente aux enchères Fauve semble à votre image : elle casse les codes de la vente aux enchères ?

L.-E. R. : Nous l’avons créée en 2014 avec mon associé et commissaire-priseur Cédric Melado, dans cette idée de désacraliser ce monde très codifié. Nous avons notre propre lieu de vente, conçu comme un lieu de vie (750 mètres carrés) avec une grande salle d’exposition, un studio photo et un coffee shop pour prendre un brunch – par exemple -avant la vente du samedi.  La maison ne s’appelle pas Riveron et Melado comme celle de nos confrères, mais Fauve avec l’envie d’une communication plus moderne, presque décalée. Enfin nous avons pour objectif de rentrer dans le top 20 des maisons de vente aux enchères en France avec une sélection haut de gamme de nos produits en vente. Je ne sais pas si je casse les codes mais cela fait quelques mois je me suis impliquée avec passion dans la scène crypto parisienne, et cela est toujours l’occasion de rencontrer des gens passionnants. C’est mon devoir de prendre part à la révolution dans le marché de l’art.


Chronique annoncée d’une révolution en marche


ll y a quelque chose de vertigineux dans les progrès scientifiques et technologiques réalisés ces 50 dernières années. Quel est le nouveau phénomène qui fait fureur ? Que signifie-t-il ? En quoi cela vous concerne-t-il ? Dans l’ouvrage NFT Révolution, John Karp et Remy Peretz tous deux passionnés d’art numérique et auteurs d’une podcast journalier NFT Morning, décryptent le crypto-art, les NFT et la blockchain qu’ils présentent comme le système notarial pour les objets numériques. Une mine d’informations pour arrêter de dire que l’on n’y comprend rien dans un marché en plein expansion, qui près de 6,5 milliards d’euros.
Livre « NFT Revolution. Naissance du mouvement crypto-art ».

 

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